Le Yonnu Yokkuté : une poésie du mimétisme et de la médiocrité (Suite)

Quand Macky Sall inventa le lyrisme politico-économique !



« Le lyrisme est une ivresse et l'homme s'enivre pour se confondre plus facilement avec le monde. » Milan Kundera, La vie est ailleurs
 
     Dans le deuxième axe intitulé « B. Assurer les bases économiques du développement », l’idée championne dudit programme est la « Couverture Maladie Universelle de Base ». La seule évocation de ce concept suffit pour mettre à nue la culture du mimétisme et du couper-coller qui a été à la base de la conception de ce programme. De toute façon ce concept n’est guère opératoire dans un pays où les structures de santé privées sont négligeables ! Il y a toujours eu une couverture médicale universelle dans ce pays : on devrait plutôt parler de mutualisation médicale universelle des populations. Mais cela ne pose guère problème car la démagogie est inhérente à la démocratie et les bonnes idées appartiennent à tout le monde. Le vrai problème que pose cette prétendue couverture maladie universelle de base c’est son caractère onirique. Car comment peut-on prétendre assurer une telle couverture dans un pays où la couverture hospitalière et le ratio de médecin par habitant sont anormalement faibles. Dans la région de Thiès par exemple, l’hôpital régional couvre les départements de Mbour, Tivaone, et Thiès : malgré la cherté relative des soins de santé, cet hôpital étouffe ;  il est carrément au bord de l’asphyxie dans tous les domaines. Qu’adviendra-t-il lorsque la mutualisation universelle suscitera une bousculade vers cet hôpital ? Il semble qu’au lieu d’engager hasardeusement des milliards dans ce processus nébuleux de mutualisation, il fallait concentrer les efforts du gouvernement dans l’accessibilité g des géographique des centres de santé.

Ce n’est pas normal qu’en ce 21e siècle des femmes parcourent à charrette des dizaines, voire une centaine de kilomètres pour voir un urologue ou un gynécologue. Le programme parle vaguement de création d’une dizaine d’hôpitaux  de niveau régional et de centres de santé. Mais aucun chiffre (coût financier) n’a été avancé : est-ce vraiment un programme ? Que dire du caractère obsolète du plateau technique des centres de santé du Sénégal ? Quelle étude sérieuse a permis au Yonnu Yokkuté d’évaluer les coûts du relèvement du plateau technique des centres de santé, de la formation et du recrutement massif de médecins dans les domaines les plus sollicités par les populations ? Dans le Yonnu Yokkuté on projette l’érection d’un Office  national de modernisation et de maintenance des équipements sanitaires et hospitaliers, qui sera une bureaucratie de plus (avec un coût) ; là où le ministère de la santé regorge de directions pouvant prendre en charge ce  projet. La CAPSU (caisse autonome de protection universelle) qui est censée financer en partie la couverture médicale universelle de base est non seulement faussement autonome, mais aussi alimentée de manière (source) aléatoire. Dans le quatrième axe intitulé « D.
 
Devenir un modèle de démocratie efficace » le lecteur du Yonnu Yokkuté est encore noyé dans un torrent de tâtonnements et de curiosités institutionnelles. Déjà dans la rubrique « Gouvernance exemplaire et rassemblée »  la mesure clé annonce la mise en place d’un gouvernement de 25 ministres au maximum : chacun peut constater que ce n’était que de la poudre aux yeux. Mais la plus bizarre de toutes c’est la 3e mesure « réduction du train de vie de la présidence de la république sous contrôle de la cour des comptes et du parlement ».
 
Nous ne pas sommes spécialiste en la matière, mais nous restons persuadé que les comptes de la Présidence ne sauraient être mis sous le contrôle d’une quelconque institution sans remettre en cause une partie du pouvoir discrétionnaire du Président de la république. Certaines dépenses de souveraineté, le financement ponctuel de certaines opérations des services secrets rattachés à la présidence, les diverses sollicitations dont le Président fait l’objet et qui devraient rester totalement confidentielles commenceront à perdre leur essence et leur finalité. Cette mesure nous semble être une utopie dangereuse : le zèle de transparence n’est nullement un gage de transparence.
 
Une autre curiosité est notée dans la rubrique « Réforme de l’administration publique ». La 2e mesure projette « une déconcentration fonctionnelle : les grands ministères stratégiques auront leurs directions générales à Dakar mais toutes les directions sectorielles seront réparties dans les régions ». A-t-on pensé aux conséquences, chez les usagers, de cette dissémination des directions sectorielles dans les régions ? Comment va-t-on articuler cette prétendue déconcentration fonctionnelle à l’acte III de la décentralisation ? Et dans la partie relative à la lutte contre la corruption on mesure toute la dimension du tâtonnement du régime actuel. L’OFNAC, la Cour des comptes, la CNLCC, la CREI (qu’on ne voit d’ailleurs pas ici) : au lieu d’atomiser de façon si intempérante les organismes de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite, il était plus simple et plus pertinent de les fédérer. On aurait ainsi plus d’efficacité, d’efficience et d’économie, mais il semble que la simplicité gène ce régime. En définitive, le régime qui nous gouverne, à travers son Yonnu Yokkuté,  ressemble en fin de compte à un danseur qui chercher laborieusement les pas de danse appropriés à la musique là où chez un vrai danseur la montée sur scène est déjà elle-même une véritable chorégraphie. Au regard de toutes ces considérations, le Yonnu Yokkuté ressemble plutôt à un roman politique d’une vision médiocre.
 
Alassane K. KITANE, professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
 

Alassane K. KITANE

Dimanche 27 Octobre 2013 14:14


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