A la reprise du procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devant la Cour pénale internationale le 6 juillet, les internautes ivoiriens ont dû vaquer à d’autres occupations. Le site internet, sur lequel sont retransmises les audiences, n’affichait rien d’autre qu’une mire de couleur. Les Ivoiriens n’ont qu’à bien se tenir ! C’est un peu la leçon infligée par les juges de la Cour pénale internationale (CPI), le 16 juin dernier. Les audiences impliquant des témoins protégés ne seraient plus retransmises en direct, mais accessibles quelques semaines après leur audition, une fois censurées des éléments permettant de les identifier, décidaient les juges. Seuls ceux présents à La Haye pourront suivre le procès dans la galerie publique, après contrôle de sécurité.
« Ces mesures vont restreindre la possibilité pour le public de suivre en direct le procès,reconnaissait le président Cuno Tarfusser, mais ces mesures sont une réaction à l’action de certaines personnes qui ne représentent certes pas tout le peuple de la Côte d’Ivoire, mais qui ont créé un risque très grave pour l’intégrité de ce procès ainsi que pour la sécurité des témoins ». La raison : des témoins censés être protégés ont été identifiés sur les réseaux sociaux et dans la presse ivoirienne. Pour les juges, « le contexte et l’environnement sont devenus tel que nous pensons que c’est la seule façon d’assurer et de préserver l’intégrité du procès tout en préservant la publicité des débats ».
Un crime passible de cinq ans de prison
Dès le début du procès, le 28 janvier 2016, l’identité des témoins faisait l’objet de nombreuses spéculations. Sur les 13 témoins entendus en six mois, seuls quatre ont déposé publiquement. Les autres ont bénéficié de mesures de protection décidées par la Cour : déposition sous pseudonyme, partie d’auditions à huis clos, voix et visages brouillés. Si la Cour fait porter la faute sur les internautes et journalistes ivoiriens, c’est elle-même qui à plusieurs reprises a identifié ses témoins. Le premier d’entre eux avait, dans le cours de son récit, révélé son identité. Celles de cinq autres, considérés comme des « insiders » par l’accusation, étaient révélées par le procureur, après que le greffe ait oublié de couper la retransmission d’une audience à huis clos.
Mais ce sont les spéculations autour de l’identité d’un député, qui ont passablement énervé les juges. Le 8 juin, le président s’adressait solennel, depuis le prétoire, à la Côte d’Ivoire, prévenant que des enquêtes pourraient être ouvertes pour entrave à la justice, un crime passible de cinq ans de prison et une amende devant la Cour. Cuno Tarfusser décidait d’abord de tenir la suite de l’audience à huis clos, mais c’est le témoin lui-même qui s’y opposait. « Je suis venu ici pour contribuer à la manifestation de la vérité, disait-il. Je peux vous rassurer, monsieur le juge président, qu’il n’est pas opportun que cette audition se fasse à huis clos ». Puis « j’insiste, je vous le demande, je souhaite continuer ma déposition de façon publique. »
Contre l’avis de son propre témoin, le procureur Eric McDonald demande aux juges de prendre en compte les conclusions de l’Unité de la Cour, chargée de la protection des témoins. « Le témoin est adulte ! », s’oppose immédiatement l’avocat de Laurent Gbagbo. « C’est une personne qui a un niveau d’éducation (…) Je ne comprends pas cette volonté de mettre sous tutelle des êtres humains qui ont pris leurs responsabilités ». Maître Claver Ndri, l’un des avocats de Charles Blé Goudé, enchaîne. « Le témoin vit en Côte d’Ivoire, il connaît la réalité sociologique de la Côte d’Ivoire. Il connaît l’état de la politique en Côte d’Ivoire. Il ne revient pas au procureur, de façon théorique, d’apprécier l’état de sécurité du témoin ». Acculés, les juges décident de revenir provisoirement sur leur décision, mais quelques jours plus tard annoncent que le reste du procès ne sera plus en direct.
Simone Gbagbo est jugée en public
Alors que le procès de Laurent Gbagbo se tient à La Haye, son épouse, Simone Gbagbo, est, elle, jugée à Abidjan. Au procès, les témoins défilent publiquement. Le procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé se tient à La Haye, à quelque 6 000 km des sites de crimes, des victimes et des protagonistes de la crise ivoirienne de 2010-2011. Les trois magistrats chargés de décider du sort de l’ancien président et de son éphémère ministre de la Jeunesse ont allongé un peu plus la distance, qui suscite déjà bien des suspicions en Côte d’Ivoire. Sur le site Ivoire Justice, qui couvre le procès en intégralité, un Ivoirien écrivait : « On ne se cache pas quand on est dans le vrai ».
Source: Rfi.fr
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