Dans trois semaines exactement, la Cour de répression de l’enrichissement illicite rendra le verdict dans le procès de Karim Wade et de ses co-prévenus. Quelle analyse globale faites-vous de ce procès ?
C’est un moment très fort de la démocratie sénégalaise. Il y a quelques années, on ne pouvait pas imaginer que le fils d’un ancien président puisse être arrêté et poursuivi par la justice. Vu donc sous cet angle, c’est quelque chose d’important dans la vie sociale et politique de notre pays. Les avocats et les conseillers de Karim Wade ont mis en place une stratégie de défense ayant pour soubassement de faire croire à l’opinion publique que Karim Wade est un prisonnier politique. Ce procès est un test grandeur nature pour notre démocratie.
Sept ans de prison ferme, 250 milliards FCFA d’amende, la confiscation des biens présents et la privation des droits prévus dans l’article 34 du Code pénal contre Karim Wade… Ressentez-vous de l’acharnement dans la peine requise contre lui par le parquet spécial ?
Dans une démocratie, il y a ce qu’on appelle la séparation des pouvoirs et chaque pouvoir a son mode de fonctionnement. Aujourd’hui, il s’agit du pouvoir judiciaire, les juges se disent indépendants, donc s’ils arrêtent une sanction, le peuple, en bon démocrate, doit pouvoir s’aligner. Le procureur représente l’Etat, il est dans son rôle et il revient au juge Henri Grégoire Diop, dans son intime conviction, de rendre le jugement qu’il faudra. Personnellement, je ne commenterai pas la décision de justice.
Quel impact cela pourrait avoir dans la vie politique sénégalaise si le juge décidait d’appliquer la peine requise par le procureur contre Karim Wade ?
Les libéraux (membres du Parti Démocratique Sénégalais, Ndlr) disent que Macky Sall a mis Karim Wade en prison parce que ce dernier serait un adversaire redoutable contre lui pour la prochaine élection présidentielle. Ceci dit, si Karim Wade venait à être condamné, le rêve de faire face à l’actuel président lors de la présidentielle de 2017 sera brisé. Ensuite, ce sera un signal fort à l’endroit des hommes politiques qui sont au pouvoir ou qui aspirent au pouvoir, pour dire que le temps de l’impunité est terminé. Si quelqu’un fait une mauvaise gestion des deniers publics, il devra répondre devant la loi. A partir de ce procès, les hommes politiques sauront désormais à quoi s’en tenir.
Une partie importante de la presse et de la classe politique sénégalaises jugent ‘‘outrageux’’ les récents propos d’Abdoulaye Wade contre Macky Sall. La nature des propos de l’ancien président est-elle fonction du degré de rupture entre les deux hommes ?
Cet acharnement s’explique par le fait que son fils, Karim Wade, est en prison. Lorsque, après deux ans d’exil en France, Abdoulaye Wade a décidé de rentrer au Sénégal, les libéraux ont fait un tapage médiatique pour annoncer le retour du ”vieux” (89 ans). Je me souviens avoir pris ma plume pour dire aux gens que le vieux qu’ils célèbrent est traversé par un double drame: il n’a jamais pardonné au peuple sénégalais de l’avoir évincé en mars 2012 et puis il y a le fait que son fils est enfermé. Il doit se dire : ”C’est moi qui ai confié tant de responsabilités à mon fils et voici que cela se retourne contre lui”. Aujourd’hui, pour pouvoir dormir du sommeil du juste, il se bat bec et ongles pour libérer son fils. Cette réaction est donc à mettre au compte de cette pression morale qu’il subit. Il se disait que la justice n’irait pas jusqu’au bout de sa logique par rapport à son fils, et il se rend compte que c’est le contraire. Alors, il joue contre la montre et le temps est contre lui. Les réactions d’Abdoulaye Wade sont allées crescendo et aujourd’hui, nous avons atteint le summum de l’insanité.
Le président Macky Sall dit qu’il aurait préféré ne pas avoir entendu ces propos d’Abdoulaye Wade pour qui, il dit avoir de ”l’affection”…
Cette réaction met Macky Sall dans une posture de grandeur par rapport à la petitesse d’un ancien président qui a atteint les cimes de l’insanité. Nous sommes dans un jeu de communication politique. D’un côté on a un méchant et de l’autre, un bon. Le bon dit : ‘‘Malgré tout ce qu’il me fait, j’ai de l’affection pour lui.’’
... et croyez-vous en la sincérité de la réponse de Macky Sall ?
Non, ce n’est pas sincère ! Je sais que les propos de Wade lui ont fait mal, l’ont révolté intérieurement. Mais en tant que chef de l’Etat, il ne peut pas réagir comme tout le monde et s’il avait eu la maladresse de le faire, les gens le lui auraient reproché. Heureusement pour lui qu’il est resté dans la posture d’un chef d’Etat. Si Macky Sall se met au même niveau qu’Abdoulaye Wade, c’est son image qui en prendra un coup. Aujourd’hui, il a gagné en sympathie au moment où l’autre a atteint le pic de l’insanité, en disant : ‘‘J’ai beaucoup d’affection pour lui, c’est mon papa, je ne peux pas le mettre en prison’’. Alors, dans cette affaire c’est Macky Sall qui en sort gagnant parce que même les chefs religieux, les libéraux, ses proches, l’opinion entière, se sont retournés contre Abdoulaye Wade.
Macky Sall revient d’une tournée économique en Casamance, sa troisième visite officielle dans cette région depuis son accession à la magistrature suprême en 2012. Que vous inspire cette visite pleine de promesses et de réalisations ?
Le fait d’aller à la rencontre des populations dans le Sénégal profond, de discuter avec elle et d’être à leur écoute, c’est la moindre des choses qu’on demande à un président. C’est son rôle et il doit le faire. Ces tournées économiques avaient été initiées par Léopold Sédar Senghor, Macky Sall poursuit l’œuvre de ses devanciers. Mais le plus important est de voir si ces tournées apportent quelque chose de bon aux populations. A Zinguinchor, à Sédhiou et à Kolda, les populations ont dit leur satisfaction par rapport à la diminution du prix du ticket de bateau qui entrera bientôt en vigueur. C’est ce genre de choses concrètes et immédiatement applicables qu’on souhaite voir. Maintenant, il ne faut pas se leurrer car toutes les promesses qui ont été faites ne seront pas réalisées. Macky Sall est avant tout un homme politique même s’il prétend être aujourd’hui à l’écoute des populations.
‘‘Macky Sall appâte la Casamance’’ selon la presse sénégalaise. Voyez-vous aussi, dans cette tournée, une opération de séduction?
Il y a bel et bien une opération de séduction qui vise l’horizon 2017. Macky Sall veut séduire les Casamançais en leur offrant ce qu’ils attendent. C’est un peuple enclavé à qui il a promis le désenclavement, une région où on note une pauvreté galopante. Quand vous faites un tel geste, les populations ne peuvent que succomber. Après, un homme politique qui ne séduit pas, ne peut pas être écouté. Si l’élection présidentielle était prévue pour demain, Macky Sall gagnerait la Casamance parce qu’elle a été très satisfaite de cette tournée.
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