Les meilleurs amis du «Monde»


Presse. D’ici à la fin du mois, le quotidien du soir, à la santé financière précaire, devra trouver un repreneur. Plusieurs candidats sont en lice, mais combien d’offres fermes seront déposées ?



Le Monde est à vendre. Aucune offre ferme n’a encore été déposée mais les investisseurs intéressés défilent dans la data room pour regarder de près le dossier. La mariée ne peut laisser indifférente. La mise, elle, n’est pas à prendre à la légère. Le besoin en recapitalisation du groupe a été évalué à 60 millions d’euros au bas mot. Il suppose le remboursement anticipé des ORA (obligations remboursables en actions), dont il reste un coquet reliquat de 69 millions, renégocié à la baisse. Il suppose le remboursement du prêt de 25 millions d’euros contracté en 2009 avec Télérama en gage. Mais ce ne serait pas suffisant.

Malgré les déclarations lénifiantes du directoire dans le Journal du dimanche le 30 mai, la situation n’est pas aussi saine. Même si le duo Eric Fottorino et David Guiraud a mis tout en œuvre depuis deux ans pour redresser l’entreprise (vente de filiales, guichet départs, rationalisation des coûts, relance du quotidien, etc.). «Si autant d’investisseurs tournent autour, c’est parce que le groupe a été mis à niveau», murmure un journaliste. Le groupe (qui compte le quotidien du soir et Télérama, mais aussi la Vie, Courrier international…) affiche 25 millions d’euros de pertes en 2009 pour un chiffre d’affaires de 400 millions.

La filiale Le Monde Imprimerie, qui nécessite une modernisation évaluée entre 20 et 25 millions, est à la recherche d’un actionnaire majoritaire. Depuis l’été, le directoire discutait avec un investisseur espagnol associé «à un important investisseur financier français». Mais la négo n’a toujours pas abouti. La direction avait pourtant prévu de régler le problème avant la recapitalisation. Or, les deux se télescopent aujourd’hui. Les prétendants ont à compter avec l’inconnue industrielle et une probable négociation avec le syndicat du Livre. Le dossier se complique. Et certains candidats sont moins enthousiastes qu’au départ. Ainsi, Claude Perdriel, patron du Nouvel Observateur : «Les pertes sont plus importantes que je ne le mesurais, l’imprimerie perd beaucoup d’argent et menace l’équilibre financier du Monde», explique-t-il à Libération.

Le calendrier est serré, puisque les candidats ont jusqu’au 14 juin, date du prochain conseil de surveillance, pour déposer des offres fermes. Petit tour des prétendants putatifs ou déclarés, alors que d’autres seraient sur les rangs.

«Le Nouvel Observateur»


Avant le communiqué du groupe de Claude Perdriel tombé le 11 mai, aucun candidat ne s’était déclaré. Longtemps redoutée, l’hypothèse Lagardère, actionnaire à 17,27% du Monde SA et prioritaire à ce titre, semblait écartée. Lagardère lui-même déclarait qu’il ne comptait pas enchérir. Curieusement, le sauvetage du Monde ne semblait pas rameuter les foules. Le 11 mai, le Nouvel Observateur, déjà actionnaire et administrateur du groupe depuis 2002, fait sa déclaration : il «ne peut rester indifférent et souhaite contribuer à une solution qui préserve» l’indépendance du Monde. Autrement dit, ne pas laisser tomber le journal d’Hubert Beuve-Méry sous la coupe de groupes économiques ou politiques qui mettraient en péril sa liberté éditoriale.

La position de Claude Perdriel est claire : prendre le contrôle en apportant 50 à 60 millions. Depuis, après passage dans la data room, l’élan s’est un peu refroidi. «Nous n’avons pas les moyens et le souhait d’y aller seul, explique-t-il. Et nous cherchons des associés à hauteur de 30 à 40% avec lesquels nous pourrions nous entendre et aller dans un même esprit de respect de l’indépendance éditoriale et de respect des sociétés de personnel.» Serait-ce avec le groupe espagnol Prisa, dont il connaît bien le patron, Juan Luis Cebrián ? Ou avec le groupe italien L’Espresso ? Perdriel estime ainsi jusqu’à 80-90 millions le besoin de financement pour mener à bien le redressement de l’entreprise et pour financer aussi des départs volontaires.

Bergé-Pigasse-Niel


Le coming out du Nouvel Obs en a immédiatement suscité d’autres. Le jour même, un tandem composé de l’homme d’affaires Pierre Bergé (actionnaire de Libération) et de Matthieu Pigasse, haut responsable de la banque Lazard et propriétaire du magazine les Inrockuptibles, dévoilait son intention de se porter candidat à la recapitalisation du Monde. Les deux hommes ont été rejoints le 27 mai par Xavier Niel, fondateur d’Iliad (maison mère de Free). Le trio a d’emblée mis 80 millions d’euros dans la balance, voire plus, pour prendre le contrôle du groupe du boulevard Blanqui. De quoi en imposer, d’autant que les trois hommes qui seront associés à parts égales ont en projet une holding baptisée «Le Monde Libre». S’il est beaucoup question de gros sous, il ne faut en effet pas reléguer le sujet de l’indépendance du fleuron de la presse française aux oubliettes (lire ci-contre). C’est en tout cas le dossier le plus mûr, avec un dépôt probable de l’offre la semaine prochaine.

Le Suisse Ringier


Dans la foulée, nouveau rideau soulevé, sur un francophone cette fois. La presse française attire en effet les convoitises étrangères. «Nous avons une grande chance en France, fait remarquer à Libération Jean-Clément Texier, président de Ringier France, les dossiers de journaux en recherche de capitaux ne manquent pas… Ça va, ça vient.» Le groupe zurichois Ringier, dont le patron, Michael Ringier, était récemment de passage à Paris, étudie le dossier. Il l’avait déjà fait en 1995. «Nous ne pouvons être indifférents au sort du Monde, notre associé dans le Temps [à 2%, Ringier en détenant 47%, ndlr]», justifie Jean-Clément Texier. Il modère cependant :«Demander un dossier et le regarder profondément ne veut pas dire être candidat.» Petit problème technique : le plafond d’investissement autorisé de sociétés hors Union européenne en France est à 20%. Jean-Clément Texier ne doute pas que la législation progresse rapidement. Ringier en tout cas «ne compte pas décider dans la précipitation comme on lance des dés sur une table». «Nous devons d’abord nous faire notre religion», conclut-il.

Les Européens

Quelle est «la religion» de Carlo de Benedetti, propriétaire du groupe L’Espresso, qui édite le magazine du même nom et le quotidien La Repubblica ? Difficile de savoir, son intérêt ne serait pour l’instant qu’officieux et il n’a pas encore rencontré le conseil de gérance de la Société des rédacteurs du Monde (SRM). Le groupe italien peut-il être associé à un autre candidat en recherche de partenaires pour faire la rue Michel ? Le groupe de communication espagnol Prisa (El País), qui est déjà un des principaux actionnaires du Monde (à 15,01%), est aussi intéressé. Mais il est actuellement confronté à de lourdes pertes et à une prise de contrôle par le fonds américain Liberty Acquisition.

La date butoir pour le dépôt des offres fermes est fixée à la mi-juin, un conseil de surveillance se tenant le 14. Y aller seul, avec un autre ou passer son tour… Les prétendants réfléchissent encore. Une fois des offres fermes mises sur la table, le directoire fera une recommandation, même chose du côté de la SRM. Le 30 juin, une assemblée générale des actionnaires entérinera une option. Encore au moins quinze jours de presse-fiction, avant un autre Monde.

Liberation.fr

Samedi 5 Juin 2010 13:25


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