Les vraies raisons du limogeage d'El Hadji Amadou Sall

El Hadji Amadou Sall, l’avocat, Garde des sceaux, limogé vendredi 11 juin dernier est-il victime d’une cabale orchestrée par certains membres de la haute hiérarchie judiciaire ? Ou a-t-il été perdu par les « dossiers » brûlants ?



Le désormais ancien ministre de la Justice, Garde des sceaux, El Hadji Amadou Sall
La presse nationale et internationale qui s’est intéressée au cas a été unanime à créditer d’une appréciation favorable Me El Hadji Amadou Sall, ministre d’Etat, ministre de la Justice, Garde des sceaux limogé vendredi 11 juin dernier par le président de la République. Elle a trouvé qu’il n’était coupable d’aucune faute connue du grand public. Mieux, elle a même jugé que le désormais ancien ministre aura travaillé à redorer le blason de la Justice qui avait été bien terni par les « affaires » qui foisonnent depuis 2000. Il a fait preuve d’une indépendance louable qui a rassuré les justiciables, ont pensé plusieurs observateurs. Des témoignages qui renforcent sa crédibilité d’homme politique et d’Etat, affermissent son leadership au moment où il quitte l’attelage gouvernemental et se dégager à nouveau de l’espace de l’Exécutif. Ces attestations desservent également ses contempteurs ainsi que Me Wade, le président de la République qui envoie du point de vue de la perception un « mauvais » signal à l’opinion nationale et internationale dans cette affaire.

Sa brusque et subite disgrâce n’en suscite pas moins des interrogations. Qu’est-ce qui s’est passé entre le jeudi 10 juin date du Conseil des ministres et le lendemain, vendredi 11 juin où il a été remercié par le chef de l’Etat ? Quel est l’élément nouveau ou l’information nouvelle portée à la connaissance du premier magistrat pour fonder sa religion et l’amener à se séparer de son ministre ? Qui sont les gens qui l’ont entrepris et travaillé au corps ? Quels ont été leurs arguments ? El Hadji Amadou Sall est-il la dernière victime d’une cabale orchestrée par certains membres de la haute hiérarchie judiciaire ? Est-il perdu par les « dossiers » brûlants qui se sont amoncelés sur sa table depuis quelques mois maintenant ?

Cabale de la haute hiérarchie ?

L’avocat appelé à la tête du département en décembre 2009 n’aura tenu que six mois. Pourtant, même si comme le rappellent non sans pertinence nos confrères de « l’Observateur » dans leur édition du week-end, il se savait sur une pente raide et glissante, rien n’indiquait que le président de la République allait se séparer aussi brutalement de lui. Un divorce qui laisse croire à une incompatibilité d’humeur qui ne pouvait souffrir d’aucun prolongement du compagnonnage. Pour certains de ses amis, « le chef de l’Etat à qui l’on prête le souci de remanier en profondeur son équipe aurait pu attendre ce moment, si tant est que Me Sall ne lui donnait plus satisfaction pour se séparer de lui, au lieu d’opérer ce limogeage alors que lui-même ne motive aucunement ce licenciement. Que reproche-t-on à Sall ? », s’interrogent-ils amers.

Dans les milieux judiciaires, on ne manque pas cependant de faire le corollaire entre l’audience accordée par le chef de l’Etat jeudi 10 juin dernier à une haute autorité judiciaire et son soudain remerciement. Cette haute autorité judiciaire a-t-il « vendu » ou crédibilisé auprès du président de la République la thèse qui voudrait que le Garde des sceaux n’avait pas l’aval de la haute hiérarchie de la magistrature ? Une thèse que certains parmi les détracteurs d’El Hadji Amadou Sall véhiculaient à grands renforts de confidences dans les couloirs des Cours et tribunaux, au palais de la République et dans certains cercles « d’initiés » de Dakar où l’on fait et défait à longueur de journée gouvernements, administration et directions de société. Les « promoteurs » d’une telle thèse travaillent-ils pour qui et pourquoi ? interrogations justifiées, quand on sait que le Garde des sceaux n’a pas encore eu le temps de dire ouf à son poste étrenné, il y a juste cinq mois. Par conséquent de poser des actes qui auraient indisposé qui que ce soit au sein de la famille judiciaire à plus forte raison, la haute hiérarchie et qui amèneraient les hauts magistrats à demander sa tête. Toujours est-il que d’aucuns pensent que l’oreille du « Vieux » aura été bien « mâchouillée » dans cette affaire. Par qui, pour qui et pourquoi ? Mystère encore, mais les langues vont vite se délier.

Les dossiers

Les « blanchisseurs » d’argent sale de Turcs ou accusés comme tels, retenus dans les liens de la prévention en attendant d’être jugés, les dossiers brûlants de la Centif, ceux de l’Agence de régulation des télécommunications et postes (Artp). Des Assurances, de la Société africaine de raffinage (Sar) avec l’histoire ici encore des primes, de la Commission de lutte contre la corruption et la concussion, (Clcc) et de l’Agence de régulation des marchés publics (Armp). La liste n’est pas exhaustive. El Hadji Amadou Sall a hérité de tous ces dossiers dont certains se sont révélés assurément « incandescents ».

Dans l’affaire du blanchiment de capitaux reprochée à la ressortissante guinéenne épouse de l’ex-consul d’Italie au Sénégal, estimés à près de deux milliards de francs Cfa, n’a-t-on pas tenté de corrompre certaines autorités ? Ce dossier fait cependant l’objet d’une surveillance internationale. L’affaire a été mise en délibérée au moment où El Hadji Amadou Sall quitte le 7e étage du building administratif. Gageons que l’indépendance de la justice sera préservée à ce niveau.

N’empêche, tous ces dossiers qui mettent en cause souvent des personnalités du régime et qui font l’objet d’une médiatisation ou d’un suivi médiatique certain, ne sont pas pour arranger les choses pour le Garde des sceaux. A-t-il été moins docile ? N’a-t-il pas penché là où on voulait ? Il est emporté en tout cas.

Madior Fall (Sud)

Lundi 14 Juin 2010 11:03


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