Lilyan Kesteloot est une des meilleures connaisseurs de l'oeuvre césairienne.Elle est professeur de lettres africaines à Dakar et auteur de nombreuses oeuvres d'analyse et de présentation. DR
Vous venez de publier des éditions critiques consacrées à Ferrements et à Moi, laminaire d’Aimé Césaire. Comment ces deux recueils s’inscrivent-ils dans l’ensemble de l’œuvre d’Aimé Césaire ? Lilyan Kesteloot : Les poèmes qui composent ces deux recueils ont été écrits entre les années 1945 et 1980. Rappelons que la première version du Cahier d’un retour au pays natal date de 1939. Césaire avait alors 26 ans. Il a évolué depuis, appris à assumer des responsabilités dans la cité. La poésie qui découle désormais de sa plume est une poésie de maturité, nourrie des déceptions et des fractures que connaît le poète-politicien à cette époque.
Des fractures qui sont essentiellement idéologiques…
En effet, la grande affaire à l’époque, c’est la rupture de Césaire avec le Parti communiste, qui survient en 1956. Comme Césaire est un homme entier, sa politique a nécessairement des répercussions sur sa poésie qui est l’expression de son être profond. La séparation avec ses camarades communistes antillais qui le traitent de tous les noms, est vécue comme une blessure et elle a laissé des traces « physiques » dans la poésie de Césaire. A la douleur de la rupture s’ajoute le désenchantement lié à l’évolution de l’Afrique. Le grand espoir suscité par les indépendances africaines s’était évanoui. D’où ce sentiment général de frustration et de mélancolie qui traverse les deux recueils.
Peut-on dire que ces poèmes annoncent la fin de la négritude qui fut le thème central du Cahier d’un retour au pays natal ?
C’est en effet la fin de la négritude conquérante incarnée par la thématique du « nègre debout » qui a été l’un des ressorts de la pensée poétique de Césaire. Mais la négritude renvoie aussi à l’histoire de l’homme noir, une histoire qui continue de peser sur son présent. Cette histoire est là dès le titre du premier recueil : Ferrements. Ce mot se réfère explicitement aux chaînes, carcans, fer rouge et autres objets métalliques constitutifs de l’odieuse panoplie du négrier. Les poèmes renvoient à une réminiscence corporelle de l’esclavage. Toutefois, chemin faisant, « Ferrements » deviennent par la volonté du poète « ferment », germe de révolte et de renouveau. C’est le mouvement fondamental de la poésie de Césaire qui finit toujours sur un renversement de position, après l’accablement, l’épanouissement. Avec Moi, laminaire qui est le dernier recueil de poèmes que Césaire a publié, nous retrouvons quelque chose de la subjectivité qui avait caractérisé le Cahier dans la mesure où le poète se met de nouveau en scène, aux prises avec sa langue, ses mythes et ses quêtes. Le but est de récapituler le sens de toute l’entreprise poétique césairienne.
On a fêté en juin dernier le centenaire d’Aimé Césaire. Avez-vous l’impression que son œuvre est aujourd’hui mieux comprise ?
Je ne sais pas si son œuvre est mieux comprise aujourd’hui, mais il y a eu au cours des dernières décennies une prise de conscience indéniable de l’importance de cette écriture militante et rebelle. Qui connaissait Césaire en 1939 quand il a publié son Cahier d’un retour au pays natal qui était pourtant un grand poème prémonitoire ? Aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour reconnaître que le barde de la Martinique compte parmi les plus grands poètes français du XXe siècle. La grandeur de son œuvre littéraire ne se mesure pas seulement à la qualité de son style ou de sa verve, mais aussi à sa façon de rejoindre les préoccupations de son époque. Mieux que personne, Césaire a su donner la voix aux inquiétudes politiques, sociales, humanitaires ou raciales de son temps. Sans pour autant sacrifier son exigence artistique à l’autel du militantisme. Pour moi, un haut degré de poéticité allié à un égal degré de conscience des problèmes planétaires est la marque de fabrique de l’œuvre césairienne.
Qu’en est-il de la postérité d’Aimé Césaire ?
Il faut plutôt la chercher, à mon avis, du côté de l’Afrique où Césaire était davantage lu qu’en France ou aux Antilles. Rien ne le rendait plus heureux que d’entendre les jeunes réciter ses poèmes en public. Il était aux anges quand on lui disait que son œuvre était au programme de tel ou tel concours. Quant aux poètes africains qui se réclament de lui, ils sont de plus en plus nombreux, me semble-t-il. Au moins trois noms me viennent à l’esprit : le Sénégalais Elie-Charles Moreau qui perpétue la sensibilité rebelle et militante de Césaire, le Congolais Mukala Kadima-Nzuji et l’Ivoirienne Véronique Tadjo. Tous les trois se situent résolument dans la mouvance césairienne tant par leurs thématiques militantes que par la modernité de leur écriture.
Source : Rfi.fr
Des fractures qui sont essentiellement idéologiques…
En effet, la grande affaire à l’époque, c’est la rupture de Césaire avec le Parti communiste, qui survient en 1956. Comme Césaire est un homme entier, sa politique a nécessairement des répercussions sur sa poésie qui est l’expression de son être profond. La séparation avec ses camarades communistes antillais qui le traitent de tous les noms, est vécue comme une blessure et elle a laissé des traces « physiques » dans la poésie de Césaire. A la douleur de la rupture s’ajoute le désenchantement lié à l’évolution de l’Afrique. Le grand espoir suscité par les indépendances africaines s’était évanoui. D’où ce sentiment général de frustration et de mélancolie qui traverse les deux recueils.
Peut-on dire que ces poèmes annoncent la fin de la négritude qui fut le thème central du Cahier d’un retour au pays natal ?
C’est en effet la fin de la négritude conquérante incarnée par la thématique du « nègre debout » qui a été l’un des ressorts de la pensée poétique de Césaire. Mais la négritude renvoie aussi à l’histoire de l’homme noir, une histoire qui continue de peser sur son présent. Cette histoire est là dès le titre du premier recueil : Ferrements. Ce mot se réfère explicitement aux chaînes, carcans, fer rouge et autres objets métalliques constitutifs de l’odieuse panoplie du négrier. Les poèmes renvoient à une réminiscence corporelle de l’esclavage. Toutefois, chemin faisant, « Ferrements » deviennent par la volonté du poète « ferment », germe de révolte et de renouveau. C’est le mouvement fondamental de la poésie de Césaire qui finit toujours sur un renversement de position, après l’accablement, l’épanouissement. Avec Moi, laminaire qui est le dernier recueil de poèmes que Césaire a publié, nous retrouvons quelque chose de la subjectivité qui avait caractérisé le Cahier dans la mesure où le poète se met de nouveau en scène, aux prises avec sa langue, ses mythes et ses quêtes. Le but est de récapituler le sens de toute l’entreprise poétique césairienne.
On a fêté en juin dernier le centenaire d’Aimé Césaire. Avez-vous l’impression que son œuvre est aujourd’hui mieux comprise ?
Je ne sais pas si son œuvre est mieux comprise aujourd’hui, mais il y a eu au cours des dernières décennies une prise de conscience indéniable de l’importance de cette écriture militante et rebelle. Qui connaissait Césaire en 1939 quand il a publié son Cahier d’un retour au pays natal qui était pourtant un grand poème prémonitoire ? Aujourd’hui, tout le monde est d’accord pour reconnaître que le barde de la Martinique compte parmi les plus grands poètes français du XXe siècle. La grandeur de son œuvre littéraire ne se mesure pas seulement à la qualité de son style ou de sa verve, mais aussi à sa façon de rejoindre les préoccupations de son époque. Mieux que personne, Césaire a su donner la voix aux inquiétudes politiques, sociales, humanitaires ou raciales de son temps. Sans pour autant sacrifier son exigence artistique à l’autel du militantisme. Pour moi, un haut degré de poéticité allié à un égal degré de conscience des problèmes planétaires est la marque de fabrique de l’œuvre césairienne.
Qu’en est-il de la postérité d’Aimé Césaire ?
Il faut plutôt la chercher, à mon avis, du côté de l’Afrique où Césaire était davantage lu qu’en France ou aux Antilles. Rien ne le rendait plus heureux que d’entendre les jeunes réciter ses poèmes en public. Il était aux anges quand on lui disait que son œuvre était au programme de tel ou tel concours. Quant aux poètes africains qui se réclament de lui, ils sont de plus en plus nombreux, me semble-t-il. Au moins trois noms me viennent à l’esprit : le Sénégalais Elie-Charles Moreau qui perpétue la sensibilité rebelle et militante de Césaire, le Congolais Mukala Kadima-Nzuji et l’Ivoirienne Véronique Tadjo. Tous les trois se situent résolument dans la mouvance césairienne tant par leurs thématiques militantes que par la modernité de leur écriture.
Source : Rfi.fr