Macky Sall : une sculpture médiatique ou un chef d’État ?



« L’art de la bonne gouvernance consiste à se fixer des objectifs dans les limites de ce qu’une société peut accepter. Il ne faut ni aller au-delà ni rester en-deçà ». Si l’auteur de ce propos, Henry Kissinger, a raison, le régime du Président Macky Sall a démontré, par sa cacophonie habituelle, qu’il s’est résolument inscrit dans la mal gouvernance.
 
Après avoir fait preuve d’un lamentable amateurisme dans la gestion de la crise de l’eau, il se complait dans une mise en scène choquante : une gestion médiatique de la pénurie d’eau qui frappe la capitale sénégalaise. Cette crise de l’eau a au moins le mérite de nous informer une fois de plus sur l’ampleur de l’imposture qui règne sur le Sénégal depuis l’avènement de Macky Sall.
 
Les Sénégalais qui ont suivi le journal télévisé de ce vendredi 27 septembre 2013 ont été stupéfaits de voir leur Président dans une tenue militaire embarqué dans un hélicoptère de l’armée pour prétendument « diriger des opérations » fictives sur le front déshonorant d’une pénurie d’eau digne du moyen-âge. En voulant faire un grand coup médiatique, les autorités ne sont pas rendu compte que la seule chose réussie par une trouvaille aussi burlesque est de donner encore une preuve de leur mode de gouvernance en fanfaronnade : une communication à outrance et sans vergogne. En voulant mystifier le peuple on a donné une vie et des habits au ridicule : en quoi le port d’un treillis militaire et un griffonnage télévisé dans un hélicoptère peuvent-ils impacter sur la réalité d’un calvaire historique ? N’est-ce pas la preuve, encore une fois, que c’est la méthode de la théâtralisation qui est le masque qui cache l’absence de vision et de solution de ce régime ? Au lieu dire la vérité aux Sénégalais et de leur avouer son incompétence, on leur offre des sucettes de consolation et des spectacles hollywoodiens. Quand-est qu’on va cesser de jouer avec le destin des Sénégalais en les manipulant de façon si honteuse ?
 
Ce maquillage est absolument inadmissible car c’est une tortueuse entreprise de sublimation d’un malheur collectif en prestige d’un seul homme. La bonne gouvernance interdit de faire du malheur du peuple le matériau de la sculpture d’un homme politique visiblement très en deçà de ce qu’on était en droit d’attendre de lui. On ne peut gouverner un pays par la seule communication, on ne peut pas résoudre les problèmes du Sénégal par le saupoudrage et le folklore. On se demande d’ailleurs comment peut-on théâtraliser la fonction de Président de la république à ce point et prétendre être républicain ?
 
Á l’époque de Platon déjà le problème de la manipulation et de la fabrication de l’opinion s’était posé avec acuité, ce qui l’avait avait amené à stigmatiser les sophistes sous le vocable de doxosophes « expert ou techniciens de l’opinion ». Aujourd’hui Platon se serait ressuscité au Sénégal, il reconnaîtrait ces doxosophes dans les couloirs du pouvoir actuel. On abuse le Président en lui vendant une fausse science de la communication qui tôt ou tard dévoilera sa platitude et son manque de fondement dans la réalité culturelle, politique et sociale de notre pays. Il faut arrêter ce cirque avant que la riposte du peuple ne sonne avec fureur.

Le rafistolage et le mensonge ne sont pas des méthodes pérennes de gouvernance. L’état d’ébriété  communicationnelle dans lequel évolue ce gouvernement illustre qu’il mise davantage sur la communication que sur la prise en charge intelligente et efficiente des vrais problèmes du pays. Ça tâtonne, ça baragouine, ça gazouille intensément, mais ça travaille peu. La métaphore de la marrée pourrait illustrer l’illusion d’une gouvernance médiatique telle qu’elle fonctionne aujourd’hui avec Macky Sall. La marrée haute n’est pas un signe ou une preuve d’augmentation du volume de l’océan : c’est juste un mouvement de l’eau entrainé par l’effet de l’attraction lunaire sur les mers. Si la communication pouvait bâtir un pays, il y aurait une grande civilisation appelée « abeillerie », car même les abeilles savent faire des opérations de communication complexes.

La vraie communication d’un homme d’État ingénieux se moque de la communication, c’est à la fois une vision claire et cohérente et un chapelet de réalisations dont l’utilité sociale et économique transcende sa Présidence et même sa vie. Au lieu de poser les vraies questions et de prendre les véritables mesures, le gouvernement et certains de ses satellites dans l’espace médiatique et dans le ciel lugubre de la société civile préfèrent ergoter sur l’incivisme de quelques manifestants qui brulaient des pneus. C’est vrai que la violence est difficilement et rarement légitime, mais le mensonge d’État n’est-il pas une forme de violence plus cynique ?
 
Á leur sophisme et à leur mauvaise foi on opposera cette sentence de Sartre dans la Préface de l’œuvre de Franz Fanon Les Damnés de la terre : « Il n’est pas de douceur qui puisse effacer les stigmates de la violence. Seule la violence a le pouvoir de les détruire ». Tandis qu’ils croient maintenir le peuple sous la coupole d’une communication qui nivelle les consciences ou les endormit, les manifestants et les hommes libres sont en train de poser les jalons d’une véritable archéologie du mensonge politico-médiatique qui règne sur notre pays.
 
La communication est un lien délicat : dès qu’on communique on brise les mystères, on réduit les distances ; mais en même temps la communication démythifie et démystifie même. Voilà ce que les experts en communication qui leurrent Macky Sall ont oublié de lui faire comprendre. « Seul le silence est grand, tout le reste n’est que faiblesse » disait Alfred Sauvy, le jour où ce gouvernement comprendra cette sagesse ce sera trop tard.
 
Alassane K. KITANE, professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès.

Alassane K. KITANE

Samedi 28 Septembre 2013 12:22


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