Madagascar: la Haute Ville d'Antananarivo sous la menace permanente des glissements de terrain

À Madagascar, la saison des pluies menace Antananarivo. À cette période, qui va de novembre à avril, des milliers de Tananariviens vivent dans la crainte constante des glissements de terrain et des éboulements. La capitale est connue pour ses collines et surtout sa Haute Ville, cœur historique, mais aussi la zone la plus vulnérable aux chutes de roches. Des éboulements qui font des morts, des blessés chaque année. Le Bureau national de gestion des risques et des catastrophes a demandé à ceux qui vivent dans les quartiers implantés sur les versants de la colline de quitter leurs domiciles.



Des dizaines de drapeaux rouges quadrillent Ambanin'Ampamarinana. Dans ce quartier à flanc de colline, surplombé par le Palais de la reine, monument le plus emblématique de la capitale Antananarivo, une centaine de petites maisons sont sous la menace de blocs rocheux. « Le risque de glissements de terrain est imminent et permanent », prévient Lalah Christian Andriamirado, docteur en géologie et technicien au sein du Bureau national de gestion des risques et des catastrophes (BNGRC). « Nous avons déjà installé plus de 100 drapeaux rouges sur les versants ouest, est et sud qui sont les zones les plus à risques. L'idée, c'est de traduire une alerte de manière visuelle et d'attirer l'attention des habitants sur le danger », poursuit-il. Un danger qui pèse sur un peu plus de 2 000 Tananariviens, selon les statistiques des autorités. Adossée contre le mur de l'une des maisons du quartier, Florence a les yeux fixés vers les blocs de roches qui dominent l'horizon. Pour cette mère de trois enfants, célibataire, venir habiter à Ambanin'Ampamarinana n'a pas été un choix. « Quand j'ai déménagé, je savais que c'était dangereux, mais c'est le seul endroit où j'ai pu trouver une maison qui correspond à mon budget », explique-t-elle. Lavandière, Florence, paie 20 000 ariary (cinq euros) par mois pour louer une maison délabrée de 7m².
 
Si certains habitants ont quitté le quartier après des éboulements meurtriers successifs, la plupart sont restés, comme Jocelyne, gardienne de borne-fontaine. « Avant ici, il y avait une grande épicerie, une salle de jeux et deux maisons à étages. Une partie de ce grand rocher rougeâtre est tombée et le voilà par terre. J'avais envoyé mon fils à l'épicerie à ce moment-là et il a été enseveli. Il a été blessé. Sept personnes ont perdu la vie ici », explique t-elle avec émotion, devant ces blocs de roches utilisés aujourd'hui pour faire sécher le linge. Les glissements de terrain ont fait 20 morts et des dizaines de blessés entre 2015 et 2020 dans la Haute Ville. Cette année, deux maisons se sont écroulées dans le quartier d'Antsahondra, sur le flanc Est de la colline, faisant une blessée, indiquent les statistiques du BNGRC. »
 
Des solutions « inadéquates » pour les habitants
Quitter définitivement les lieux pour éviter de nouvelles victimes. C'est la seule option donnée par les autorités malgaches. Une consigne que la plupart des habitants ne peut respecter, rétorque Jocelyne. « Ils nous disent de partir d'ici mais ils ne nous donnent pas d'autre endroit où aller. Ils nous demandent de rester chez des membres de notre famille mais vu la période difficile en ce moment, personne ne souhaite nous accueillir. On est obligé de rester à la maison avec notre peur », détaille-t-elle. Impuissants, les habitants se voient contraints de vivre avec cette menace permanente. Dans la petite maison en brique de Jocelyne, un poste de radio laisse échapper une musique entraînante, comme pour briser l'ambiance pesante du quartier «  Tout le monde stresse quand la saison des pluies est là. Les précautions que l'on prend c'est de prier beaucoup Dieu pour qu'il n'y ait aucun danger qui tombe sur nous. Quand il pleut, on prépare les affaires importantes, nos papiers dans ce carton. On reste assis, ici, à côté de la porte pour pouvoir partir facilement en cas d'alerte », explique Jocelyne.
 
D'après les études du BNGRC, les versants de cette colline sont particulièrement vulnérables aux glissements de terrain du fait de la porosité des roches. Des aléas qui font passer des nuits blanches au chef du quartier d'Ambanin'Ampamarinana. « Pendant cette période, je suis angoissé 24h/24 », explique Jeannot Ranaivojaona, 52 ans, qui a pris ses fonctions il y a deux ans, après que quatre membres de sa famille ont péri dans un éboulement. « Quand il pleut la nuit, j'écoute tout ce qui se passe et je mets les sifflets, les pelles, le téléphone et les autres objets utiles à côté de moi », explique-t-il, tout en s'étirant, les yeux rougis par le manque de sommeil. « Vu le danger, il faut que les gens partent, mais il faut aussi que l'État cherche des solutions pérennes pour protéger leurs maisons, même en cas d'éboulements parce que c'est la terre de leurs ancêtres. C'est impossible pour eux de partir comme ça du jour au lendemain », poursuit le responsable local.
 
Pour le docteur Lalah Christian Andriamirado, l'une des solutions est « de continuer la construction de canaux pour drainer les eaux de pluies et limiter les infiltrations vers le sous-sol. »
 
Un patrimoine menacé
Au-delà du danger pour les populations locales, c'est aussi toute une partie du patrimoine d'Antananarivo qui est menacée. « Notre secteur renferme aussi une part de l'histoire de la ville. On appelle notre quartier Ambanin'Ampamarinana, ce qui veut dire '' en bas de la où on a jeté ''. C'est ici que tombaient les corps des martyrs chrétiens jetés du haut de la colline à l'époque. » (NDLR : de la Reine Ranavalona I). « Si cette histoire d'éboulement continue, cette zone pourrait disparaître », fait remarquer Jeannot Ranaivojaona. Une situation qui inquiète aussi certains historiens et urbanistes. « Sur les versants de cette colline, on a des petites maisons en bois qui datent d'environ 1800 et 1900, des maisons en terre, des escaliers, des petits murets et des tamboho gasy (NDLR : murs faits de terre compactée, d'œufs et de bouses de zébus) », explique Sandrina Randriamananjara, membre du Bureau de l'association des professionnels de l'urbain de Madagascar.
 
« Aussi bien l'État, avec l'édification du Colisée, que les habitants avec leurs constructions de maisons, ajoutent une charge.  Bien qu'il y ait une loi qui interdit le développement sur la Haute Ville, les constructions ont continué », ajoute-t-elle. Un poids supplémentaire qui contribuent à fragiliser la colline et met en danger le patrimoine qui s'y trouve.


Dimanche 7 Mars 2021 08:53


Dans la même rubrique :