Hanoues Seniguer : Avant de répondre directement à votre question, il importe de faire un focus historique même très schématique. Depuis le Pacte de Quincy scellé le 14 février 1945 entre les Etats-Unis d’Amérique de Roosevelt et le roi Saoud, fondateur de la monarchie saoudienne, les relations de partenariat et de coopération stratégiques entre les deux pays n’ont jamais été dénoncées par l’une ou l’autre des parties, tant elles ont longtemps paru mutuellement fécondes. C’est pourquoi, en 2005, George W. Bush, pourtant en pleine « guerre globale contre la terreur », et ce, depuis les attentats du 11 septembre 2001, renouvellera cet accord de coopération vieux de plus d’un demi-siècle. Ce pacte était notamment basé sur la nécessité d’assurer la stabilité de l’Arabie Saoudite, laquelle participe, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, des « intérêts vitaux » de la puissance américaine, en premier lieu en matière énergétique. C’est pourquoi, celle-ci a tant veillé au rayonnement régional de la monarchie ou, en tout cas, à la préservation de son intégrité territoriale. De ce point de vue, les Etats-Unis apportent au royaume une protection inconditionnelle contre d’éventuels agresseurs. Néanmoins,le pacte en question est assis sur un immense paradoxe sinon contradiction qui, au fond, est en phase avec le réalisme étasunien en ce qui concerne les relations internationales, mais qui fonctionne de moins en moins depuis l’avènement des soulèvements populaires dans le monde arabe : une alliance entre un régime démocratique, libéral et un régime autoritaire, au sein duquel la version la plus rigoriste de l’islam fait office de religion d’État. Il faut également ajouter une autre contradiction à la fois plus récente et on ne peut plus significative : alors que quinze des dix-neuf commanditaires des attentats du 11 septembre 2001 étaient de nationalité saoudienne, et que l’Arabie Saoudite est connue pour être le principal berceau du salafisme mondial, au nom de la coopération sans failles entre le régime des Al Saoud et les administrations américaines successives, c’est ainsi que l’Afghanistan et l’Irak furent pris pour cible par l’armée américaine en lieu et place de l’Arabie Saoudite.
En outre, la plupart des chercheurs et observateurs sérieux du monde majoritairement musulman sont au courant depuis bien des années de la vision rigoriste, anxiogène et violente de l’islam diffusée par le magistère sunnite saoudien. Aussi, aux informations que vous pointez, je serais tenté de répondre en paraphrasant l’Écclésiaste : « Rien de nouveau sous le Soleil ». Toutefois, il est vrai que si ces révélations devaient émaner du département d’État américain, cela jetterait un froid dans les relations diplomatiques entre les deux pays, d’autant plus que suivant le pacte de Quincy, précisément, les Etats-Unis s’engageaient à ne pas se mêler des affaires intérieures saoudiennes. Par ailleurs, Washington ne découvre pas la réalité sociale du royaume ; il la connaissait parfaitement.
A mon sens, mais je peux me tromper, si les services des Affaires étrangères américains venaient à rendre publique cette note, il faudrait sans doute y lire en creux deux choses : d’une part, cela annoncerait ouvertement une espèce de changement d’alliances des Etats-Unis dans la région, en optant pour un rapprochement plus grand avec l’Iran, qui est l’ennemi juré de l’Arabie Saoudite et réciproquement.
D’autre part, le secteur énergétique des Etats-Unis connaît depuis ces dernières années des transformations majeures qui pourraient avoir des répercussions quant à sa politique étrangère dans le Golfe et le Moyen Orient. En effet, depuis un peu moins de dix ans, les Etats-Unis auraient réduit le niveau de dépendance au pétrole de façon générale, et leurs importations en ce domaine en particulier, grâce notamment à la production intérieure des hydrocarbures (pétrole et gaz de schiste), avec un fait marquant : à l’horizon de 2020, les Etats-Unis seraient susceptibles de devenir le premier producteur mondial de pétrole devant l’Arabie Saoudite.
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