(Bamako, le 10 février 2020) – Au Mali, des groupes armés ont intensifié leurs attaques contre des civils, massacrant des habitants dans leurs villages et exécutant des hommes après les avoir forcés à descendre des véhicules de transport public dans lesquels ils se déplaçaient en raison de leur appartenance ethnique, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. De nombreux villageois ont été brûlés vifs, tandis que d’autres ont été tués par des engins explosifs. Les autorités maliennes devraient de toute urgence accélérer les enquêtes et les poursuites contre les responsables.
Le rapport de 97 pages, intitulé « "Combien de sang doit encore couler ?" : Atrocités commises contre des civils dans le centre du Mali, 2019 », est basé sur les récits de témoins de dizaines d’attaques perpétrées en 2019 par des groupes armés, au cours desquelles au moins 456 civils ont été tués, et des centaines d’autres blessés. L’épicentre de la violence se trouvait dans le centre du Mali, et 2019 a été l’année la plus mortelle pour les civils depuis le début de la crise politique et militaire dans ce pays en 2012. Les attaques contre les civils se poursuivent en 2020.
« À travers la région centrale du Mali, des groupes armés tuent, mutilent et terrorisent des communautés, apparemment sans craindre de devoir rendre des comptes », a déclaré Corinne Dufka, directrice de Human Rights Watch pour l’Afrique de l’Ouest et autrice du rapport. « Le bilan humain en vies détruites s’alourdit à mesure que se répètent les cycles mortels de violence et de vengeance. »
En 2019, Human Rights Watch s’est rendu quatre fois dans le centre du Mali et dans la capitale, Bamako, et a également mené des entretiens téléphoniques. Human Rights Watch a interrogé 147 victimes et témoins des exactions commises, ainsi que les leaders des communautés peule, dogon et tellem, des fonctionnaires de sécurité et de justice, des diplomates, des travailleurs humanitaires et des experts en questions de sécurité, entre autres.
La violence qui touche le centre du Mali s’est intensifiée progressivement depuis 2015, quand des groupes islamistes armés alliés d’Al-Qaïda ont commencé leur descente du nord vers le centre du pays. Depuis lors, ces derniers, ainsi que des groupes récemment ralliés à l’État islamique dans le Grand Sahara, ont attaqué les forces de sécurité du gouvernement et commis des atrocités contre des civils. Les attaques documentées ont eu lieu dans plus de 50 hameaux et villages situés pour la plupart à proximité de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso, et ont entraîné des déplacements de grande ampleur et des épisodes de famine.
Le recrutement, par les islamistes armés, de membres des communautés pastorales peules (ou foulanis) a attisé les tensions avec les communautés agraires, et celles-ci, face aux mesures de sécurité inadéquates du gouvernement, ont constitué des groupes d’autodéfense. L’accès aisé à des armes militaires et l’impunité ont contribué au caractère létal des attaques.
Les groupes d’autodéfense dogons ont perpétré des attaques contre la communauté peule en raison du soutien apparent de cette dernière aux islamistes armés. Il s’agit des premières atrocités commises en 2019 — le meurtre, le 1er janvier, de 39 civils peuls à Koulogon — ainsi que des pires atrocités qu’ait endurées le Mali dans son histoire récente, à savoir, le meurtre, le 23 mars, de plus de 150 civils peuls à Ogossagou.
Une femme d’Ogossagou a affirmé que des hommes armés avaient mis le feu à sa maison puis lui avaient arraché son fils de 5 ans des bras alors qu’elle fuyait : « Ils ont tiré sur mon petit garçon et n’ont épargné mon deuxième enfant que lorsqu’ils ont réalisé que ce n’était pas un garçon ». D’autres survivants ont rapporté que des hommes armés avaient lancé des grenades dans les maisons, notamment dans celle d’un chef religieux où se trouvaient de nombreux villageois qui s’y étaient réfugiés. « Les fenêtres explosaient, on entendait le feu, les explosions et les cris », a raconté un survivant.
Les attaques communautaires commises par des hommes peuls armés sont le massacre de 35 civils dogons, à Sobane-Da, et le meurtre de commerçants de retour des marchés locaux. Un témoin a décrit une famille qui a péri à Sobane-Da : « Leurs corps carbonisés étaient entrelacés, ils s’accrochaient les uns aux autres, comme si c’était leur dernier moment ensemble ».
Les atrocités commises par les islamistes armés sont le meurtre d’au moins 38 civils dans des attaques simultanées contre les villages de Yoro et de Gangafani II. Un témoin a décrit le meurtre d’un membre de sa famille : « Il a attrapé son enfant de 4 ans, mais l’enfant pleurait et cela a alerté les djihadistes, qui ont ouvert la porte à coups de pied, ont traîné [mon proche] dehors et lui ont tiré dans la tête, devant ses enfants ». D’autres civils ont été exécutés après avoir dû sortir de force des transports publics dans lesquels ils se déplaçaient.
Plus de 50 autres civils ont été tués par des engins explosifs qui auraient été posés par des islamistes armés. Parmi ces victimes figurent 17 personnes décédées dans l’explosion du corps piégé d’un homme qu’elles étaient en train d’enterrer. L’homme était atteint d’un handicap mental et aurait été tué quelques jours auparavant.
Selon Human Rights Watch, le nombre total de civils tués lors d’attaques communautaires et d’attaques d’islamistes armés en 2019 est beaucoup plus élevé que le nombre de décès documentés, car des éleveurs et des agriculteurs ont été tués près de leurs bêtes ou dans leur champ au cours de nombreuses actions de représailles.
Le gouvernement malien a promis que les responsables des pires atrocités seraient traduits en justice. En 2019, les tribunaux maliens ont ouvert plusieurs enquêtes et condamné environ 45 personnes au motif d’incidents moins graves de violences communautaires. Cependant, les autorités judiciaires n’ont toujours pas interrogé, et encore moins poursuivi en justice, les puissants leaders de groupes armés impliqués dans de nombreux massacres.
De nombreux villageois ont estimé que l’absence de recherche de responsabilité encourageait les groupes armés à poursuivre leurs exactions. Depuis 2015, Human Rights Watch a documenté les meurtres, par des milices ethniques et par des islamistes armés, de près de 800 civils dans le centre du Mali. Seuls deux procès pour meurtre ont eu lieu. « Les gens ont compris qu’il était possible de tuer, de brûler et de détruire sans subir de conséquence », a résumé un sage du centre du Mali.
Les autorités maliennes devraient consacrer davantage d’énergie et de ressources à enquêter correctement et à poursuivre en justice tous les responsables d’exactions graves, a déclaré Human Rights Watch. Les partenaires internationaux du Mali devraient renforcer leur soutien au système judiciaire du centre du Mali et au Pôle judiciaire spécialisé dans de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée, dont le mandat a été élargi en 2019 afin d’y inclure les crimes de guerre et d’autres crimes internationaux graves.
« L’échec du gouvernement malien à punir les groupes armés, tous bords confondus, encourage ces derniers à commettre d’autres atrocités », a conclu Corinne Dufka. « Le gouvernement, avec l’aide de ses partenaires internationaux, doit déployer beaucoup plus d’efforts pour poursuivre les responsables des crimes en justice et démanteler les groupes armés auteurs d’exactions. »
Le rapport de 97 pages, intitulé « "Combien de sang doit encore couler ?" : Atrocités commises contre des civils dans le centre du Mali, 2019 », est basé sur les récits de témoins de dizaines d’attaques perpétrées en 2019 par des groupes armés, au cours desquelles au moins 456 civils ont été tués, et des centaines d’autres blessés. L’épicentre de la violence se trouvait dans le centre du Mali, et 2019 a été l’année la plus mortelle pour les civils depuis le début de la crise politique et militaire dans ce pays en 2012. Les attaques contre les civils se poursuivent en 2020.
« À travers la région centrale du Mali, des groupes armés tuent, mutilent et terrorisent des communautés, apparemment sans craindre de devoir rendre des comptes », a déclaré Corinne Dufka, directrice de Human Rights Watch pour l’Afrique de l’Ouest et autrice du rapport. « Le bilan humain en vies détruites s’alourdit à mesure que se répètent les cycles mortels de violence et de vengeance. »
En 2019, Human Rights Watch s’est rendu quatre fois dans le centre du Mali et dans la capitale, Bamako, et a également mené des entretiens téléphoniques. Human Rights Watch a interrogé 147 victimes et témoins des exactions commises, ainsi que les leaders des communautés peule, dogon et tellem, des fonctionnaires de sécurité et de justice, des diplomates, des travailleurs humanitaires et des experts en questions de sécurité, entre autres.
La violence qui touche le centre du Mali s’est intensifiée progressivement depuis 2015, quand des groupes islamistes armés alliés d’Al-Qaïda ont commencé leur descente du nord vers le centre du pays. Depuis lors, ces derniers, ainsi que des groupes récemment ralliés à l’État islamique dans le Grand Sahara, ont attaqué les forces de sécurité du gouvernement et commis des atrocités contre des civils. Les attaques documentées ont eu lieu dans plus de 50 hameaux et villages situés pour la plupart à proximité de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso, et ont entraîné des déplacements de grande ampleur et des épisodes de famine.
Le recrutement, par les islamistes armés, de membres des communautés pastorales peules (ou foulanis) a attisé les tensions avec les communautés agraires, et celles-ci, face aux mesures de sécurité inadéquates du gouvernement, ont constitué des groupes d’autodéfense. L’accès aisé à des armes militaires et l’impunité ont contribué au caractère létal des attaques.
Les groupes d’autodéfense dogons ont perpétré des attaques contre la communauté peule en raison du soutien apparent de cette dernière aux islamistes armés. Il s’agit des premières atrocités commises en 2019 — le meurtre, le 1er janvier, de 39 civils peuls à Koulogon — ainsi que des pires atrocités qu’ait endurées le Mali dans son histoire récente, à savoir, le meurtre, le 23 mars, de plus de 150 civils peuls à Ogossagou.
Une femme d’Ogossagou a affirmé que des hommes armés avaient mis le feu à sa maison puis lui avaient arraché son fils de 5 ans des bras alors qu’elle fuyait : « Ils ont tiré sur mon petit garçon et n’ont épargné mon deuxième enfant que lorsqu’ils ont réalisé que ce n’était pas un garçon ». D’autres survivants ont rapporté que des hommes armés avaient lancé des grenades dans les maisons, notamment dans celle d’un chef religieux où se trouvaient de nombreux villageois qui s’y étaient réfugiés. « Les fenêtres explosaient, on entendait le feu, les explosions et les cris », a raconté un survivant.
Les attaques communautaires commises par des hommes peuls armés sont le massacre de 35 civils dogons, à Sobane-Da, et le meurtre de commerçants de retour des marchés locaux. Un témoin a décrit une famille qui a péri à Sobane-Da : « Leurs corps carbonisés étaient entrelacés, ils s’accrochaient les uns aux autres, comme si c’était leur dernier moment ensemble ».
Les atrocités commises par les islamistes armés sont le meurtre d’au moins 38 civils dans des attaques simultanées contre les villages de Yoro et de Gangafani II. Un témoin a décrit le meurtre d’un membre de sa famille : « Il a attrapé son enfant de 4 ans, mais l’enfant pleurait et cela a alerté les djihadistes, qui ont ouvert la porte à coups de pied, ont traîné [mon proche] dehors et lui ont tiré dans la tête, devant ses enfants ». D’autres civils ont été exécutés après avoir dû sortir de force des transports publics dans lesquels ils se déplaçaient.
Plus de 50 autres civils ont été tués par des engins explosifs qui auraient été posés par des islamistes armés. Parmi ces victimes figurent 17 personnes décédées dans l’explosion du corps piégé d’un homme qu’elles étaient en train d’enterrer. L’homme était atteint d’un handicap mental et aurait été tué quelques jours auparavant.
Selon Human Rights Watch, le nombre total de civils tués lors d’attaques communautaires et d’attaques d’islamistes armés en 2019 est beaucoup plus élevé que le nombre de décès documentés, car des éleveurs et des agriculteurs ont été tués près de leurs bêtes ou dans leur champ au cours de nombreuses actions de représailles.
Le gouvernement malien a promis que les responsables des pires atrocités seraient traduits en justice. En 2019, les tribunaux maliens ont ouvert plusieurs enquêtes et condamné environ 45 personnes au motif d’incidents moins graves de violences communautaires. Cependant, les autorités judiciaires n’ont toujours pas interrogé, et encore moins poursuivi en justice, les puissants leaders de groupes armés impliqués dans de nombreux massacres.
De nombreux villageois ont estimé que l’absence de recherche de responsabilité encourageait les groupes armés à poursuivre leurs exactions. Depuis 2015, Human Rights Watch a documenté les meurtres, par des milices ethniques et par des islamistes armés, de près de 800 civils dans le centre du Mali. Seuls deux procès pour meurtre ont eu lieu. « Les gens ont compris qu’il était possible de tuer, de brûler et de détruire sans subir de conséquence », a résumé un sage du centre du Mali.
Les autorités maliennes devraient consacrer davantage d’énergie et de ressources à enquêter correctement et à poursuivre en justice tous les responsables d’exactions graves, a déclaré Human Rights Watch. Les partenaires internationaux du Mali devraient renforcer leur soutien au système judiciaire du centre du Mali et au Pôle judiciaire spécialisé dans de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée, dont le mandat a été élargi en 2019 afin d’y inclure les crimes de guerre et d’autres crimes internationaux graves.
« L’échec du gouvernement malien à punir les groupes armés, tous bords confondus, encourage ces derniers à commettre d’autres atrocités », a conclu Corinne Dufka. « Le gouvernement, avec l’aide de ses partenaires internationaux, doit déployer beaucoup plus d’efforts pour poursuivre les responsables des crimes en justice et démanteler les groupes armés auteurs d’exactions. »