« Faites vite, il y a urgence! » Telle est la teneur du message martelé à Paris par un couple de parlementaires du Nord-Mali, vaste territoire asservi par les miliciens salafistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), du Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et d’Ansar-Eddin. Supplique adressée notamment à Elisabeth Guigou, présidente de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale et à Claude Bartolone, titulaire du Perchoir du Palais-Bourbon.
Lui, El Hadj Baba Haïdara, est député de Tombouctou et anime le Collectif des élus du Nord-Mali; pour l’anecdote, le père de cet ingénieur en Génie civil fut à l’ère coloniale sénateur du « Soudan français », avant de diriger les travaux de la première Assemblée du jeune Mali souverain. Son épouse, Aïchata Cissé Haïdara, députée de Bourem -non loin de Gao-, préside le Réseau Femme, Développement et Protection de l’enfance. Et tous deux disent d’une seule voix ceci: « Notre crainte, depuis des mois, c’est de voir nos régions franchir le point de non-retour. Que ce soit par la peur, par l’argent ou par la force, les djihadistes disposent de tous les moyens requis pour convaincre les populations de se ranger à leurs côtés. Notre hantise? Entendre nos électeurs nous dire bientôt qu’au fond, ils sont mieux avec eux. »
Une réunion internationale sur le Mali se tient à Bamako ce vendredi, soit une semaine après l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies de la résolution 2071. Laquelle invite les autorités maliennes à engager un dialogue politique avec les « groupes rebelles non-terroristes », mais esquisse aussi le scénario d’une intervention militaire africaine. Hier jeudi à la mi-journée, le duo d’émissaires nordistes a rencontré quelques journalistes français dans les locaux de l’ambassade du Mali à Paris. Verbatim thème par thème de cet échange.
Aqmi et les autres Pour Baba Haïdara, l’émanation des GSPC algériens constitue « le groupe le plus dangereux ». « Il a besoin du Nord-Mali pour que prospèrent le trafic de drogue et les kidnappings. Dotés de relais en Algérie, au Soudan, en Libye, en Mauritanie ou au Cap-Vert, ses leaders pilotent et financent les autres factions islamistes. La communauté internationale ne doit pas laisser un nouvel Afghanistan germer au Sahel. A Tombouctou et ailleurs, on parle désormais l’afghan, le pakistanais, le somali, le tchadien, voire le bambara [langue pratiquée au Sud-Mali]. Il faut sans tarder mettre un terme au commerce des otages, sous peine d’alimenter un cauchemar sans fin. Quand les caisses sont vides, on en lâche trois pour 30 millions d’euros. Ce qui permet d’acheter de l’armement, de financer le recrutement et la formation d’enfants-soldats. »
En revanche, Aïchata incrimine au premier chef les indépendantistes touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). « Ils ont tout déclenché, allant chercher les trafiquants islamistes dans leurs grottes de l’extrême-nord. A Gao, on leur doit les viols, le saccage des mausolées ou des dispensaires. Nos compatriotes du Nord, très fâchés contre eux, n’accepteront jamais la remise en selle de ces hommes, d’ailleurs mis en déroute par leurs ‘alliés’ d’hier. »
" Personne ne veut plus du MNLA, renchérit Baba. Ceux qui, en France ou à New York, misent sur lui se trompent. Il représente à peine 5% des 1,5 million de Maliens du Nord et a infiniment moins de légitimité que nous à parler en leur nom. En clair, jamais il ne s’est agi d’une rébellion touarègue. Dès novembre 2011, la cellule de crise que je présidais au sein de l’Assemblée a dépêché une quinzaine de députés afin de dissuader ce mouvement d’entraîner le pays dans une aventure fatale. Mais en vain. Ensuite, la médiation conduite par [le chef de l'Etat du Burkina Faso] Blaise Compaoré au nom de la Cédéao -Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest- a commis, entre autres, l’erreur de privilégier ce même MNLA. Voir son prétendu ministre des Affaires étrangères sur le perron de la présidence burkinabé fut perçu chez nous comme une insulte. »
Le piège mortel du temps qui passe
"En invoquant les préceptes religieux, en faisant régner leur ordre, les islamistes rallient des civils livrés à eux-mêmes. L’électricité coûte zéro franc. Du jamais vu. Au point que certains croient y trouver leur compte. »
Qui commande à Bamako ?
" Le coup d’Etat du 22 mars a plongé le Mali dans un grand désordre institutionnel. Et la junte du capitaine Amadou Sanogodemeure une menace pour les organes civils. Le président intérimaire [Dioncounda Traoré] a été investi au nom d’une constitution contestée. Le Premier ministre [Cheik Modibo Diarra] s’est cru doté des pleins pouvoirs, quitte à parler le langage des putschistes qui l’avaient adoubé. Bref, ce trio, dont chacun des membres croyait détenir les commandes de l’exécutif, n’a jamais fonctionné. Facteur aggravant, la classe politique s’est déchirée entre partisans et adversaires de la junte. Et tout cela a abouti à l’immixtion du religieux dans le champ politique, phénomène qu’incarne Mahmoud Dicko, chef de file du Haut conseil islamique, qui a un temps rêvé de présider la transition et a aussi contribué à imposer Diarra à la primature. Moi qui suis musulman, je préconise que le ministère des Cultes soit confié à un chrétien, afin de prévenir toute confusion des genres.
Les exactions
" Contrairement à ce que l’on croit chez vous, insiste Aïchata, il n’y a aucune accalmie sur le front des violences sexuelles. Disons que le viol est désormais organisé, institutionnalisé. Quand un combattant islamiste épouse une locale, celle-ci risque de trouver bientôt trois ou quatre ‘maris’ dans son lit. Les nouveaux maîtres de Tombouctou prétendent avoir ouvert une prison pour femmes dans une ancienne villa de Kadhafi . En fait, les viols y sont là aussi monnaie courante. On ne peut même plus aller vendre des condiments au marché. Il faut rester à la maison ou se couvrir de la tête aux pieds, et même enfiler des gants. Il y a beaucoup de détresse, mais aussi de la colère. A Tombouctou, nos soeurs, excédées, ont protesté, bravant les coups et les tirs de sommation. A Kidal, ou la charia ne prend pas, elles ont défilé en pantalon et en T-Shirt, cigarette à la main. »
Le verbe ou les armes ?
"Négocier, soit. Mais négocier quoi ? Et avec qui ? Comment discuter avec un adversaire qui se sait plus fort que moi ? Il faut montrer sa force d’abord ; après, on verra. Certains croient pouvoir détacher les Maliens d’Ansar-Eddin de la nébuleuse djihadiste. Les exfiltrer en quelque sorte. Mais qui parmi eux se sent prêt à renoncer à ce que lui vaut aujourd’hui son engagement ? Tout conflit finit par une médiation et un dialogue. Là-dessus, pas de tabou. Personne ne veut la guerre. Encore faut-il savoir avec qui on parle, et de quoi. Bien sûr, il est nécessaire de ménager l’orgueil national, la souveraineté malienne. Le moment venu, plaçons en première ligne des soldats maliens Mais si l’on veut aller vite et être efficace, il faudra bien sûr compter sur l’apport étranger. Cette intervention extérieure, nous l’acceptons, nous la souhaitons, nous la désirons. »
Le jeu de l’Algérie
" Sa position est très ambiguë. Voire incompréhensible à nos yeux. Si Alger avait coopéré d’emblée, on n’aurait même pas eu besoin d’envisager une reconquête militaire. L’approvisionnement des djihadistes venant de son territoire, il lui suffisait de verrouiller sa frontière pour leur couper les vivres. Par son attitude, l’Algérie entretient cette guerre. Et la ligne du Qatar n’est guère plus claire. »
La doctrine américaine
"Partisans jusqu’alors de la tenue d’élections avant toute opération armée, les Etats-Unis invoquent leur constitution pour soutenir qu’ils ne peuvent voler au secours d’un régime né d’un putsch. Nous invoquons la nôtre pour juger impossible d’organiser un scrutin digne de ce nom dans un pays aux deux-tiers occupé. »
La posture française
« François Hollande est aujourd’hui plus populaire au Mali qu’à Paris. En plaidant pour la fermeté, il campe sur une ligne d’autant plus courageuse qu’il lui faut dans le même temps gérer le délicat dossier des otages. Et qu’environ 4800 Français vivent sur notre territoire. »
SOURCE: Autre Presse
Lui, El Hadj Baba Haïdara, est député de Tombouctou et anime le Collectif des élus du Nord-Mali; pour l’anecdote, le père de cet ingénieur en Génie civil fut à l’ère coloniale sénateur du « Soudan français », avant de diriger les travaux de la première Assemblée du jeune Mali souverain. Son épouse, Aïchata Cissé Haïdara, députée de Bourem -non loin de Gao-, préside le Réseau Femme, Développement et Protection de l’enfance. Et tous deux disent d’une seule voix ceci: « Notre crainte, depuis des mois, c’est de voir nos régions franchir le point de non-retour. Que ce soit par la peur, par l’argent ou par la force, les djihadistes disposent de tous les moyens requis pour convaincre les populations de se ranger à leurs côtés. Notre hantise? Entendre nos électeurs nous dire bientôt qu’au fond, ils sont mieux avec eux. »
Une réunion internationale sur le Mali se tient à Bamako ce vendredi, soit une semaine après l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies de la résolution 2071. Laquelle invite les autorités maliennes à engager un dialogue politique avec les « groupes rebelles non-terroristes », mais esquisse aussi le scénario d’une intervention militaire africaine. Hier jeudi à la mi-journée, le duo d’émissaires nordistes a rencontré quelques journalistes français dans les locaux de l’ambassade du Mali à Paris. Verbatim thème par thème de cet échange.
Aqmi et les autres Pour Baba Haïdara, l’émanation des GSPC algériens constitue « le groupe le plus dangereux ». « Il a besoin du Nord-Mali pour que prospèrent le trafic de drogue et les kidnappings. Dotés de relais en Algérie, au Soudan, en Libye, en Mauritanie ou au Cap-Vert, ses leaders pilotent et financent les autres factions islamistes. La communauté internationale ne doit pas laisser un nouvel Afghanistan germer au Sahel. A Tombouctou et ailleurs, on parle désormais l’afghan, le pakistanais, le somali, le tchadien, voire le bambara [langue pratiquée au Sud-Mali]. Il faut sans tarder mettre un terme au commerce des otages, sous peine d’alimenter un cauchemar sans fin. Quand les caisses sont vides, on en lâche trois pour 30 millions d’euros. Ce qui permet d’acheter de l’armement, de financer le recrutement et la formation d’enfants-soldats. »
En revanche, Aïchata incrimine au premier chef les indépendantistes touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). « Ils ont tout déclenché, allant chercher les trafiquants islamistes dans leurs grottes de l’extrême-nord. A Gao, on leur doit les viols, le saccage des mausolées ou des dispensaires. Nos compatriotes du Nord, très fâchés contre eux, n’accepteront jamais la remise en selle de ces hommes, d’ailleurs mis en déroute par leurs ‘alliés’ d’hier. »
" Personne ne veut plus du MNLA, renchérit Baba. Ceux qui, en France ou à New York, misent sur lui se trompent. Il représente à peine 5% des 1,5 million de Maliens du Nord et a infiniment moins de légitimité que nous à parler en leur nom. En clair, jamais il ne s’est agi d’une rébellion touarègue. Dès novembre 2011, la cellule de crise que je présidais au sein de l’Assemblée a dépêché une quinzaine de députés afin de dissuader ce mouvement d’entraîner le pays dans une aventure fatale. Mais en vain. Ensuite, la médiation conduite par [le chef de l'Etat du Burkina Faso] Blaise Compaoré au nom de la Cédéao -Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest- a commis, entre autres, l’erreur de privilégier ce même MNLA. Voir son prétendu ministre des Affaires étrangères sur le perron de la présidence burkinabé fut perçu chez nous comme une insulte. »
Le piège mortel du temps qui passe
"En invoquant les préceptes religieux, en faisant régner leur ordre, les islamistes rallient des civils livrés à eux-mêmes. L’électricité coûte zéro franc. Du jamais vu. Au point que certains croient y trouver leur compte. »
Qui commande à Bamako ?
" Le coup d’Etat du 22 mars a plongé le Mali dans un grand désordre institutionnel. Et la junte du capitaine Amadou Sanogodemeure une menace pour les organes civils. Le président intérimaire [Dioncounda Traoré] a été investi au nom d’une constitution contestée. Le Premier ministre [Cheik Modibo Diarra] s’est cru doté des pleins pouvoirs, quitte à parler le langage des putschistes qui l’avaient adoubé. Bref, ce trio, dont chacun des membres croyait détenir les commandes de l’exécutif, n’a jamais fonctionné. Facteur aggravant, la classe politique s’est déchirée entre partisans et adversaires de la junte. Et tout cela a abouti à l’immixtion du religieux dans le champ politique, phénomène qu’incarne Mahmoud Dicko, chef de file du Haut conseil islamique, qui a un temps rêvé de présider la transition et a aussi contribué à imposer Diarra à la primature. Moi qui suis musulman, je préconise que le ministère des Cultes soit confié à un chrétien, afin de prévenir toute confusion des genres.
Les exactions
" Contrairement à ce que l’on croit chez vous, insiste Aïchata, il n’y a aucune accalmie sur le front des violences sexuelles. Disons que le viol est désormais organisé, institutionnalisé. Quand un combattant islamiste épouse une locale, celle-ci risque de trouver bientôt trois ou quatre ‘maris’ dans son lit. Les nouveaux maîtres de Tombouctou prétendent avoir ouvert une prison pour femmes dans une ancienne villa de Kadhafi . En fait, les viols y sont là aussi monnaie courante. On ne peut même plus aller vendre des condiments au marché. Il faut rester à la maison ou se couvrir de la tête aux pieds, et même enfiler des gants. Il y a beaucoup de détresse, mais aussi de la colère. A Tombouctou, nos soeurs, excédées, ont protesté, bravant les coups et les tirs de sommation. A Kidal, ou la charia ne prend pas, elles ont défilé en pantalon et en T-Shirt, cigarette à la main. »
Le verbe ou les armes ?
"Négocier, soit. Mais négocier quoi ? Et avec qui ? Comment discuter avec un adversaire qui se sait plus fort que moi ? Il faut montrer sa force d’abord ; après, on verra. Certains croient pouvoir détacher les Maliens d’Ansar-Eddin de la nébuleuse djihadiste. Les exfiltrer en quelque sorte. Mais qui parmi eux se sent prêt à renoncer à ce que lui vaut aujourd’hui son engagement ? Tout conflit finit par une médiation et un dialogue. Là-dessus, pas de tabou. Personne ne veut la guerre. Encore faut-il savoir avec qui on parle, et de quoi. Bien sûr, il est nécessaire de ménager l’orgueil national, la souveraineté malienne. Le moment venu, plaçons en première ligne des soldats maliens Mais si l’on veut aller vite et être efficace, il faudra bien sûr compter sur l’apport étranger. Cette intervention extérieure, nous l’acceptons, nous la souhaitons, nous la désirons. »
Le jeu de l’Algérie
" Sa position est très ambiguë. Voire incompréhensible à nos yeux. Si Alger avait coopéré d’emblée, on n’aurait même pas eu besoin d’envisager une reconquête militaire. L’approvisionnement des djihadistes venant de son territoire, il lui suffisait de verrouiller sa frontière pour leur couper les vivres. Par son attitude, l’Algérie entretient cette guerre. Et la ligne du Qatar n’est guère plus claire. »
La doctrine américaine
"Partisans jusqu’alors de la tenue d’élections avant toute opération armée, les Etats-Unis invoquent leur constitution pour soutenir qu’ils ne peuvent voler au secours d’un régime né d’un putsch. Nous invoquons la nôtre pour juger impossible d’organiser un scrutin digne de ce nom dans un pays aux deux-tiers occupé. »
La posture française
« François Hollande est aujourd’hui plus populaire au Mali qu’à Paris. En plaidant pour la fermeté, il campe sur une ligne d’autant plus courageuse qu’il lui faut dans le même temps gérer le délicat dossier des otages. Et qu’environ 4800 Français vivent sur notre territoire. »
SOURCE: Autre Presse