Moustapha Niasse, lors d'une conférence de presse à Dakar, le 2 mars 2007
RFI: 19 mars 2000-19 mars 2010…Dix ans plus tard, est-ce que vous avez le sentiment que le « Sopi », le changement pour lequel vous vous étiez battu, est intervenu ?
Moustapha Niasse : Pas du tout. Ce « Sopi » n’est pas intervenu. S’il y a eu changement, c’est un changement vers l’arrière.
RFI : Plusieurs alliés politiques d’Abdoulaye Wade au début de l’alternance, vous-même, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, ont rompu avec le régime libéral pour passer dans l’opposition. Qui a trahi qui ?
M.N. : Le président Wade, malgré le respect que j’ai pour son âge et pour son itinéraire, est un solitaire. Il décide seul, il parle seul, il agit seul, considérant qu’il ne peut pas avoir tort, qu’il ne peut pas se tromper. C’est pour cela qu’il se trompe tout le temps. Voilà dix ans que le Sénégal recule parce que l’homme qui le dirige considère qu’il ne peut pas avoir tort. Il avait été élu selon un programme que nous avions présenté au peuple sénégalais comme étant le programme de l’alternance. Neuf dixièmes de ce programme ont été laissés sur le quai. Et bien, nous sommes partis.
RFI : Que considérez-vous comme les principaux succès de l’alternance en dix ans ?
M.N. : En dix ans, il y a eu quelques avancées dans les infrastructures concernant la capitale. Cela se voit et il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que des efforts ont été faits. Mais à quel prix ? Six milliards de francs CFA au kilomètre, douze millions de dollars ! Ni en France, ni en Grande-Bretagne, ni en Californie, on ne trouve des kilomètres de goudron qui coûtent aussi chers.
Est-ce un succès de créer des politiques agricoles dont la dernière s’appelle la Goana [Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance].
Cette année, 1,3 million de tonnes d’arachides ont été produites par les paysans. Le président de la République a dit clairement : « Je ne pourrais subventionner que trois cent mille tonnes sur le million trois cent mille tonnes produites. Pour le million de tonnes qui reste, je ne sais pas quoi en faire ». Si on en enlève trois cent mille tonnes pour la consommation directe - notre consommation - il reste quand même sept cent mille tonnes d’arachides qui se trouvent entre les mains des paysans qui n’ont pas d’acheteurs. Qu’est-ce qu’ils vont en faire ces paysans sénégalais ?
RFI : Que considérez-vous comme les principaux échecs de l’alternance ?
M.N. : Le premier, c’est de n’avoir pas été fidèle aux engagements qu’ensemble nous avions pris en l’an 2000 devant le peuple pour ramener à la tête de ce pays l’Etat de droit qui respecte et fasse respecter les libertés des citoyens et qui crée les conditions économiques et sociales pour accroître le bien-être des populations. Cela n’a pas été fait. Nous avions promis aux Sénégalais, dans le domaine de l’énergie qui est essentiel pour toute politique de développement, que les délestages dont nous souffrions à l’époque s’arrêtent. Vous avez vu que depuis que nous avons commencé cette interview, il y a eu sept délestages. Sept ! Ce groupe électrogène que vous entendez s’arrêter et démarrer, ce sont les délestages de la Senelec [compagnie nationale d’électricité] qui viennent détruire tous les appareils ménagers, de toutes les maisons du Sénégal.
J’arrive ensuite à la politique de l’éducation. Ici l’accroissement des infrastructures physiques scolaires s’est traduit par un déficit du niveau des élèves et des étudiants, et surtout par une crise scolaire, grève sur grève, jamais vue au Sénégal.
RFI : Comment voyez-vous la situation du pays dix ans plus tard ?
M.N. : Il y a un recul du commerce, recul du transport, recul des PME-PMI, recul de l’économie agricole paysanne et chômage accru dans les villes. Lorsque le coût de la vie quotidienne s’accroît de cette manière en termes de denrées de première nécessité, comme le riz, le lait, le sucre, lorsque le père de famille, pendant que sa famille s’accroît numériquement, s’appauvrit de jour en jour et qu’il n’a plus la possibilité de les nourrir suffisamment en quantité, en qualité, et bien, croyez-moi, cela fait réfléchir.
Une culture de la corruption s’est développée au niveau de certains cercles du pouvoir. Certains cercles du pouvoir baignent dans un marigot de corruption. Des questions ont été posées sur le coût des infrastructures. Un livre a été publié par un journaliste d’investigation très courageux, Abdou Latif Coulibaly. Jusqu’à présent, les réponses sont attendues de la part de l’Etat et des autorités qui avaient été responsables dans la gestion des projets qui sont en cours dans le livre de monsieur Coulibaly.
b[RFI : Un mot également sur la Casamance. Comment est-ce que, selon vous, on peut aller vers une paix définitive avec le MFDC [Mouvement des forces démocratiques de Casamance] ?]b
M.N. : Ce dossier de la Casamance ne peut être réglé que par un dialogue sérieux, préparé, ouvert, sincère et direct où, au préalable, les gens se mettront d’accord sur les objectifs à atteindre, sur les procédures à utiliser pour y parvenir. Le président Wade doit s’impliquer le premier. C’est lui le chef de l’Etat avec un grand C. Et c’est lui qui doit prendre les initiatives et conduire ce processus en respectant le MFDC de qui il devra exiger qu’il respecte l’Etat et les représentants de l’Etat. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il ne saurait être question de négocier sur la question de l’indépendance d’une quelconque région de notre pays, y compris la Casamance.
Moustapha Niasse : Pas du tout. Ce « Sopi » n’est pas intervenu. S’il y a eu changement, c’est un changement vers l’arrière.
RFI : Plusieurs alliés politiques d’Abdoulaye Wade au début de l’alternance, vous-même, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, ont rompu avec le régime libéral pour passer dans l’opposition. Qui a trahi qui ?
M.N. : Le président Wade, malgré le respect que j’ai pour son âge et pour son itinéraire, est un solitaire. Il décide seul, il parle seul, il agit seul, considérant qu’il ne peut pas avoir tort, qu’il ne peut pas se tromper. C’est pour cela qu’il se trompe tout le temps. Voilà dix ans que le Sénégal recule parce que l’homme qui le dirige considère qu’il ne peut pas avoir tort. Il avait été élu selon un programme que nous avions présenté au peuple sénégalais comme étant le programme de l’alternance. Neuf dixièmes de ce programme ont été laissés sur le quai. Et bien, nous sommes partis.
RFI : Que considérez-vous comme les principaux succès de l’alternance en dix ans ?
M.N. : En dix ans, il y a eu quelques avancées dans les infrastructures concernant la capitale. Cela se voit et il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que des efforts ont été faits. Mais à quel prix ? Six milliards de francs CFA au kilomètre, douze millions de dollars ! Ni en France, ni en Grande-Bretagne, ni en Californie, on ne trouve des kilomètres de goudron qui coûtent aussi chers.
Est-ce un succès de créer des politiques agricoles dont la dernière s’appelle la Goana [Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance].
Cette année, 1,3 million de tonnes d’arachides ont été produites par les paysans. Le président de la République a dit clairement : « Je ne pourrais subventionner que trois cent mille tonnes sur le million trois cent mille tonnes produites. Pour le million de tonnes qui reste, je ne sais pas quoi en faire ». Si on en enlève trois cent mille tonnes pour la consommation directe - notre consommation - il reste quand même sept cent mille tonnes d’arachides qui se trouvent entre les mains des paysans qui n’ont pas d’acheteurs. Qu’est-ce qu’ils vont en faire ces paysans sénégalais ?
RFI : Que considérez-vous comme les principaux échecs de l’alternance ?
M.N. : Le premier, c’est de n’avoir pas été fidèle aux engagements qu’ensemble nous avions pris en l’an 2000 devant le peuple pour ramener à la tête de ce pays l’Etat de droit qui respecte et fasse respecter les libertés des citoyens et qui crée les conditions économiques et sociales pour accroître le bien-être des populations. Cela n’a pas été fait. Nous avions promis aux Sénégalais, dans le domaine de l’énergie qui est essentiel pour toute politique de développement, que les délestages dont nous souffrions à l’époque s’arrêtent. Vous avez vu que depuis que nous avons commencé cette interview, il y a eu sept délestages. Sept ! Ce groupe électrogène que vous entendez s’arrêter et démarrer, ce sont les délestages de la Senelec [compagnie nationale d’électricité] qui viennent détruire tous les appareils ménagers, de toutes les maisons du Sénégal.
J’arrive ensuite à la politique de l’éducation. Ici l’accroissement des infrastructures physiques scolaires s’est traduit par un déficit du niveau des élèves et des étudiants, et surtout par une crise scolaire, grève sur grève, jamais vue au Sénégal.
RFI : Comment voyez-vous la situation du pays dix ans plus tard ?
M.N. : Il y a un recul du commerce, recul du transport, recul des PME-PMI, recul de l’économie agricole paysanne et chômage accru dans les villes. Lorsque le coût de la vie quotidienne s’accroît de cette manière en termes de denrées de première nécessité, comme le riz, le lait, le sucre, lorsque le père de famille, pendant que sa famille s’accroît numériquement, s’appauvrit de jour en jour et qu’il n’a plus la possibilité de les nourrir suffisamment en quantité, en qualité, et bien, croyez-moi, cela fait réfléchir.
Une culture de la corruption s’est développée au niveau de certains cercles du pouvoir. Certains cercles du pouvoir baignent dans un marigot de corruption. Des questions ont été posées sur le coût des infrastructures. Un livre a été publié par un journaliste d’investigation très courageux, Abdou Latif Coulibaly. Jusqu’à présent, les réponses sont attendues de la part de l’Etat et des autorités qui avaient été responsables dans la gestion des projets qui sont en cours dans le livre de monsieur Coulibaly.
b[RFI : Un mot également sur la Casamance. Comment est-ce que, selon vous, on peut aller vers une paix définitive avec le MFDC [Mouvement des forces démocratiques de Casamance] ?]b
M.N. : Ce dossier de la Casamance ne peut être réglé que par un dialogue sérieux, préparé, ouvert, sincère et direct où, au préalable, les gens se mettront d’accord sur les objectifs à atteindre, sur les procédures à utiliser pour y parvenir. Le président Wade doit s’impliquer le premier. C’est lui le chef de l’Etat avec un grand C. Et c’est lui qui doit prendre les initiatives et conduire ce processus en respectant le MFDC de qui il devra exiger qu’il respecte l’Etat et les représentants de l’Etat. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il ne saurait être question de négocier sur la question de l’indépendance d’une quelconque région de notre pays, y compris la Casamance.