RFI Musique : Pourquoi avez-vous décidé de réaliser cet album reggae ?
Youssou N'Dour : Comme beaucoup d’Africains, j’ai grandi avec le reggae, même si je ne l’ai jamais incarné... Je n’ai jamais rencontré Bob Marley, ni vu un concert de l’idole, mais j’ai toujours écouté ses albums, adhéré à son discours, adoré sa façon de faire : je suis fan ! Et puis, mon ami Gaston Madeira me tannait depuis 15 ans pour que je pose ma voix sur cette musique. L’idée a donc cheminé, jusqu’à la célébration, cette année, du cinquantenaire des indépendances africaines. Dans ce cadre, le Festival des Arts Nègres, organisé à Dakar, souhaitait rendre hommage à Marley. J’ai sauté sur l’occasion...
Bob Marley est-il une figure importante de l’émancipation africaine ?
Il a été la première vedette internationale issue du tiers-monde. Son discours, son message, son parcours, résonnent fort au sein de la diaspora noire. Pour moi, rendre hommage à Marley reste une façon de montrer aux jeunes que le monde se construit avec les blacks, les métisses, les blancs, tout le monde ! Et pour célébrer ces 50 ans, il me paraissait important d’honorer des Africains d’origine qui ont durablement marqué l’histoire...
Pour vous, il existe donc un lien privilégié entre votre continent et le reggae ?
Bien sûr ! Avec l’esclavage, des gens sont partis, mais aussi des rythmes, des mélodies... Pourquoi vibre-t-on autant avec ce son ? Comme avec la musique cubaine, brésilienne ? Parce qu’il s’agit d’une partie de nous ! Suivre les traces de nos ancêtres revient à aller toucher des sonorités issues de nous-mêmes. Sur notre continent, les jeunes vivent au quotidien avec le reggae ! Le style conserve un lien très spécial avec nous. En même temps, il s’élève au rang de mouvement planétaire : si nous parlons aujourd’hui de mondialisation des consciences, je pense qu’il en est le symbole...
Cet album a été coréalisé par le légendaire Tyrone Downie (clavier de Bob Marley, collaborateur de Peter Tosh, Tiken Jah Fakoly... ndlr) Comment s’est passé cette collaboration ?
Gaston a retrouvé Tyrone, qui suivait ma carrière et s’est avoué très heureux de travailler avec moi ! Il est devenu un pote, voire le grand frère indispensable du groupe. Mes musiciens vivent la collaboration avec un énorme plaisir : ils jouent, rigolent... avec leur idole ! L’intensité de l’expérience suscite sur scène une belle énergie.
Avec Tyrone Downie, vous avez décidé d’enregistrer votre album dans le mythique studio Tuff Gong de Marley, à Kingston...
On ne pouvait rendre hommage à Bob Marley sans aller dans ces lieux : pour le respect, pour les émotions dont se charge l’endroit, plein de force et de rigueur. Dans ses studios, on n’arrête pas de parler de lui, de côtoyer des objets qu’il adorait ou des membres de sa famille. On comprend plein de choses sur sa musique ! Ici, tu sais que le boss est là, tu le sens...
Il s’agissait de votre premier voyage en Jamaïque... Qu’avez-vous ressenti ?
Par son mode de vie, la Jamaïque ressemble à l’Afrique, par exemple dans l’alimentation, épicée comme chez nous. C’est une énergie très proche et en même temps lointaine : une île, une terre à part. On voit la pauvreté, mais aussi le sourire de gens fiers, qui se sont toujours battus... Y règne l’exceptionnelle vibration de personnalités qui ont vécu des périodes troublées, mais brillent par leurs performances. Quand je vois les Jamaïcains courir, faire du sport, je sais que ces résultats proviennent de leurs difficultés. Et quand j’entends du reggae, je ressens la douleur sous les accents joyeux, le poids de la révolte et de l’histoire sous chaque note.
Parmi les titres de cet album, vous reprenez certains de vos classiques (Medina, Don’t walk away...) Comment s’est effectué le passage du mbalax au reggae ?
Je souhaitais que ces reprises soient le plus proche possible des originales, reconnaissables de la première à la dernière mesure. Si tu veux qu’un joueur de mbalax joue reggae, il doit fournir 50% d’efforts en moins, mais 100% de rigueur en plus. Musique complexe et sophistiquée, le mbalax ne s’appuie jamais sur les premiers temps... Dans le reggae, les contretemps sont clairs, définis. Un musicien de mbalax doit donc diminuer de 50% ce qu’il fait, mais dans ce dépouillement, il doit placer son rythme à la perfection.
Parlez-nous de vos featurings (Mutabaruka, Patrice, Ayo, Morgan Heritage) ?
Le dub poète Mutabaruka a appris ma présence à Kingston par le biais d’un journal local. Il m’a invité dans son émission de radio, et m’a demandé s’il pouvait parler sur la chanson Marley, un titre sur lequel se plaçaient déjà Tyrone Downie et Yusuf Islam (Cat Stevens, ndlr). L’hommage à Bob s’est donc passé de façon collégiale, familiale. C’était magnifique ! Je voulais aussi amener de l’air frais avec les nouvelles voix du reggae, telles Ayo dont j’adore le dernier album, et Patrice, mon pote, mon jeune frère. Quant aux Morgan, si j’appréciais leur art, je ne les connaissais pas personnellement. Un jour, alors que j’étais à Kingston, ils m’ont téléphoné : eux-mêmes étaient à Dakar, et s’apprêtaient à jouer dans mon club ! Face à une telle coïncidence, on ne pouvait que collaborer...
Le film I Bring what I love d’Elisabeth Chai Vasarhelyi, montre en profondeur votre foi soufi… Y’a-t-il une relation entre soufisme et rastafarisme ?
Je suis issu de la confrérie Mouride, dirigée par Cheikh Ahmadou Bamba. Son premier disciple, Cheikh Ibrahima Fall, était rasta. Depuis, toute la succession des disciples, appelés les Baye Fall, ressemblent à des Jamaïcains. Ils font de la musique, dansent, chantent et partagent avec les rastas un socle philosophique : la solidarité, la paix...
Quel regard jetez-vous sur la célébration du cinquantenaire des indépendances ?
50 ans, c’est à la fois une célébration, une renaissance et une projection. On repart sur nos réussites, on apprend de nos échecs, et on rêve de cette "Africa Unite" qui passera forcément par la culture, la musique, ces locomotives... Je pense que le monde entier attend aujourd’hui des propositions concrètes en provenance de l’Afrique en matière d’environnement, de commerces, d’unité... Nous devons construire notre propre vision du futur !
Youssou N'Dour : Comme beaucoup d’Africains, j’ai grandi avec le reggae, même si je ne l’ai jamais incarné... Je n’ai jamais rencontré Bob Marley, ni vu un concert de l’idole, mais j’ai toujours écouté ses albums, adhéré à son discours, adoré sa façon de faire : je suis fan ! Et puis, mon ami Gaston Madeira me tannait depuis 15 ans pour que je pose ma voix sur cette musique. L’idée a donc cheminé, jusqu’à la célébration, cette année, du cinquantenaire des indépendances africaines. Dans ce cadre, le Festival des Arts Nègres, organisé à Dakar, souhaitait rendre hommage à Marley. J’ai sauté sur l’occasion...
Bob Marley est-il une figure importante de l’émancipation africaine ?
Il a été la première vedette internationale issue du tiers-monde. Son discours, son message, son parcours, résonnent fort au sein de la diaspora noire. Pour moi, rendre hommage à Marley reste une façon de montrer aux jeunes que le monde se construit avec les blacks, les métisses, les blancs, tout le monde ! Et pour célébrer ces 50 ans, il me paraissait important d’honorer des Africains d’origine qui ont durablement marqué l’histoire...
Pour vous, il existe donc un lien privilégié entre votre continent et le reggae ?
Bien sûr ! Avec l’esclavage, des gens sont partis, mais aussi des rythmes, des mélodies... Pourquoi vibre-t-on autant avec ce son ? Comme avec la musique cubaine, brésilienne ? Parce qu’il s’agit d’une partie de nous ! Suivre les traces de nos ancêtres revient à aller toucher des sonorités issues de nous-mêmes. Sur notre continent, les jeunes vivent au quotidien avec le reggae ! Le style conserve un lien très spécial avec nous. En même temps, il s’élève au rang de mouvement planétaire : si nous parlons aujourd’hui de mondialisation des consciences, je pense qu’il en est le symbole...
Cet album a été coréalisé par le légendaire Tyrone Downie (clavier de Bob Marley, collaborateur de Peter Tosh, Tiken Jah Fakoly... ndlr) Comment s’est passé cette collaboration ?
Gaston a retrouvé Tyrone, qui suivait ma carrière et s’est avoué très heureux de travailler avec moi ! Il est devenu un pote, voire le grand frère indispensable du groupe. Mes musiciens vivent la collaboration avec un énorme plaisir : ils jouent, rigolent... avec leur idole ! L’intensité de l’expérience suscite sur scène une belle énergie.
Avec Tyrone Downie, vous avez décidé d’enregistrer votre album dans le mythique studio Tuff Gong de Marley, à Kingston...
On ne pouvait rendre hommage à Bob Marley sans aller dans ces lieux : pour le respect, pour les émotions dont se charge l’endroit, plein de force et de rigueur. Dans ses studios, on n’arrête pas de parler de lui, de côtoyer des objets qu’il adorait ou des membres de sa famille. On comprend plein de choses sur sa musique ! Ici, tu sais que le boss est là, tu le sens...
Il s’agissait de votre premier voyage en Jamaïque... Qu’avez-vous ressenti ?
Par son mode de vie, la Jamaïque ressemble à l’Afrique, par exemple dans l’alimentation, épicée comme chez nous. C’est une énergie très proche et en même temps lointaine : une île, une terre à part. On voit la pauvreté, mais aussi le sourire de gens fiers, qui se sont toujours battus... Y règne l’exceptionnelle vibration de personnalités qui ont vécu des périodes troublées, mais brillent par leurs performances. Quand je vois les Jamaïcains courir, faire du sport, je sais que ces résultats proviennent de leurs difficultés. Et quand j’entends du reggae, je ressens la douleur sous les accents joyeux, le poids de la révolte et de l’histoire sous chaque note.
Parmi les titres de cet album, vous reprenez certains de vos classiques (Medina, Don’t walk away...) Comment s’est effectué le passage du mbalax au reggae ?
Je souhaitais que ces reprises soient le plus proche possible des originales, reconnaissables de la première à la dernière mesure. Si tu veux qu’un joueur de mbalax joue reggae, il doit fournir 50% d’efforts en moins, mais 100% de rigueur en plus. Musique complexe et sophistiquée, le mbalax ne s’appuie jamais sur les premiers temps... Dans le reggae, les contretemps sont clairs, définis. Un musicien de mbalax doit donc diminuer de 50% ce qu’il fait, mais dans ce dépouillement, il doit placer son rythme à la perfection.
Parlez-nous de vos featurings (Mutabaruka, Patrice, Ayo, Morgan Heritage) ?
Le dub poète Mutabaruka a appris ma présence à Kingston par le biais d’un journal local. Il m’a invité dans son émission de radio, et m’a demandé s’il pouvait parler sur la chanson Marley, un titre sur lequel se plaçaient déjà Tyrone Downie et Yusuf Islam (Cat Stevens, ndlr). L’hommage à Bob s’est donc passé de façon collégiale, familiale. C’était magnifique ! Je voulais aussi amener de l’air frais avec les nouvelles voix du reggae, telles Ayo dont j’adore le dernier album, et Patrice, mon pote, mon jeune frère. Quant aux Morgan, si j’appréciais leur art, je ne les connaissais pas personnellement. Un jour, alors que j’étais à Kingston, ils m’ont téléphoné : eux-mêmes étaient à Dakar, et s’apprêtaient à jouer dans mon club ! Face à une telle coïncidence, on ne pouvait que collaborer...
Le film I Bring what I love d’Elisabeth Chai Vasarhelyi, montre en profondeur votre foi soufi… Y’a-t-il une relation entre soufisme et rastafarisme ?
Je suis issu de la confrérie Mouride, dirigée par Cheikh Ahmadou Bamba. Son premier disciple, Cheikh Ibrahima Fall, était rasta. Depuis, toute la succession des disciples, appelés les Baye Fall, ressemblent à des Jamaïcains. Ils font de la musique, dansent, chantent et partagent avec les rastas un socle philosophique : la solidarité, la paix...
Quel regard jetez-vous sur la célébration du cinquantenaire des indépendances ?
50 ans, c’est à la fois une célébration, une renaissance et une projection. On repart sur nos réussites, on apprend de nos échecs, et on rêve de cette "Africa Unite" qui passera forcément par la culture, la musique, ces locomotives... Je pense que le monde entier attend aujourd’hui des propositions concrètes en provenance de l’Afrique en matière d’environnement, de commerces, d’unité... Nous devons construire notre propre vision du futur !