J’ai été surpris ou plus exactement choqué de lire dans un article de l’écrivain Moumar Guèye destiné, semble-t-il, à réhabiliter le drapeau national du Sénégal qui, selon lui, serait banalisé voire foulé du pied, ces propos se rapportant à mon compatriote l’ancien président de la République fédérale du Nigeria, le général Olusegun Obasanjo, et que je cite in extenso :
«Tout récemment, lors de l’inauguration du monument de la Renaissance africaine, j’ai eu un sentiment de fierté devant une si fabuleuse œuvre d’art trônant majestueusement au sommet des Mamelles. La cérémonie était véritablement grandiose. Mais quand à l’heure de l’inauguration, j’ai vu le Président Obasanjo armé d’une énorme paire de ciseaux, lacérer le drapeau du Sénégal, j’ai crié du tréfonds de mon âme : «Non! M. Le Président! Ne faites pas ça!» Hélas, il était trop tard. Mon cri du cœur n’a servi à rien ! En effet, en un clin d’œil, notre honorable frère yoruba avait accompli sa haute mission, sûrement avec fierté, mais pour moi en toute tristesse.»
Faisant fi du respect dû à son rang, à l’invité de marque qu’il représentait et tout simplement aux règles de bienséance et d’hospitalité dues à un hôte étranger, monsieur l’écrivain a cru bon devoir prendre comme cible et bouc émissaire le général Obasanjo dont le seul tort était d’être convié à couper le ruban (est-ce lui le coupable ou le commanditaire de l’acte ?) symbolique aux couleurs sénégalaises pendant la cérémonie d’inauguration du monument de la Renaissance où je me trouvais d’ailleurs. Au delà de l’insolence et de la maladresse du procédé, un véritable affront, qui a consisté à ridiculiser l’ «honorable frère yoruba» (qui soit dit en passant était là en tant que citoyen Nigerian et non en tant que yoruba, wolof, sérère ou je ne sais quoi encore) en le dépeignant sous les traits peu flatteurs d’un vandale profanant le sacro-saint drapeau national, c’est la condescendance voire le mépris que j’ai senti transparaître à travers les propos empreints de xénophobie de cet écrivain dont je n’ai d’ailleurs jamais lu un seul livre bien que séjournant périodiquement au Sénégal depuis de nombreuses années.
Coupable donc de crime de lèse-majesté, le pauvre général Obasanjo a, bien malgré lui et à son insu, servi d’exemple de mauvaise conduite puis jeté en pâture aux citoyens sénégalais peu conscients, paraît-il, de ce que représente leur emblème national «souvent mal considéré, mal respecté et mal soigné», lui qui ne faisait pourtant que passer par là ! Mais c’est tellement plus commode de se défausser sur les étrangers, les niaqhoués, les barbares venus d’ailleurs qui ne connaissent pas les bons usages et qui meurtrissent le cœur des vrais patriotes viscéralement attachés aux valeurs sacrées de leur pays. Pendant que vous y êtes monsieur l’écrivain, pourquoi ne pas demander des sanctions contre le général Obasanjo qui a osé, «armé d’une énorme paire de ciseaux, lacérer le drapeau du Sénégal» ? Et d’ailleurs, pourquoi n’avez-vous pas laissé éclater ce cri du cœur au lieu de l’étouffer pour ensuite vous plaindre dans les colonnes de la presse ? Cela aurait eu certainement plus de sens, même si l’on vous eut pris pour un fou à ce moment-là !
Non monsieur l’écrivain, vous n’avez pas le droit d’écrire n’importe quoi au nom d’un soi-disant patriotisme ou fierté nationale.
Il est dangereux de penser de cette manière et plus encore de distiller des idées aussi rétrogrades. On ne sait jamais jusqu’où cela peut mener. Vous n’avez de même pas le droit de traiter, avec un mépris manifeste, vos compatriotes «d’urineurs de la rue», ni même celui de vous ériger en donneur de leçons sur des questions que vous semblez ne pas maîtriser ou sur lesquelles en tout cas vous avez une vision déformée, rigide, archaïque.
Comment comprendre autrement que vous vous prosterniez devant un simple drapeau, que vous soyiez scandalisé par le fait que l’on utilise ses couleurs à d’autres fins que celle exclusive à laquelle vous les réservez ? Les couleurs n’ont rien de sacré et si l’on devait se mettre à leur vouer un culte, il ne nous resterait plus qu’à changer de planète ! Vous confondez la valeur intrinsèque d’un symbole avec sa représentation matérielle, ce qui à mon avis est une sorte de cécité intellectuelle.
Monsieur l’écrivain, vous avez la liberté de faire la leçon à vos compatriotes et peut-être celle de les traiter de gens sales et sans vergogne, mais pas celle de brocarder des citoyens de pays étrangers qui plus est, hôte de marque de votre président de la République.
«A se le labo wa ba» (l’on récolte ce que l’on a semé) affirme un proverbe bien de chez nous, pour dire que si les populations sénégalaises manquent de civisme (c’est vous qui le dites) au point de n’avoir aucun respect pour leurs propres symboles, c’est parce qu’elles n’ont pas été éduquées ni encadrées par les autorités qui les dirigent et non par la faute de tierces personnes qui n’ont rien à voir avec ce qui se passe dans votre pays. Heureusement que vous n’occupez pas de hautes fonctions politiques ou administratives et que votre statut d’écrivain vous permet dans une certaine mesure de vous exprimer plus librement, autrement votre article aurait été de nature à créer un incident diplomatique ! Le conseil d’ami que je vous donne donc, c’est de vous pencher sur la littérature et d’écrire des romans où vous pourrez donner libre cours à vos pulsions et fantasmes au lieu de balancer dans la presse des articles tout juste dignes d’un pigiste. Un écrivain n’est pas fait pour se fendre de chroniques intempestives dans la presse (à laquelle en passant je suggère d’exercer son droit de censure sur certains articles ou à tout le moins certains passages) à moins d’être un écrivain raté. J’ose espérer que cet article désastreux n’est pas représentatif de votre prose littéraire, mais si malheureusement c’est le cas, alors je vous conseille de changer de métier, à moins que vous n’aspiriez à devenir le Gobineau sénégalais.
Olodumare a ran rere si O
Que Dieu vous bénisse
Thomas ADEKOYA - Consultant en énergies /renouvelables - adekoya@yahoo.fr