Le nouveau président, investi dès la mort d'Umaru Yar'Adua, dispose de peu de temps avant les prochaines élections générales programmées en avril 2011. Son cahier des charges est colossal.
Le 6 mai, Goodluck Jonathan est devenu, à 52 ans, le président du pays le plus peuplé d'Afrique (150 millions d'habitants), rendu à la démocratie en 1999 après des décennies de coups d'Etat et de dictature militaire. Coiffé de son sempiternel chapeau noir, il a prêté serment moins de douze heures après la mort, à 58 ans, d'Umaru Yar'Adua, dont la santé périclitait ces derniers mois. Les deux hommes avaient été élus en tandem, Goodluck Jonathan à la vice-présidence, en 2007. Issu de l'ethnie Ijaw dans le delta du Niger, le réservoir pétrolier du pays, ce dernier n'a jusque-là jamais ébloui par son charisme. Il n'a commencé à faire parler de lui dans les médias nigérians et la presse internationale, qu'en février dernier. Il est sorti de l'ombre quand il a été désigné "président par intérim" pour pallier à la vacance de pouvoir ouverte par l'hospitalisation de Yar'Adua en Arabie saoudite.
Le nouveau président a rendu un hommage vibrant à Umaru Yar'Adua pour son intégrité, son engagement réel en faveur de l'Etat de droit ainsi que son profond patriotisme. Il n'en hérite pas moins d'un pays affligé des mêmes défis colossaux que lors de l'arrivée à la présidence de son prédécesseur. "La priorité à laquelle Jonathan devra s'atteler est d'asseoir son pouvoir. Parvenu sur le devant de la scène par un concours de hasards, il ne dispose d'aucune base sociale", souligne Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur à l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Docteur en zoologie, en 1999, il a remplacé au pied levé le gouverneur de l'Etat pétrolier du Bayelsa démis par le pouvoir fédéral pour cause de corruption. "Olusegun Obasanjo [président du Nigeria de 1976 à 1979 puis de 1999 à 2007] l'a pris sous sa protection et l'a fait figurer sur le ticket pour la présidentielle de 2007, poursuit le spécialiste. Toute la question est de savoir si la fonction va faire l'homme et si Goodluck Jonathan va s'affranchir de son protecteur pour mener sa propre politique."
Ces trois derniers mois, il a déjà pris des initiatives démentant son flegme apparent: il a d'abord limogé le ministre de la Justice suspecté d'entraver le processus de sa nomination à la présidence par intérim. Puis, en mars, il a dissous le gouvernement et raffermi son pouvoir en nommant des vétérans de l'armée à ses côtés. La disparition de Yar'Adua clarifie la situation politique. Mais le cahier des charges de la nouvelle administration est écrasant: la corruption qui gangrène toutes les strates de l'Etat, la pauvreté endémique, le délabrement des infrastructures, la contestation armée dans les Etats pétroliers, les heurts interreligieux sur fond de tensions économiques au centre du pays ou le spectre islamiste sont autant d'abcès purulents.
Goodluck Jonathan dispose de peu de temps. Les prochaines élections générales doivent se tenir en avril 2011, voire même, comme la Constitution le permet dès janvier. Une règle non écrite veut qu'après les huit années de pouvoir d'Olusegun Obasanjo, un chrétien du sud, les musulmans du nord, dont Yar'Adua était, envoient à leur tour l'un des leurs pendant huit ans au sommet de l'Etat, soit jusqu'en 2015. Or le nouveau président est un chrétien du sud. En vertu du principe de réciprocité, il est peu vraisemblable qu'il soit investi par son parti, People Democratic Party (PDC), qui règne sans partage sur la politique nigériane, pour mener la course à la présidence l'an prochain. Au risque de se fracturer, le PDC devrait lui préférer un nordiste.
Et dans le contexte volatil qui précède habituellement les élections au Nigeria, Goodluck Jonathan aura du mal à tenir les promesses faites lors de son investiture (établissement de standards démocratiques, amélioration de la situation socio-économique...). A titre d'exemple, la question électrique, dont la production insuffisante, en dépit de ressources considérables, entrave le développement du pays, est l'une de ses priorités. "Pour réformer le secteur, il faut libéraliser les prix de l'énergie, c'est-à-dire aussi bien le coût du carburant que celui de l'électricité, soulève Philippe Sébille-Lopez, spécialiste de la géopolitique du pétrole. En année préélectorale, les tensions sociales que cela pourrait susciter seraient une bombe à retardement. »