Nouvel album de Duggy Tee, pionnier du hip hop galsen (Fit)

Icône de la génération Boul Falé* aux côtés de Didier Awadi dans les années 1990, Duggy Tee a entamé, en 2005, une carrière solo parsemée de pauses. Après six ans d’absence, il revient sur scène avec un nouvel album, Fit ("le courage" en wolof), qui présente un style plus diversifié, mais toujours le même engagement.



Fils d’un cadre de la défunte compagnie Air Afrique, Amadou Barry grandit en France avant de rejoindre ses amis dakarois au Lycée Maurice-Delafosse. Le jeune homme s’initie au break dance et rêve d’être architecte ou hôtelier. Mais en 1988, de longues grèves paralysent l’année scolaire. Amadou Barry passe ses journées à imiter ses idoles du rap old school – Public Enemy, Gang Starr, Scarface – et le voilà lancé, presque par hasard, dans un hip hop militant. Son nom de scène : Duggy Tee. Il s’associe avec son cousin, Amenophis. Ce sont les grands rivaux d'un dénommé Didier Awadi du Syndicate.

Au bout d’un an, les rivalités s’essoufflent. Awadi et Duggy Tee se trouvent des goûts, des engagements et des références en commun. Panafricains convaincus, ils admirent les idées de Martin Luther King, Malcom X, Julius Nyerere, Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Franz Fanon...

Pour véhiculer à leur tour leurs messages militants, les deux amis fondent en août 1989, le Positive Black Soul (PBS). "On était très ‘pro black’, se souvient Duggy Tee. Le black était toujours associé à quelque chose de négatif et ça nous dérangeait : nous voulions montrer que tout ce qui est noir n’est pas négatif". Mais à cette époque, on associe encore le courant hip hop à l’idée de violence, de gangsta rap, un principe que le duo veut justement éviter de copier. Duggy Tee et Awadi combattent l’afro-pessimisme. Pour se distinguer des autres groupes, ils utilisent des instruments africains (la kora et les percussions) et mettent en avant leur "africanité".

Génération "Boul Falé"

En 1994, l’album Boul Falé, propulse le PBS et ouvre une brèche à toute une génération : on parle alors de rap "galsen" (pour Sénégal, ndlr). "Boul Falé, c’est : 'don’t worry, be happy", décrypte Duggy Tee. Les PBS encouragent les jeunes à aller de l’avant, à ne pas baisser les bras face aux obstacles du quotidien. Cet état d’esprit se divulgue rapidement. Les succès s’enchaînent. Les PBS font plusieurs tournées, sortent au total neuf albums, et produisent d’autres groupes. "Beaucoup de groupes se sont fait connaître grâce aux compils, Sénérap 1 et 2 que produisaient les PBS", observe DJ Alla, du studio Youkoungkoung à Guediawaye, en banlieue dakaroise.

"Avec son style, le PBS a marqué son temps et a influencé plusieurs artistes sur le continent", analyse Docta, qui fait figure de pionnier du graffiti au Sénégal. Docta, à l’instar de plusieurs autres artistes qui oscillent entre musique, graff et slam, estime que le concept "Boul Falé" a été le moteur des cultures urbaines à Dakar. "C’était une belle époque : nous étions jeunes, frais… nos parents ne nous comprenaient pas. C’était l’époque où on y allait, on fonçait : avec peu de moyen, on arrivait à faire de bonnes choses, et avec du recul, ajoute-t-il, cela nous a forgé".

Duggy Tee sur MySpace

En 2002, c’est la rupture. Les divergences dominent, les deux acolytes affirment avoir des "orientations artistiques différentes". Awadi entame une carrière solo. Duggy Tee s’éclipse de la scène, pour assure-t-il, "se consacrer à sa famille", notamment à sa petite fille qui vient de naître.

Duggy Tee revient discrètement sur la scène hip hop en 2003, avec un premier album solo dont il ne fait aucune promotion. Puis silence radio. L’artiste affirme être en "hibernation ". En 2005, il sort Ngëm (la foi), élu meilleur album de l’année au Sénégal. Désormais, Duggy Tee veut mettre l’accent sur les valeurs humaines. "Quoique l’on fasse dans la vie, tant qu’on y croit pas, ça ne sert à rien de s’investir", résume Duggy Tee, qui encourage ses compatriotes à "bâtir quelque chose".

Le 14 octobre dernier, l’artiste aux longues dread locks et à l’allure filiforme, est revenu sur scène après six ans d’absence pour présenter son nouvel album, Fit, second opus d’une trilogie : NGëm (croire), Fit (le courage), Jom (l’honneur) en préparation. 23 titres qui appellent chaque individu à "oser se regarder dans un miroir pour voir ses défauts et aller de l’avant", souligne-t-il.

Hormis cette valeur humaine, Duggy Tee évoque son retour en force : "the king is back", le roi est de retour, inscrit le rappeur comme second titre de son album. Mais Fit est surtout un album composite, qui mêle reggae, soul avec rap pur et dur. Où l'on sent aussi l'influence de Youssou N'Dour, de Baaba Maal, d’Omar Pène ou encore de DJ Montana. A écouter sans faute.

*"Ne t’occupe pas", en wolof

Duggy Tee Fit (autoproduit) 2011

Par Bineta Diagne, Rfi

Papa Mamadou Diéry Diallo

Dimanche 30 Octobre 2011 10:38


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