Comment pouvez-vous garantir à Israël et aux pays du Golfe que cet accord est suffisamment « robuste », pour reprendre votre expression, afin d’empêcher l’Iran de se doter, à terme, de l’arme atomique ?
La question nucléaire iranienne ne concerne pas seulement Israël et les pays du Golfe : s’assurer que l’Iran ne puisse pas se doter de l’arme nucléaire est une préoccupation de toute la communauté internationale. Il en va en effet de la prolifération nucléaire, donc de la sécurité et de la paix.
Pour atteindre cet objectif – « oui au nucléaire civil pour l’Iran, non à l’arme nucléaire » –, dont le président de la République et moi-même avons toujours dit qu’il commandait la position de la France, nous avons été particulièrement attentifs dans ces longues négociations à trois aspects : limiter de façon précise les capacités d’enrichissement de l’uranium par l’Iran et ce qu’il pourra faire en termes de recherche et développement ; pouvoir vérifier concrètement la mise en œuvre de ses engagements ; prévoir un mécanisme de rétablissement automatique des sanctions en cas de violation. Cette ligne de fermeté constructive a permis d’aboutir à un accord suffisamment robuste, en tout cas pour une période de plus de dix ans. C’est dans le même esprit que nous veillerons à sa mise en œuvre.
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Envisagez-vous de vous rendre prochainement à Téhéran ?
C’est tout à fait possible.
Cet accord ouvre-t-il la voie à une coopération avec l’Iran sur les grandes crises régionales, notamment la Syrie, l’Irak et le Yémen ?
L’accord vise à mettre fin à l’une des plus graves et des plus longues crises de prolifération nucléaire. Il vise à davantage de paix et de stabilité au Moyen-Orient. La région est déjà suffisamment éruptive pour que n’y soient pas ajoutés des conflits nucléaires. Au-delà, si l’Iran, pays important, grande civilisation, acteur majeur dans la région, fait clairement le choix de la coopération, nous saluerons cette évolution, mais nous jugerons sur pièces. Sa contribution serait utile pour aider à régler de nombreuses crises.
Ne redoutez-vous pas que l’Iran utilise les fonds considérables récupérés par la levée des sanctions pour renforcer les milices chiites au Proche-Orient ?
Ce sera l’un des tests. Et nous y serons particulièrement vigilants.
Quelles sont les avancées de cet accord par rapport à l’accord de Lausanne, en avril, qui avait défini les grands paramètres d’un compromis ?
Nous passons de l’agrément sur plusieurs principes à Lausanne à un accord effectif, précis, complet à Vienne. Cela a représenté en soi un énorme travail diplomatique. Sur le fond, nous avons notamment progressé sur les questions liées à la militarisation et à ce qu’on appelle le « canal d’acquisition », c’est-à-dire la procédure spécifique que l’Iran devra respecter pour acquérir des biens présentant une certaine sensibilité. Nous avons aussi clarifié la question de l’embargo sur les armes et sur les missiles. Surtout, il s’agit d’un accord d’ensemble qui clôt douze années de controverses et de discussions. Il assure le caractère exclusivement pacifique du nucléaire iranien. Et il peut faciliter, s’il est pleinement respecté, une normalisation des rapports internationaux de l’Iran. C’est en cela qu’il peut être qualifié d’historique.
Aux termes de cet accord, l’Iran conserve le droit à un programme nucléaire encadré et pourra poursuivre la recherche et développement sur des centrifugeuses avancées : cela ne revient-il pas, de facto, à repousser à plus tard, dans dix ans, la même question ?
Concentrons-nous sur des éléments incontestables : avant cet accord, le délai de « break out » – c’est-à-dire le temps nécessaire pour que l’Iran accumule suffisamment d’uranium enrichi pour fabriquer une bombe – était de deux mois ; ce délai est porté à plus de douze mois par l’accord, et il sera maintenu à ce niveau pendant dix ans. Des limitations demeureront au-delà des dix ans. Par ailleurs, ce programme nucléaire, strictement civil, fera l’objet des contrôles nécessaires. C’est déjà un résultat appréciable.
L’accord préconise la levée des sanctions contre l’Iran. Comment pouvez-vous garantir qu’elles seront réintroduites en cas de violation constatée par l’Iran ?
C’est ce qu’on appelle le « snap back ». La France a beaucoup œuvré pour proposer et faire adopter un mécanisme de rétablissement automatique des sanctions en cas de violation par l’Iran de ses obligations. Si un des Etats du P5 + 1 (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne) estime que l’Iran ne remplit pas ses obligations et que celui-ci ne fournit pas d’explication crédible, cet Etat pourra provoquer un vote du Conseil de sécurité sur un projet de résolution réaffirmant la levée des sanctions de l’ONU ; en opposant son propre veto, il obtiendra alors à coup sûr le rétablissement des sanctions. Je vous concède que c’est subtil, mais c’est à ce prix qu’on réalise des compromis efficaces sur des sujets aussi complexes.
En cas de violation de l’accord, ce texte prévoit que l’Iran pourra disposer d’un maximum de 65 jours avant la réintroduction des sanctions : ce délai ne donne-t-il pas le temps nécessaire à l’Iran pour dissimuler des activités proliférantes ?
Si un des six Etats du P5 + 1 estime que l’Iran viole une de ses obligations, il saisit la Commission conjointe, qui inclut les Six et également les Iraniens. S’ouvre alors une discussion pendant un maximum de 35 jours. S’il n’est pas convaincu, n’importe lequel des Six peut saisir le Conseil de sécurité. Avec ensuite 30 jours au maximum pour rétablir les sanctions. C’est effectivement assez long, mais, avec les technologies modernes de surveillance et de vérification, on ne dissimule pas en quelques jours toute trace d’activités proliférantes.
L’accord maintient-il un embargo total sur les armes lourdes et balistiques, et pour combien de temps ?
Cela a été discuté jusqu’au bout. La position de la France a été, là aussi, claire et ferme : il serait contradictoire que la conséquence immédiate de cet accord soit de lever les contraintes pesant sur l’Iran dans le domaine des armes et des missiles. L’embargo sur les armes est donc maintenu pour cinq ans et les interdictions de transferts dans le domaine balistique pour huit ans.
L’accord autorise-t-il l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à se rendre sur tous les sites, y compris militaires, sans restrictions ?
Un accord qui n’est pas vérifiable est un accord qui n’est pas appliqué. Nous avons donc veillé à ce que l’Iran applique les plus hauts standards de vérification de l’AIEA. S’y ajoute une procédure spécifique le concernant. L’accès à tous les sites sera possible, y compris le site de Parchin, non pas pour essayer de percer des secrets militaires mais pour vérifier s’il y a eu ou non activité nucléaire répréhensible. J’en ai parlé plusieurs fois avec le directeur général de l’AIEA pour être certain qu’il estimait suffisant et crédible le dispositif.
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Quelles sont les étapes de la mise en œuvre de l’accord ? Et redoutez-vous un blocage au Congrès américain ?
Le calendrier est celui-ci : après endossement par le Conseil de sécurité s’ouvre une période de 90 jours au cours de laquelle l’Iran devra prendre diverses mesures pour se préparer à la mise en œuvre de l’accord. La phase suivante durera six à neuf mois pendant lesquels il devra mettre en œuvre l’ensemble de ses engagements dans le domaine nucléaire. Chacune de ces étapes sera accompagnée d’un allégement progressif des sanctions. Concernant les Etats-Unis, le Congrès aura à se prononcer et je n’ai pas de commentaire particulier sur ce sujet sinon celui-ci, de bon sens : lorsqu’on évalue un accord, on ne doit pas le faire seulement dans l’absolu, mais comparer la situation en cas d’accord avec ce qui advient concrètement s’il n’y a pas d’accord.
Ne craignez-vous pas que le rapprochement observé entre la France et l’Arabie Saoudite ne pénalise les entreprises françaises sur le marché iranien ?
Non, pour deux raisons. D’une part, lorsqu’il s’agit d’écarter la menace du nucléaire militaire, on ne peut pas déterminer la position de son propre pays en fonction de considérations commerciales : il s’agit de la sécurité et de la paix. D’autre part, la compétition économique en Iran sera certainement rude, parce que tout le monde est sur les rangs. Mais n’oubliez pas que nos entreprises ont longtemps travaillé avec et dans ce pays, qu’elles sont excellentes dans plusieurs secteurs, et qu’elles auront des atouts à faire valoir. Je suis donc confiant pour elles. Quant à nos amitiés traditionnelles, il n’est pas question d’y renoncer.
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