Offensive du Hamas en Israël: «Même dans l’espace arabo-musulman, c’est un tournant»

Israël a été pris de stupeur ce samedi 7 octobre au matin après le déclenchement de l'opération « Déluge d'Al-Aqsa » par la branche armée du Hamas. Israël a ensuite lancé en riposte l’opération « Épée de fer ». Hasni Abidi, directeur du CERMAM, le Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, décrypte la situation sur le terrain mais aussi au niveau régional.



RFI : Une offensive d'une telle ampleur de la part du Hamas, c'est un tournant, selon vous ?

Hasni Abidi : Oui, c’est un tournant, dans la mesure où le Hamas, aujourd’hui, se positionne comme unique interlocuteur, évidemment, voulant une certaine légitimité populaire palestinienne. Et même dans l’espace arabo-musulman, c’est un tournant, parce que c’est la première fois que nous assistons à un mouvement palestinien qui occupe des terres dans le sud d’Israël, ce que même des États arabes n’ont pas réussi à faire. Et le troisième élément, c’est que cette attaque massive et surprise montre finalement la fragilité et la vulnérabilité du système de sécurité israélien.

On l'a dit, cette opération du Hamas est sans précédent, avec notamment des milliers de roquettes tirées samedi depuis Gaza, territoire enclavé pourtant minuscule et observé de très près par Israël. Est-il seulement possible que le Hamas y soit parvenu sans soutien extérieur ?

Le Hamas a acquis une certaine expertise, même expérience, en matière de fabrication, de confection d’arsenal militaire. La frontière avec l’Égypte n’est pas non plus infaillible, les souterrains ont par moment aidé les factions palestiniennes, plusieurs factions, pas seulement le Hamas, à se doter de cet arsenal. Et il n’est pas exclu, c’est une hypothèse bien sûr, que les Iraniens aient joué un rôle important, ainsi que le Hezbollah libanais, et contribuent aussi dans ce renforcement des capacités militaires du Hamas.

L'artillerie israélienne a frappé ce dimanche matin sur le sud du Liban en réponse à des tirs en provenance du sol libanais. Le Hezbollah revendique ces tirs « en solidarité avec la résistance et le peuple palestinien ». Le conflit peut-il s'étendre à d'autres fronts aujourd’hui ?

Le front libanais, c’est l’un des fronts les plus mous et aussi les plus vulnérables. Le Hezbollah obéit aussi à un agenda intérieur libanais qui ne lui est pas favorable, en ce moment. On a aussi vu, ces derniers mois, des visites répétées entre responsables militaires et politiques du Hamas au sud du Liban, et je pense que justement, ces tractations ont certainement abouti à nouer des relations importantes entre les deux. Et pour Israël, bien sûr, c’est un défi supplémentaire, d’être présent sur deux fronts importants.

L’autre question qui se pose ce dimanche matin est celle des motivations, des objectifs du Hamas avec cette offensive, les prises d'otages de soldats et de civils israéliens ramenés à Gaza samedi, qui semblent un moyen pour le groupe d'attirer l'armée israélienne dans l'enclave, de la contraindre à une intervention au sol dans un théâtre urbain. Que cherche à obtenir le Hamas, politiquement et stratégiquement, aujourd’hui ?

Améliorer ses conditions de négociations, ramener les Israéliens à des négociations avec des partenaires connus, des partenaires traditionnels, les médiateurs, l’Égypte et le Qatar, et cette fois-ci, le Hamas va encore négocier en position de force. Le Hamas avait deux objectifs qui sont très importants dans son discours : c’est la défense, bien sûr, de la mosquée Al-Aqsa, d’où le nom de l’opération, « déluge d’Al-Aqsa », c’est très important pour justement dire à son audience qu’il est le seul défenseur de ce lieu saint. Le deuxième élément, à mon avis, c’est la libération de plusieurs prisonniers des brigades d’Al-Aqsa, mais aussi du Jihad islamique, qui sont dans les prisons israéliennes. On le sait, il est capable d’échanger un Israélien contre probablement cent Palestiniens, et ça, c’est un élément important, parce que le Hamas est aussi sous pression intérieure, sur le plan économique et social. Le Hamas, c’est un échec total dans la gestion économique et sociale pour plusieurs raisons. Et il y a aussi la peur d’être dépassé par des arrangements, par des négociations, qui vont l’exclure de tout deal politique dans la région.

On évoque une possible volonté de la part du Hamas d'enrayer la normalisation des relations entre Israël et l'Arabie saoudite, c'est une analyse que vous partagez ? Cette opération peut-elle avoir un impact sur ce processus ?

À court terme, oui, on peut dire que ce processus est complètement torpillé par l’attaque du Hamas et par ses parrains. Il faut toujours donner une dimension locale à ce qui se passe en Cisjordanie et à Gaza. Même s’il y a des acteurs étrangers, la donne intérieure propre aux Israéliens et aux Palestiniens, c’est la motivation principale de cet embrasement, et évidemment, il est très difficile pour le prince héritier Mohammed Ben Salmane d’accélérer le pas vers une normalisation dans les conditions que l’on connait aujourd’hui.

Dans les pays du monde arabe qui ont déjà normalisé les relations avec Israël, il y en a un petit nombre, l'offensive du Hamas et la riposte d'Israël peut-elle, notamment par les images, remobiliser les opinions ? Est-ce qu'on pourrait voir les autorités de ces pays en porte-à-faux, la relation se tendre avec leur population sur cette question ?

Évidemment, il y a une prudence, et même une absence de réaction officielle de certains États, et notamment de ceux qui ont conclu les accords d’Abraham, et ceux qui sont candidats, bien sûr – le Soudan, le Maroc, les Émirats arabes unis. Attention, la population n’est pas acquise à ce processus de normalisation, je pense qu’il est important dans l’intérêt d’Israël, et même des États-Unis, qui ont passé leur temps, finalement, à obtenir ce grand deal, de savoir que cette paix restera toujours une paix de fiction, une paix artificielle : il s’agit d’une transaction entre certains États arabes et Israël, mais pas véritablement une paix qui est partagée par les populations du monde arabe.

Cette offensive du Hamas se fait aussi dans un contexte de divisions, de dissensions avec l'Autorité palestinienne. Quel impact cela peut-il avoir ? Y compris dans l'opinion palestinienne ? Est-ce qu’on pourrait voir, par exemple, le Hamas reprendre la main ? On a vu, par exemple, des manifestants avec des drapeaux du Hamas samedi, à Ramallah, c’est une image plutôt inhabituelle ?

Oui, inhabituelle. Jusqu’à maintenant, il est très difficile de parler d’une certaine popularité du Hamas en Cisjordanie, mais face à l’effacement complet de l’Autorité palestinienne et la fragilité, à la fois physique, mais aussi politique, de Mahmoud Abbas, il est très difficile de voir un rôle central de l’Autorité palestinienne. L’Autorité palestinienne joue le rôle qu’on veut lui donner, que les Américains veulent lui donner, qu’Israël veut lui donner. Mais après avoir marginalisé l’Autorité palestinienne, d’abord par Tel-Aviv, mais aussi par les États-Unis, en disant que ce n’est pas un interlocuteur valable, en refusant de donner les moyens financiers et politiques à l’Autorité palestinienne, aujourd’hui, nous sommes face à une autorité qui a un pouvoir qui ne dépasse pas le pouvoir d’une municipalité. Donc oui, le Hamas a de fortes chances d’obtenir, finalement, une certaine majorité. Et probablement, des éléments proches du Hamas sont en Cisjordanie, ce qui va compliquer la tâche sécuritaire pour Israël, mais aussi accélérer la mutation au sein du mouvement Fatah et aussi au sein de l’OLP, l’Organisation de libération de la Palestine.

RFI

Dimanche 8 Octobre 2023 13:02


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