Opinion: « RETOUR SUR AUTOPSIE DES RACINES DU MAL GUINEEN »



Un demi-siècle d’indépendances n’a pas suffi à une « certaine Afrique » de se soustraire des projecteurs de l’actualité internationale, du fait d’un système jusqu’à nos jours réfractaire à la démocratie.
Les armées africaines conçues pour assurer la défense et asseoir l’autorité du pouvoir sont plus que jamais menaçantes pour la stabilité. Ces armées à l’origine des crises sont issues des mouvements de libération, des guerres d’indépendances, des transitons entre le pouvoir colonial et le pouvoir national.
Cette instabilité est souvent constatée dans certains pays francophones d’Afrique ou l’indépendance fut arrachée ou qui se dotent brusquement des armées populaires à la suite de changement de régime politique et d’orientations idéologiques et c’est précisément le cas de la Guinée, qui est partie du désordre comme instrument politique.
Vaste de plus de 245.857 km2, la Guinée est bordée par la Guinée Bissau au Nord-Ouest, le Sénégal au Nord, le Mali au Nord-Est, la Côte d’Ivoire à l’Est, le Liberia et la Sierra Leone au Sud-Ouest. C’est un pays géographiquement entouré d’un cercle de feu.
Les deux tiers du pays sont montagneux et bénéficient d’une pluviométrie abondante et régulière ainsi qu’un réseau hydrographique exceptionnellement puissant et équilibré. Ce « château d’eau » de l’Afrique de l’Ouest compte 85 °/° de musulmans. Ce pays qui a accédé à l’indépendance le 2 octobre 1958 a un grand potentiel de réussite.
Mais depuis son accession à l’indépendance, la Guinée est jalonnée de coups d’Etat, de mutineries et de tensions ethniques que les sévères afro-pessimistes seraient tentés de dire que Cham, le fils maudit de Nohé, serait originaire de ce pays.
Ainsi la plupart des chefs d’Etat qui se sont succédé au pouvoir ont utilisé les armées pour se maintenir au pouvoir, ce qui du reste les éloigne de leurs missions premières. Elles sont souvent chargées d’assurer la longévité du pouvoir en place et elles n’ont qu’une tâche répressive à l’encontre des pauvres populations et des opposants.
Le principe d’égalité devant le service public qui assure la fonction d’intégration sociale est violé car les soldats sont recrutés en fonction de leur appartenance ethnique et régionale afin d’avoir des « militaires marionnettes ».
Laissés à eux-mêmes, les simples sous officiers et hommes de troupe se livrent à des scènes de pillages, de rackets, d’émeutes et de mutineries pour survivre ou exiger leur dû. Les principes fondamentaux qui caractérisent l’armée républicaine à savoir la hiérarchie, la discipline, la loyauté, la rigueur disparaissent, ce qui laisse la place à l’allégeance aux politiques qui s’érigent en véritables seigneurs distributeurs de galons.
Dans ce contexte, et dans le but de combattre les inégalités, naissent dans l’esprit des quelques rares officiers issus des régions et des ethnies oubliées des idées de révolte et de coup d’Etat.

Ainsi, à partir de la mort de Sékou Touré en 1984, l’ex Sergent de l’armée française, Lansana Conté, a pris le pouvoir le 3 Avril 1984 par coup de force ayant trait à un coup d’Etat. Il assure comme un fidèle héritier de ce dernier la continuité de son régime dictatorial. Mais Conté fut confronté au mois de juillet 1985 à une tentative de coup d’Etat avorté perpétré par les forces armées guinéennes. Par prudence, il procède à l’exécution de ses compagnons de lutte pour s’assurer une malgouvernance sans souci majeur.
En 1990, il fait réviser la Constitution pour proclamer un multipartisme de façade et mieux asseoir son régime ethno-clanique et mafieux. Ainsi il gagne les élections avec 96 °/° des suffrages en 1993. En 1998, il se fait reélire tout en arrêtant son principal rival Alpha Condé, le principal favori auxdites élections. Malgré le boycott de l’ensemble des opposants, il se fait réélire encore une nouvelle fois en 2003.
Les facteurs qui risquent à court terme de déstabiliser la Guinée trouvent leurs racines dans les antagonismes ethniques fortement intériorisées par son armée, qui n’hésite jamais à freiner le processus démocratique. En effet, les références ethniques sont l’un des principaux déterminants de la vie politique et publique en guinée. A l’origine même de la vie politique en Guinée, il y a eu des groupements ethniques et régionalistes : l’Union du Mandé, l’Union forestière, l’Union de la basse Guinée, le Fouta Djalon, l’Union des Métis.
Depuis le régime tyrannique de Sékou Touré en passant par Conté et le CMRN, les pratiques politiques sont restées les mêmes. Toutes les conditions d’une profonde crise sont réunies : chômage, alcoolisme, corruption, développement du phénomène narcotrafiquant aggravé par ses frontières poreuses avec sa voisine, la Guinée Bissau, banditisme militaire, gabegie des dirigeants, prostitution et trafic d’armes. En effet l’histoire récente de ses voisins, le Liberia et la Sierra Leone, a entraîné une prolifération des armes légères qui échappent aux autorités guinéennes.
Ainsi à l’annonce de la mort du vieux dictateur malade Lansana Conté, un jeune Capitaine du nom de Moussa Dadis Camara s’empara du pouvoir le 23 décembre 2008. Mais les problèmes de ce pays riche et pauvre à la fois furent aggravés par les massacres du 28 septembre 2010 dans le grand stade de Conakry faisant plus de 150 morts et des centaines de femmes violées selon les Nations Unies.
Et le Président Blaise Compaoré qui sait profiter des occasions qu’elles soient bonnes ou mauvaises, fut nommé par la CEDEAO comme médiateur de la crise. Il produit le projet d’Accord de Ouagadougou du 20 novembre 2009 qui, du reste, était rejeté par les forces vives qui exigeaient la non participation de Dadis Camara aux élections. Mais entre temps, le Capitaine fougueux et bavard reçoit une balle venant d’Aboubakry Diakité dit "Toumba" dont il voulait se servir comme bouc-émissaire devant l’arrivée des enquêteurs internationaux.
Ces rebondissements tragiques font monter le très timide Général Sekouba Konaté à la commande qui accepta ces accords avec la nomination le jeudi 21 janvier 2010 de Jean Marie Doré de l’Union Pour le Progrès de Guinée (U.P.G.), comme Premier ministre de la transition chargé d’organiser des élections libres et transparentes. Ce qui mènera à l’élection de l’opposant historique Alpha Condé en novembre 2010, comme premier président de la République démocratiquement élu de la Guinée. Après seulement quelques mois au pouvoir, Condé vient juste d’échapper, dans la nuit du lundi 18 au mardi 19 juillet 2011, aux coups d’artillerie du Général Nouhou Thiam et compagnie, tout en tempérant avec ses termes de « tentative d’assassinat » à la place de coup d’Etat.
Au vu de cette tragédie qu’a connu et que continue de connaitre la Guinée, il nous semble que toutes mesures venant aussi bien de la part de la communauté internationale que des politiques internes qui ignorent fondamentalement les données militaires donneraient naissance à de nouveaux coups de force sans parler des troubles internes qui risquent de surgir à tout bout de champ et au moindre étincelle.
Et à ce propos, les institutions financières comme le FMI et la Banque Mondiale devraient aider ce pauvre pays à trouver les voies du développement économique. C’est aussi le rôle de l’ONU, l’Union Européenne, l’Union Africaine, la CEDEAO, et les partenaires de la Guinée comme la France et les Etats-Unis, bref de la communauté internationale, de veiller de près aux respects de l’Etat de droit de la démocratie tout en aidant à la promotion du commun vouloir de vie commune pour paraphraser Renan.
Ainsi la communauté internationale doit aussi travailler au soutien de la Guinée dans une véritable refondation de l’armée guinéenne en insistant davantage sur la formation mais aussi en formatant la psychologie du soldat guinéen dans le respect de l’Etat de droit, de la démocratie, la défense de l’intégrité territoriale et au respect des civils. Bref, il faut batailler pour l’existence d’une véritable armée nation en Guinée Conakry.

Pathé BA - Conseiller Juridique-Chercheur en Science politique
pathebateps@yahoo.fr


Jeudi 21 Juillet 2011 12:57


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