PROCES HISSENE HABRE au Sénégal et l'inutilité de la création de chambres spécialisées de jugement

Le mercredi 22 Aout 2012 à Dakar, le gouvernement Sénégalais et l’Union Africaine ont signé un accord de principe en vue d’organiser le procès de l’ancien Président Tchadien M. Hisséne HABRE. L’accord conclu, fait état de la création de quatre Chambres spéciales pour l’unique procès. Une grande première dans l’histoire de la justice pénale internationale. Une erreur manifeste d’appréciation, à notre avis. Mais, il serait intéressant avant de soulever ces problèmes, de revenir sur cette affaire politico-judiciaire qu’il faut désormais appeler « l’affaire Pinochet de l’Afrique » et qui alimente les médias nationaux et internationaux depuis plus de douze ans.



I/ BREF RETOUR SUR LA TRAJECTOIRE D’UN REFUGIE POLITIQUE EMCOMBRANT

A l’image de nombreux pays africains, le Tchad d’après indépendance était confronté à une instabilité politique avec une série de coups d’Etat et des guerres ethniques interminables. Profitant de cette instabilité, M. Hisséne HABRE organisa une rébellion et renversa le régime le 7 juin 1982 à l’époque dirigé par son ex-compagnon et frère d’armes, Goukouni WEDDEY. Une fois au pouvoir HABRE décida de mener des représailles contre toutes les ethnies qui s’étaient opposées à son pouvoir. Ainsi, des ethniques telles que les Sara, les Hadjaraï et les Zaghawa (ethnie de l’actuel président, M. Idris DEBY) vont vivre la plus sombre page de leur histoire sous les yeux fermés de la France et des USA. Chemin faisant, il sera à son tour renversé par l’un de ses plus grands fidèles et son ancien Chef d’Etat Major et ex Ministre de la défense, DEBY. Lequel est d’ailleurs reproché de s’être largement impliqué dans les crimes imputés à son prédécesseur. Mais, avant de quitter le pouvoir, l’ex dictateur est soupçonné d’avoir commis 40. 000 assassinats politiques et d’actes de torture par le biais de sa police politique, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), selon la Commission Nationale d’enquête créée par décret n°014/PCE/CJ90.

Il choisit le Sénégal comme terre d’exil et y menait une vie tranquille jusqu’au jour où sept tchadiens s’estimant victimes de son régime avec l’aide des ONG de défense des droits de l’Homme arrivent à Dakar et décident de saisir les juridictions du pays pour obtenir son jugement. Ce fut le 25 Janvier 2000. Très vite, le respectueux Doyen des juges, M. Demba KANDJI décida de l’inculper du chef de complicité de crimes contre l’Humanité, d’actes de torture et de barbarie, et le plaça en résidence surveillée sur la base des articles 45 et 46 du Code de Procédure Pénale et des articles 294 bis et 288 du Code Pénal Sénégalais. Cependant, l’alternance politique intervenue le 19 mars 2000 va bouleverser la donne. En effet, Abdoulaye WADE, devenu président montra toute son hostilité quant à la tenue d’un procès d’un ancien Chef d’Etat Africain sur son territoire. Du coup, le juge KANDJI sera dessaisi de l’affaire et nommé Avocat Général près la Cour d’Appel de Dakar suite à un Conseil Supérieur de la Magistrature tenu le 30 juin 2000 et présidé par Abdoulaye WADE. C’est ainsi que la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Dakar rendit la décision n°135 du 4 juillet 2000, dans laquelle elle déclare l’incompétence des juridictions du pays de connaître des faits commis par un étranger à l’étranger et sur des étrangers. Une décision surprenante, car la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 que le Sénégal a ratifié depuis le 16 juin 1986 est sans équivoque. Celle-ci, impose aux Etats parties de doter leurs juridictions d’une compétence pour juger les auteurs présumés de telles infractions, alors même que ces crimes auraient été commis à l’étranger et que ces auteurs ne seraient pas des nationaux de cet Etat. Il s’agit là du principe « aut dedere aut judicare » (soit extrader, soit juger) résultant d’une compétence universelle à caractère obligatoire c'est-à-dire que l’Etat for (le Sénégal) n’a que deux choix, soit le juger soit l’extrader à un autre Etat qui le réclame. Malgré, ce refus notoire du Sénégal de respecter ses engagements internationaux, la Cour de Cassation allait rejeter le pourvoi formulé devant elle, au motif que « les faits visés ne constituent pas une infraction au regard du droit national ». Ce qui est également une violation de l’article 98 de la constitution du Sénégal relatif aux Traités et Accords Internationaux. Après cette première étape, les victimes vont se tourner vers la Belgique qui, de sa propre initiative s’était dotée d’une loi dite de Compétence Universelle datant de 1993. Mais du fait d’intenses pressions américaines et israéliennes qui avaient vu le Président George BUSH et le Premier Ministre Ariel SHARON menacés de poursuite, la justice Belge était obligée de restreindre largement le contenu de cette loi. D’ailleurs, c’est pourquoi la Belgique accusée de promouvoir une justice à deux vitesses n’inspire plus confiance aux Etats Africains. Néanmoins, les Belges accèdent aux plaintes déposées par les victimes et adressent officiellement une demande d’extradition au gouvernement Sénégalais le 19 septembre 2005 qui, une fois de plus sera rejetée par la justice de l’Etat for (du Sénégal). Menacé de sanctions par la communauté internationale pour violation de Convention Internationale, le Sénégal se tourne vers l’Union Africaine le 27 novembre 2005, pour l’aider à désigner la juridiction compétente pour juger HABRE. C’est justement à cette demande que l’Union vient d’accéder, en donnant l’Etat Sénégalais l’autorisation de mettre sur pied des Chambres extraordinaires pour la tenue du procès.

II/ DEVOIR DE JUSTICE ET ERREUR MANIFESTE D’APPRECIATION.

L’accord d’instaurer des Chambres extraordinaires (quatre Chambres : une Chambre d’instruction au sein du Tribunal Régional hors Classe de Dakar, et une Chambre d’accusation, une Cour d’Assises et une Cour d’Assises d’appel au sein de la Cour d’Appel de Dakar) est inopportun, incongru, injustifié, à la limite unitile en dehors du devoir, voire de l’obligation de notre pays de faire juger cet ancien dictateur, ceci pour deux raisons:
D’abord le contexte Sénégalais ne répond pas à la mise en œuvre de telles Chambres. En effet, la création d’une Chambre extraordinaire répond à un contexte bien particulier. Ce sont des juridictions que la communauté internationale à l’habitude d’installer dans des Etats sortis d’une guerre civile sanglante, d’un régime dictatorial où le système judiciaire est incapable de faire face aux nombreuses exactions commises pendant la période de trouble. C’est ainsi que nous avons les Chambres Spéciales créées au Timor-Leste par un Règlement adopté par M. Sergio VIERA DE MELLO, en vertu de la Résolution n°1272/1999 du 25 octobre 1999, pour faire face à la répression sanglante qui avait coûté la vie à près de 200. 000 personnes, soit un tiers de la population Timoraise entre 1975 et 1999 et les Chambres extraordinaires du Cambodge, un pays affecté par un régime communiste dictatorial entre 1975 et 1979. Au nom d’une idéologie nationaliste, les Khmers rouges avec à leur tête Pol POT avaient installé des centres de détention et de torture, des charnières dont le nombre avoisine 20. 000 pour torturer et tuer les populations locales. En mars 2003 un accord fut signé entre les Nations Unies et l’Etat Cambodgien pour créer trois Chambres extraordinaires afin de juger les criminels. Sur ce, en quoi la situation du Sénégal ressemble t-elle à celle de ces Etats? Un pays cité en exemple de démocratie et de stabilité politique avec un système judiciaire qui fonctionne à merveille.

Ensuite c’est un accord signé pour satisfaire la revendication « d’un groupe syndical ». Il s’agit d’un lobby de Chefs d’Etats Africains, qui ont juré de ne jamais extrader un des leurs vers un pays occidental ou vers la Cour Pénale Internationale. En atteste la décision adoptée le 3 février 2009 par la douzième Session Ordinaire de la Conférence de l’Union Africaine, qui autorise aux Etats membres de refuser de livrer M. Omar El BECHIR actuel président Soudanais, alors sous le cout d’un mandat d’arrêt international lancé par la CPI. La question qui se pose est celle de savoir, pourquoi les Chefs d’Etat Africains ne doivent –ils pas répondre de leurs propres actes devant la justice tout en envoyant leurs propres concitoyens devant les juridictions internationales au motif qu’ils ont commis des crimes internationaux. Les exemples foisonnent : Thomas LUBANGA DYILO, Germaine KATANGA, Mathieu NGUDJOLO, Bosco NTAGANDA, Jean Pierre BEMBA, etc. sont tous déférés devant la C.P.I. par les gouvernements de leur propre pays. A notre avis, le Sénégal après son long dilatoire, devrait refuser cette « chirurgie esthétique » consistant l’installation de ces Chambres pour les beaux yeux de certains Chefs d’Etat. Il est bien possible de juger et de punir Hisséne HABRE, sans aucune modification du système judiciaire en place et cela en toute conformité avec les Conventions Internationales, alors pourquoi s’engager de telle manière dans un procès qui sera aussi imprécis qu’onéreux.

En définitive, il serait intéressant que l’Afrique et ses fils sachent, que si le fait d’envoyer des Africains en Occident perturbe leur fierté, il y a lieu de penser sérieusement à l’établissement d’une Cour Pénale Africaine Permanente. Car comme le disait le Professeur Pacifique MANIRAKIZA « Sans l’Afrique le système pénal international ne fonctionne pas, puisque c’est elle qui détient les matières premières de ce système à savoir les criminels ». L’affaire HABRE présente, à notre modeste avis, une excellente opportunité pour mettre sur pied une telle juridiction, en lieu place de simples Chambres appelées à disparaître une fois la sanction prononcée.

Saïdou BALDE, chercheur en Science Politique, Spécialiste en justice pénale internationale et de conflits armés en Afrique, baldseydou@yahoo.fr

Et

Pathé BA, Chercheur en Science politique, Spécialiste en Gouvernance Politique, Stratégie et communication politique UCAD, pathebateps@yahoo.fr



Mercredi 12 Septembre 2012 17:07


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