Présidentielle au Cameroun : un scrutin sans enjeu

Dimanche 9 octobre 2011, sept millions et demi d’électeurs iront aux urnes, selon le recensement électoral effectué par Elections Cameroon en charge de l’organisation du scrutin. Mais combien iront réellement voter ? Le taux de participation s’annonce comme l’un des enjeux de ce scrutin.



Les Camerounais iront-ils voter massivement dimanche ? Officiellement, près de 40% de la population est inscrite sur les listes électorales, pourtant dans les quartiers, c’est le calme plat. Quelques affiches défraîchies par la pluie sont bien placardées aux murs mais on est loin des quelques « grands » meetings retranscrits à la télévision. Et il faut sillonner longuement les rues de la ville pour tomber sur un militant en train de distribuer des tracts.

Dans le quartier dit Chapelle Obili, un partisan du SLC (Social Liberal Congress) distribue quelques affichettes roses, vite submergé par les demandes de « bières » et de « cadeaux » des riverains plus intéressés par un rafraichissement que par le programme politique du parti. Interrogés sur leur intention de vote, plusieurs considèrent les multiples candidatures d’oppositions comme peu crédibles : « Qui sont ces 23 candidats ? On ne les connaît pas. On ne sait même pas s’il y a vraiment de la politique au Cameroun », s’étonne un bendskin (moto-taxi) garé sur le côté de la route. Un coupeur de bois balaye d’un revers de la main la question : « Moi, mon candidat, c’est Popaul (ndlr : surnom populaire donné à Paul Biya). Les autres-ci sont des affamés ».

Un étudiant explique à son tour : « Bien sûr on veut un changement. Moi j’ai bien ma carte d’électeur mais à 3 jours du scrutin, je ne sais toujours pas pour qui voter. Je n’arrive pas à trouver un candidat ». Des propos qui expriment une opinion largement répandue au sein de la population selon laquelle la multitude de candidatures de l’opposition cacherait quelques opportunistes apparus pour rafler l’enveloppe publique mis à la disposition des candidats (30 millions de francs CFA au titre du financement de la campagne) ainsi que des candidats « satellites » du parti au pouvoir entrés dans la compétition pour brouiller les pistes. Résultat : bon nombre de Camerounais semblent peu passionnés pour le scrutin.

Cet apparent désintérêt se ressentira-t-il dans l’urne ? Pour Mathias Owona Nguini, politologue, les Camerounais ont conscience d’assister à un scrutin sans enjeu : « La structure du jeu est clairement déséquilibrée. Les règles du jeu électoral sont en défaveur des groupes d’opposition qui n’ont pas pu les négocier avant la compétition. Et puis, ces groupes d’opposition sont fort divisés, face à un pouvoir qui, lui, s’appuie sur le contrôle de l’Etat lors d’une élection à un tour… ». Le processus électoral est en effet loin de faire l’objet d’un consensus entre l’opposition et le pouvoir.

Le baptême de feu d’Elecam

A 48 heures du scrutin, le conseil électoral d’Elecam a finalement évincé l’une de ses membres, Pauline Biyong, accusée d’avoir gagné le marché d’affichage du président sortant. Mais pas sûr que cela réussisse à calmer l’opposition ! D’une seule voix, celle-ci vitupère inlassablement contre l’organe chargé d’organiser et de superviser le scrutin. Dans leur ligne de mire, la distribution chaotique des cartes d’électeurs qui balade les Camerounais désireux d’aller voter des bureaux communaux d’Elecam aux chefferies ou autres lieux de distribution du précieux sésame. Les challengers de Paul Biya reprochent aussi à Elecam ses listes électorales « toilettées » plutôt que refondues qui comportent de nombreux doublons. Autant d’éléments susceptibles de faciliter des fraudes massives selon eux.

Créé en 2006 pour conduire indépendamment des élections auparavant sous la férule du ministère de l’Administration du territoire (Minadt) et de l’Onel (Observatoire national des élections) qui en assurait la supervision, Elecam peine à convaincre de son impartialité. La nomination de ses membres avait suscité de vives critiques, plusieurs d’entre eux étant alors des personnalités membres ou proches du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, (RDPC) au pouvoir. En mai, l’Assemblée a supprimé le droit d’Elecam de publier des tendances au profit du Conseil constitutionnel. Une disposition conforme, selon le gouvernement, à la Loi fondamentale qui prévoit que la Cour constitutionnelle annonce in fine les résultats des scrutins. L’opposition et la société civile ont condamné un « verrouillage » du système électoral. Quant à l’élargissement du conseil électoral d’Elecam voté au même moment, il vise surtout à faire oublier des revendications de fond, restées en suspens, à commencer par le principe d’un scrutin à deux tours au lieu d’un seul tour ou encore la refonte des listes électorales. A la veille de la présidentielle, le différent autour d’Elecam paraît donc intact et sa prestation le jour du vote n’en est que plus attendue par les acteurs du processus électoral et les observateurs du scrutin.

La société civile appelle au vote blanc

Du côté de la société civile, des voix s’élèvent pour appeler au vote blanc. Lapiro de Mbanga, artiste fraichement sorti de prison pour son activisme politique, estime ainsi que « tout est faussé » et invite ses concitoyens à glisser un bulletin nul dans l’urne en signe de protestation. La nouvelle garde artistique avec en tête le général Valsero, rappeur, auteur des célèbres « Lettre au président » - une courageuse missive adressée en chanson au chef de l’Etat - appelle également sur les plateaux de télévision à voter blanc.

Alice Nkom, l’avocate défenseuse des droits de l’homme et par ailleurs coordinatrice de la Commission électorale citoyenne indépendante (Ceci) estime pour sa part que le « seul enjeu du scrutin est peut-être le taux de participation » et dénonce « beaucoup de ratés dans le processus. Des gens ont plusieurs cartes. Beaucoup de morts ont aussi des cartes ! ». Le ministère de l’Administration du territoire leur a refusé l’accréditation d’observateur. Une démarche qui prouve selon elle que « le Minadt a gardé ses vieux réflexes et ajoute encore de la suscipicion à ce scrutin».

Source: Rfi

Papa Mamadou Diéry Diallo

Dimanche 9 Octobre 2011 10:49


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