Un débat oppose les défenseurs de Karim Wade et ceux de l’Etat concernant la juridiction qui doit statuer sur les faits reprochés à l’ancien fils du Président de la République, successivement conseiller de son père puis Ministre aux multiples portefeuilles poursuivi pour actes d’enrichissement illicite et corruption. Il ressort des échanges houleux rapportés par la presse que la question principale qui mérite d’être soulevée et résolue concerne le statut et la nature des actes reprochés à Karim Wade et accessoirement le moment de leur accomplissement. Et puisque le droit sénégalais est largement hérité du droit français, une rapide étude comparée du droit positif entre la France et le Sénégal peut éclairer la lanterne du citoyen lambda qui semble dépassé par les évènements.
Que dit la Constitution française ?
L'article 67 de la Constitution française définit la protection dont bénéficie le chef de l'Etat. Cette protection repose sur l'irresponsabilité et l'inviolabilité. Aux termes du dispositif proposé (Cf rapport de janvier 2007 du Sénat sur le statut pénal du Président de la République française à l’origine des articles 67 et 68 de l’actuelle Constitution française) :
- s'agissant des actes accomplis en qualité de Président de la République, le chef de l'Etat bénéficie de l'irresponsabilité : il n'a à en répondre ni pendant, ni après son mandat sous deux réserves (premier alinéa) ;
- s'agissant des actes détachables du mandat -commis avant le mandat ou ne présentant pas de lien direct avec celui-ci- le Président bénéficie de l'inviolabilité : il ne peut être l'objet d'aucune action devant quelque juridiction ou administration que ce soit pendant la durée du mandat. En revanche, cette immunité cesse avec ses fonctions et le chef de l'Etat relève alors du droit commun (deuxième et troisième alinéas).
Le Conseil constitutionnel français a rappelé plusieurs fois que le statut pénal du Président de la République et des Ministres ne confère un privilège de juridiction que pendant la durée du mandat (cf. par exemple Conseil constitutionnel décision du 22 janvier 1999). A l'expiration de son mandat, le Président redevient un simple citoyen et peut être poursuivi dans les conditions de droit commun pour les actes détachables de sa fonction commis avant son entrée en fonction ou ne présentant pas de lien direct avec celle-ci. C’est pourquoi Sarkozy, depuis la fin de son mandat, est poursuivi devant les tribunaux ordinaires pour des actes commis par exemple lorsqu’il était Ministre de l’Intérieur et candidat à la présidentielle.
Que dit la Constitution du Sénégal ?
Selon l’article 101 constitution du Sénégal : « Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées, statuant par un vote identique au scrutin secret, à la majorité des trois cinquièmes des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de Justice. Le Premier Ministre et les autres membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Haute Cour de Justice. ». L’alinéa 2 de l’article 101 de la constitution sénégalaise est un copié collé de l’article 68-1 de la constitution française (1).
La doctrine et la jurisprudence française considèrent qu’un Ministre qui commettrait des actes en dehors de l’exercice de ses fonctions ou ne présentant pas de lien direct avec celles-ci ne peut prétendre profiter de l’immunité de juridiction. Rappelons que cette immunité, qui date de l’ancien empire, n’a été instituée que pour éviter des procès intempestifs et injustifiés contre des Ministres qui risquent de paralyser ou de gêner l’action gouvernementale. En effet, les Ministres ne peuvent bénéficier de plus de droits qu’un Président de la République. Là où un Président de la République peut être poursuivi à la fin de son mandat pour des actes répréhensibles détachables de ses fonctions, pourquoi un « simple » Ministre, Karim Wade, nommé et non élu au suffrage universel, disposerait de plus de droits et bénéficierait d’un privilège de juridiction ?
Dès lors, un Ministre, en France comme au Sénégal (puisque le texte applicable aux Ministres est identique), qui commettrait un acte détachable de ses fonctions ne peut prétendre devoir être jugé par la Haute Cour de justice qui n’est compétente que pour les actes liées à la fonction de Ministre ou de Président. Le privilège de juridiction ne peut être invoqué pour des actes détachables des fonctions même s’ils sont commis à l’occasion de l’exercice de celles-ci. Se pose la question subsidiaire mais essentielle de savoir comment distinguer un acte commis « dans l’exercice des fonctions » d’un acte dit « détachable des fonctions » ? La jurisprudence administrative française nous donne quelques exemples de fautes (actes) détachables ou non de la fonction d’un agent de l’Etat (Comprenez ici Ministre) (ci-après « CE » = Conseil d’Etat ; TC = Tribunal des conflits))
De la faute de service (non détachable de la fonction) : Est qualifiée de faute de service, la faute commise par un agent dans l’exercice de ses fonctions, c’est-à-dire pendant le service, avec les moyens du service, et en dehors de tout intérêt personnel, (TC, 19 octobre 1998, Préfet du Tarn, req n° 03131). L’infraction qui en résulte n’a pas le caractère de faute personnelle. La faute personnelle de service n’entraîne en général pas de sanctions pénales et l’administration en cas de procédure pénale peut accompagner son agent.
De la faute personnelle (détachable de la fonction) : Est qualifiée de faute personnelle la faute commise par l’agent en dehors du service, ou pendant le service si elle est tellement incompatible avec le service public ou les « pratiques administratives normales » qu’elle revêt une particulière gravité ou révèle la personnalité de son auteur et les préoccupations d’ordre privé qui l’animent (TC, 14 décembre 1925, Navarro, Rec.p.1007 ; CE, 21 avril 1937, Melle Quesnel, Rec.p.423 ; CE, 28 décembre 2001, Valette, n°213931).
La faute personnelle (donc détachable du service) est caractérisée notamment :
- lorsque l’acte se détache matériellement ou temporellement de la fonction, par exemple à l’occasion d’une activité privée en dehors du temps de travail et/ou hors du lieu de travail ;
- lorsque l’acte se détache de la fonction par le caractère inexcusable du comportement de l’agent au regard des règles déontologiques (CE, Valette, 28 décembre 2001, précité) ; ou par l’intention qui l’anime (actes incompatibles avec le service public, même s’ils sont commis pendant le service), révélant l’homme à titre privé ; par exemple, un crime, même commis sur le lieu de travail, est toujours un acte détachable (CE, 12 mars 1975, Pothier, Rec. p.190) ;
- lorsque l’acte est commis pour la satisfaction d’un intérêt personnel matériel ou psychologique, par exemple un détournement de fonds ou la délivrance d’attestations de complaisance (CE, 18 juin 1953, Caisse nationale des marchés de l’Etat) ;
- lorsqu’il constitue une faute caractérisée, par exemple le fait, pour un agent d’un centre de secours, dans l’exercice de ses fonctions, d’emprunter et de conduire un véhicule privé, sous l’empire d’un état alcoolique, pour transporter un malade (CE, 9 octobre 1974, Commune de Lusignan, req. n° 90999).
Au vu de ces quelques exemples, il est aisé de comprendre que les faits d’enrichissement illicite et/ou de corruption pour lesquels Karim Wade et ses complices présumés sont poursuivis sont des actes qui n’ont rien à voir avec les fonctions confiées à un Ministre qui est chargé d’exécuter la politique définie par le Chef de l’Etat ou du pouvoir exécutif dans son domaine de compétence ministérielle. Ni plus ni moins.
Que ces actes aient été commis à l’occasion de ses fonctions Ministérielles importe peu en définitive puisque les actes incriminées sont parfaitement détachables des fonctions ministérielles.
En effet, qui peut raisonnablement prétendre que le fait de toucher des pots de vins ou des rétro commissions ou des avantages et autres libéralités (les fameux dons) pendant la négociation de contrats administratifs ou de marchés de construction d’autoroutes ou de réceptifs hôteliers ou de contrats internationaux de livraison de pétrole ou de gaz par un Ministre, est un acte administratif normal dénué de tout intérêt personnel ?
A part le salaire et les avantages connus et attachés à sa fonction, un Ministre ne peut retirer un avantage direct ou indirect, pécuniaire ou matériel de l’exercice de ses fonctions. A défaut, d « serviteur de l’Etat » (dixit Me Souleymane Ndéné Ndiaye et consorts), il passerait pour un agent de l’Etat qui se sert de l’Etat « pour la satisfaction d’un intérêt personnel matériel ou psychologique ». Au vu de tout ce qui précède, Karim Wade, pour les faits pour lesquels il est poursuivi, dont l’instantanéité a été établi au demeurant, au sens de la Loi, toujours en vigueur, sur la CREI, bien après qu’il ait quitté ses fonctions de Ministre, est évidemment justiciable des cours et tribunaux répressifs ordinaires ou spéciaux. Or la CREI est une juridiction créée spécifiquement pour combattre la corruption et l’enrichissement illicite qui gangrènent nos pays sous-développés.
Actes détachables de l’exercice de la fonction et parlementaires -
La théorie des actes détachables des fonctions s'applique d'ailleurs de la même manière aux parlementaires qui ne sont couverts que pour les actes rattachés à l'exercice de la fonction de parlementaire. Les actes détachables de cette fonction ne sont pas couverts par l'immunité. Le Parlement, étymologiquement, c’est « le lieu où l’on parle ». C'est ainsi par exemple qu’il a été jugé que les déclarations faites en dehors des assemblées par un député, même s'il excipe de sa qualité de président de la commission des lois, sont détachables de la fonction de parlementaire et peuvent faire l'objet de poursuites. De même, tout ce qui concerne la vie privée de l'élu ne bénéficie pas du principe d'irresponsabilité (2).
De quelques fausses idées sur la CREI :
C’est le lieu de rappeler que, contrairement aux élucubrations désordonnées ou parfois subjectives de certains juristes, la CREI existe toujours dans l’ordonnancement juridique sénégalais car il faut une loi expresse pour supprimer une loi. Il n y a pas de suppression par oubli. La simple omission de citer la CREI, par un texte relatif aux magistrats qui procède à l’énumération des entités faisant partie de l’ordre juridictionnel sénégalais, ne peut valoir suppression de l’entité omise alors même que les dispositions relatives à la CREI sont toujours contenues dans la loi pénale (la Loi n° 81-53 du 10 juillet 1981 relative à la CREI est reproduite aux articles 163 bis et suivants du code pénal sénégalais en vigueur et dont l’article 363 vise expressément le Procureur spécial de la CREI).
De même, la CREI, contrairement aux cris d’orfraie de soi–disant défenseurs des droits de l’homme ou d’avocats du diable, n’est pas une juridiction d’exception qui contrevient aux droits de l’homme ou aux droits de la défense. Le Sénégal n’est pas en guerre si ce n’est contre la délinquance financière et le crime économique. La CREI est une juridiction spéciale, comme il en existe ailleurs dans le monde, dont les actes et procédures n’aboutissent pas à dénier la présomption d’innocence ou à renverser la charge de la preuve. Les débats en cours attestent si besoin en était des garanties juridiques accordées à la défense.
La procédure enclenchée contre Karim Wade ne consacre pas une "présomption de culpabilité" puisqu'il appartiendra in fine aux juges de la CREI d'en décider. Cependant la présomption d’innocence ne fait pas obstacle à ce que le législateur institue en matière pénale des présomptions de fait ou de droit dès lors qu’elles ne revêtent pas de caractère irréfragable. Les Karim Wade et autres ont donc tout à fait la possibilité de prouver leur innocence devant la CREI.
(1) Art. 68-1 de la constitution française : "Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Cour de justice de la République.
La Cour de justice de la République est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu'elles résultent de la loi."
(2) J.O., 11 novembre 1989, note Fernandez Maublanc, Les Petites Affiches, 18 avril 1990 et M. Renoux, R.F.D.C. 1990, p. 239 - Crim., 7 mars 1988, D. 1988, G.P., 5 mai 1988, note J.-P. Doucet, J.C.P. 1988. II. 21133, note W. Jeandidier, idem C. appel Paris, 11 février 1992, inédit
CONSTITUTION FRANCAISE – EXTRAITS :
Titre IX : La Haute Cour
Article 67 : Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.
Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.
Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions.
Article 68 : Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours. La Haute Cour est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d'effet immédiat. Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.
Une loi organique fixe les conditions d'application du présent article. Art. 68-1 : Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Cour de justice de la République. La Cour de justice de la République est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu'elles résultent de la loi.
Que dit la Constitution française ?
L'article 67 de la Constitution française définit la protection dont bénéficie le chef de l'Etat. Cette protection repose sur l'irresponsabilité et l'inviolabilité. Aux termes du dispositif proposé (Cf rapport de janvier 2007 du Sénat sur le statut pénal du Président de la République française à l’origine des articles 67 et 68 de l’actuelle Constitution française) :
- s'agissant des actes accomplis en qualité de Président de la République, le chef de l'Etat bénéficie de l'irresponsabilité : il n'a à en répondre ni pendant, ni après son mandat sous deux réserves (premier alinéa) ;
- s'agissant des actes détachables du mandat -commis avant le mandat ou ne présentant pas de lien direct avec celui-ci- le Président bénéficie de l'inviolabilité : il ne peut être l'objet d'aucune action devant quelque juridiction ou administration que ce soit pendant la durée du mandat. En revanche, cette immunité cesse avec ses fonctions et le chef de l'Etat relève alors du droit commun (deuxième et troisième alinéas).
Le Conseil constitutionnel français a rappelé plusieurs fois que le statut pénal du Président de la République et des Ministres ne confère un privilège de juridiction que pendant la durée du mandat (cf. par exemple Conseil constitutionnel décision du 22 janvier 1999). A l'expiration de son mandat, le Président redevient un simple citoyen et peut être poursuivi dans les conditions de droit commun pour les actes détachables de sa fonction commis avant son entrée en fonction ou ne présentant pas de lien direct avec celle-ci. C’est pourquoi Sarkozy, depuis la fin de son mandat, est poursuivi devant les tribunaux ordinaires pour des actes commis par exemple lorsqu’il était Ministre de l’Intérieur et candidat à la présidentielle.
Que dit la Constitution du Sénégal ?
Selon l’article 101 constitution du Sénégal : « Le Président de la République n'est responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées, statuant par un vote identique au scrutin secret, à la majorité des trois cinquièmes des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de Justice. Le Premier Ministre et les autres membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Haute Cour de Justice. ». L’alinéa 2 de l’article 101 de la constitution sénégalaise est un copié collé de l’article 68-1 de la constitution française (1).
La doctrine et la jurisprudence française considèrent qu’un Ministre qui commettrait des actes en dehors de l’exercice de ses fonctions ou ne présentant pas de lien direct avec celles-ci ne peut prétendre profiter de l’immunité de juridiction. Rappelons que cette immunité, qui date de l’ancien empire, n’a été instituée que pour éviter des procès intempestifs et injustifiés contre des Ministres qui risquent de paralyser ou de gêner l’action gouvernementale. En effet, les Ministres ne peuvent bénéficier de plus de droits qu’un Président de la République. Là où un Président de la République peut être poursuivi à la fin de son mandat pour des actes répréhensibles détachables de ses fonctions, pourquoi un « simple » Ministre, Karim Wade, nommé et non élu au suffrage universel, disposerait de plus de droits et bénéficierait d’un privilège de juridiction ?
Dès lors, un Ministre, en France comme au Sénégal (puisque le texte applicable aux Ministres est identique), qui commettrait un acte détachable de ses fonctions ne peut prétendre devoir être jugé par la Haute Cour de justice qui n’est compétente que pour les actes liées à la fonction de Ministre ou de Président. Le privilège de juridiction ne peut être invoqué pour des actes détachables des fonctions même s’ils sont commis à l’occasion de l’exercice de celles-ci. Se pose la question subsidiaire mais essentielle de savoir comment distinguer un acte commis « dans l’exercice des fonctions » d’un acte dit « détachable des fonctions » ? La jurisprudence administrative française nous donne quelques exemples de fautes (actes) détachables ou non de la fonction d’un agent de l’Etat (Comprenez ici Ministre) (ci-après « CE » = Conseil d’Etat ; TC = Tribunal des conflits))
De la faute de service (non détachable de la fonction) : Est qualifiée de faute de service, la faute commise par un agent dans l’exercice de ses fonctions, c’est-à-dire pendant le service, avec les moyens du service, et en dehors de tout intérêt personnel, (TC, 19 octobre 1998, Préfet du Tarn, req n° 03131). L’infraction qui en résulte n’a pas le caractère de faute personnelle. La faute personnelle de service n’entraîne en général pas de sanctions pénales et l’administration en cas de procédure pénale peut accompagner son agent.
De la faute personnelle (détachable de la fonction) : Est qualifiée de faute personnelle la faute commise par l’agent en dehors du service, ou pendant le service si elle est tellement incompatible avec le service public ou les « pratiques administratives normales » qu’elle revêt une particulière gravité ou révèle la personnalité de son auteur et les préoccupations d’ordre privé qui l’animent (TC, 14 décembre 1925, Navarro, Rec.p.1007 ; CE, 21 avril 1937, Melle Quesnel, Rec.p.423 ; CE, 28 décembre 2001, Valette, n°213931).
La faute personnelle (donc détachable du service) est caractérisée notamment :
- lorsque l’acte se détache matériellement ou temporellement de la fonction, par exemple à l’occasion d’une activité privée en dehors du temps de travail et/ou hors du lieu de travail ;
- lorsque l’acte se détache de la fonction par le caractère inexcusable du comportement de l’agent au regard des règles déontologiques (CE, Valette, 28 décembre 2001, précité) ; ou par l’intention qui l’anime (actes incompatibles avec le service public, même s’ils sont commis pendant le service), révélant l’homme à titre privé ; par exemple, un crime, même commis sur le lieu de travail, est toujours un acte détachable (CE, 12 mars 1975, Pothier, Rec. p.190) ;
- lorsque l’acte est commis pour la satisfaction d’un intérêt personnel matériel ou psychologique, par exemple un détournement de fonds ou la délivrance d’attestations de complaisance (CE, 18 juin 1953, Caisse nationale des marchés de l’Etat) ;
- lorsqu’il constitue une faute caractérisée, par exemple le fait, pour un agent d’un centre de secours, dans l’exercice de ses fonctions, d’emprunter et de conduire un véhicule privé, sous l’empire d’un état alcoolique, pour transporter un malade (CE, 9 octobre 1974, Commune de Lusignan, req. n° 90999).
Au vu de ces quelques exemples, il est aisé de comprendre que les faits d’enrichissement illicite et/ou de corruption pour lesquels Karim Wade et ses complices présumés sont poursuivis sont des actes qui n’ont rien à voir avec les fonctions confiées à un Ministre qui est chargé d’exécuter la politique définie par le Chef de l’Etat ou du pouvoir exécutif dans son domaine de compétence ministérielle. Ni plus ni moins.
Que ces actes aient été commis à l’occasion de ses fonctions Ministérielles importe peu en définitive puisque les actes incriminées sont parfaitement détachables des fonctions ministérielles.
En effet, qui peut raisonnablement prétendre que le fait de toucher des pots de vins ou des rétro commissions ou des avantages et autres libéralités (les fameux dons) pendant la négociation de contrats administratifs ou de marchés de construction d’autoroutes ou de réceptifs hôteliers ou de contrats internationaux de livraison de pétrole ou de gaz par un Ministre, est un acte administratif normal dénué de tout intérêt personnel ?
A part le salaire et les avantages connus et attachés à sa fonction, un Ministre ne peut retirer un avantage direct ou indirect, pécuniaire ou matériel de l’exercice de ses fonctions. A défaut, d « serviteur de l’Etat » (dixit Me Souleymane Ndéné Ndiaye et consorts), il passerait pour un agent de l’Etat qui se sert de l’Etat « pour la satisfaction d’un intérêt personnel matériel ou psychologique ». Au vu de tout ce qui précède, Karim Wade, pour les faits pour lesquels il est poursuivi, dont l’instantanéité a été établi au demeurant, au sens de la Loi, toujours en vigueur, sur la CREI, bien après qu’il ait quitté ses fonctions de Ministre, est évidemment justiciable des cours et tribunaux répressifs ordinaires ou spéciaux. Or la CREI est une juridiction créée spécifiquement pour combattre la corruption et l’enrichissement illicite qui gangrènent nos pays sous-développés.
Actes détachables de l’exercice de la fonction et parlementaires -
La théorie des actes détachables des fonctions s'applique d'ailleurs de la même manière aux parlementaires qui ne sont couverts que pour les actes rattachés à l'exercice de la fonction de parlementaire. Les actes détachables de cette fonction ne sont pas couverts par l'immunité. Le Parlement, étymologiquement, c’est « le lieu où l’on parle ». C'est ainsi par exemple qu’il a été jugé que les déclarations faites en dehors des assemblées par un député, même s'il excipe de sa qualité de président de la commission des lois, sont détachables de la fonction de parlementaire et peuvent faire l'objet de poursuites. De même, tout ce qui concerne la vie privée de l'élu ne bénéficie pas du principe d'irresponsabilité (2).
De quelques fausses idées sur la CREI :
C’est le lieu de rappeler que, contrairement aux élucubrations désordonnées ou parfois subjectives de certains juristes, la CREI existe toujours dans l’ordonnancement juridique sénégalais car il faut une loi expresse pour supprimer une loi. Il n y a pas de suppression par oubli. La simple omission de citer la CREI, par un texte relatif aux magistrats qui procède à l’énumération des entités faisant partie de l’ordre juridictionnel sénégalais, ne peut valoir suppression de l’entité omise alors même que les dispositions relatives à la CREI sont toujours contenues dans la loi pénale (la Loi n° 81-53 du 10 juillet 1981 relative à la CREI est reproduite aux articles 163 bis et suivants du code pénal sénégalais en vigueur et dont l’article 363 vise expressément le Procureur spécial de la CREI).
De même, la CREI, contrairement aux cris d’orfraie de soi–disant défenseurs des droits de l’homme ou d’avocats du diable, n’est pas une juridiction d’exception qui contrevient aux droits de l’homme ou aux droits de la défense. Le Sénégal n’est pas en guerre si ce n’est contre la délinquance financière et le crime économique. La CREI est une juridiction spéciale, comme il en existe ailleurs dans le monde, dont les actes et procédures n’aboutissent pas à dénier la présomption d’innocence ou à renverser la charge de la preuve. Les débats en cours attestent si besoin en était des garanties juridiques accordées à la défense.
La procédure enclenchée contre Karim Wade ne consacre pas une "présomption de culpabilité" puisqu'il appartiendra in fine aux juges de la CREI d'en décider. Cependant la présomption d’innocence ne fait pas obstacle à ce que le législateur institue en matière pénale des présomptions de fait ou de droit dès lors qu’elles ne revêtent pas de caractère irréfragable. Les Karim Wade et autres ont donc tout à fait la possibilité de prouver leur innocence devant la CREI.
(1) Art. 68-1 de la constitution française : "Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Cour de justice de la République.
La Cour de justice de la République est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu'elles résultent de la loi."
(2) J.O., 11 novembre 1989, note Fernandez Maublanc, Les Petites Affiches, 18 avril 1990 et M. Renoux, R.F.D.C. 1990, p. 239 - Crim., 7 mars 1988, D. 1988, G.P., 5 mai 1988, note J.-P. Doucet, J.C.P. 1988. II. 21133, note W. Jeandidier, idem C. appel Paris, 11 février 1992, inédit
CONSTITUTION FRANCAISE – EXTRAITS :
Titre IX : La Haute Cour
Article 67 : Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.
Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.
Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions.
Article 68 : Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours. La Haute Cour est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d'effet immédiat. Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l'assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.
Une loi organique fixe les conditions d'application du présent article. Art. 68-1 : Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Cour de justice de la République. La Cour de justice de la République est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu'elles résultent de la loi.