Dimanche, alors que les Sénégalais désignaient Macky Sall comme le principal challenger d’Abdoulaye Wade, le héros du jour ne montrait rien de son émotion, installé au premier étage de son QG de campagne dans un faubourg de Dakar. De là, il pouvait pourtant percevoir l’écho assourdissant des klaxons et des youyous de ses supporters, exultant de joie à l’annonce des premiers résultats. Leur candidat venait de réussir le grand huit ! C’est lui, plus qu’aucun autres opposants en lice, qui a réussi à mettre en ballottage le vieux Président. Pendant la campagne, Wade a affiché un mépris profond pour ses opposants, promettant de "leur faire mordre la poussière". Au soir du premier tour, c’est bien le Vieux qui semble terrassé, se trouvant au coude à coude avec ce quinquagénaire "terne et insaisissable", selon certains.
"Macky Sall est en réalité un homme discret qui a beaucoup appris en côtoyant Abdoulaye Wade", tempère le professeur Mamadou Mbodj, un psychologue qui a analysé les discours politiques des candidats sénégalais.
Avant d’être un opposant, Macky Sall était un apparatchik.
Aujourd’hui âgé de 50 ans, il a ainsi été deux fois ministre et même le Premier ministre de Wade entre 2004 et 2007. Lors des présidentielles qui avaient lieu cette année-là, il fut le directeur de campagne, œuvrant alors pour la première rééléction du Vieux. "En réalité, Macky Sall n’a pas eu vraiment le temps de s’imposer comme un dauphin", souligne le professur Mbodj. "Mais en observant le fonctionnement du Palais, il a compris l’intérêt de jouer les introvertis au risque de paraître effacé."
S’il ne fut jamais tout à fait le dauphin désigné, le nouveau champion de l’opposition a bien été un fils politique. Il provoquera lui-même sa chute en osant s’attaquer au fils biologique. En 2008, Macky convoque en effet Karim Wade à l’Assemblée nationale dont il est alors devenu le président. Motif ? Une enquête sur des malversations financières. Le fils du Président a plusieurs fois été soupçonné de corruption mais il est intouchable. Macky Sall s’attire aussitôt les foudres présidentielles. Wade signe peu après une réforme qui ramène le mandat du président de l’Assemblée de cinq à un an. Exit Macky, sacrifié au nom du successeur légitime, le fils du chef.
Mais l’homme discret va utiliser son éviction pour préparer son retour sur scène. Il n’est plus que le maire de Fatick, une petite ville du sud du pays, mais il va multiplier les tournées en province et dans le monde où il s’attire les faveurs de l’immense diaspora sénégalaise. "Parmi les immigrés sénégalais, il y a beaucoup d’hommes d’affaires qui ont réussi à New York comme à Londres ou Johannesburg. Leur soutien sera aussi financier", note Jean-Pierre Pierre Bloch. L’ancien député gaulliste, aujourd’hui âgé de 73 ans, est le nouveau mentor du challenger de Wade, même s’il récuse le titre de "sorcier blanc". Dans le QG de campagne le soir du premier tour, sa proximité avec le candidat est manifeste. L’ancien maire adjoint du 18e arrondissement est régulièrement accosté par des sympathisants qui tiennent à le remercier pour "ses conseils" et "son rôle dans la campagne". Il est vrai que ce fut la clé du succès de Macky Sall : alors que les autres opposants se concentraient sur le retrait de la candidature de Wade, jugée illégitime, en manifestant, Sall a sillonné le pays.
Comme Wade, il a commencé sa campagne dans la ville sainte de Touba où il a été reçu par le khalife de la congrégation des Mourides. Ne négligeant aucun soutien, Macky l’affable vient donc de surgir sur la première marche du podium. Une première revanche sur l’héritier officiel, qui n’a jamais réussi à se faire élire, et qui à force de favoritisme a contribué au déclin de son père.
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