Reporters sans frontières s’inquiète des pressions du pouvoir sur les journalistes

Le gouvernement ivoirien met la pression sur des journalistes favorables au camp Gbagbo selon l’organisation de défense des journalistes. Alors que le présentateur de télévision Hermann Aboa est en prison, des membres des rédactions des quotidien Notre Voie et L’Inter auraient été menacés, parfois directement par des ministres. Des pratiques injustifiables pour Reporters sans frontières (RSF), même si elles ne détonnent pas de celles de l’ancien gouvernement.



Des hommes devant un étalage de journaux, dans les rues d'Abidjan en 2008. KAMBOU SIA / AFP
Le constat est amer. Six mois après l’arrivée d’Alassane Ouattara au pouvoir, Reporters sans frontières estime que le nouveau gouvernement ivoirien porte des atteintes régulières à la liberté de la presse. Mais pas n’importe laquelle : celle qui soutient ou est supposée proche de l’ancien président Laurent Gbagbo.

« On pouvait anticiper qu’il y aurait des sanctions contre des médias qui avaient soutenu ouvertement Gbagbo », ce qui aurait pu être compréhensible, « mais là, ça tourne au règlement de compte », rapporte à Rfi.fr Ambroise Pierre, responsable du bureau Afrique de RSF.

En cause, la situation de plusieurs journalistes employés par des journaux soutenant plus ou moins ouvertement le camp Gbagbo. Le plus sérieusement concerné est Hermann Aboa, emprisonné depuis quatre mois à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca). Il animait l’émission Raison d’Etat sur la RTI, la télévision publique ivoirienne, lorsque Laurent Gbagbo était encore au pouvoir. Une émission dans laquelle il n’était pas rare que des soutiens de l’ancien président ivoirien tiennent des propos virulents à l’encontre du camp Ouattara et défendent le maintien au pouvoir de Gbagbo.

RSF, qui a publié un communiqué s’inquiétant de la situation le 25 novembre, a été rejoint le même jour par la mission de l’ONU en Côte d’Ivoire, l’ONUCI, qui a dit « observer depuis quelques jours des développements peu rassurants sur le front médiatique avec des interpellations de journalistes suite à leurs écrits ».

Prison à vie

Officiellement, pas moins de six chefs d’accusation particulièrement graves pèsent sur Hermann Aboa : « atteinte à la défense nationale », « attentat complot contre l’autorité de l’Etat », « atteinte à l’intégrité du territoire national », « participation à une bande armée », « participation à un mouvement insurrectionnel » et « atteinte à l’ordre public ». Bien assez pour encourir la prison à vie.

Or, pour Ambroise Pierre, « le gouvernement n’a donné aucune preuve pour appuyer ces accusations. En fait, ce qui est reproché à Hermann Aboa, c’est son activité journalistique ». Et RSF soutient que dans ce cas, le journaliste ne devrait pas être en prison. L’organisation s’appuie sur une loi de 2004 qui dépénalise l’activité de presse, c’est-à-dire qu’un journaliste ne peut pas être emprisonné en raison de ses publications, seulement pour des faits relevant du droit commun.

Mais RSF pointe également la situation de quatre autres journalistes. Deux travaillent pour L’Inter, un quotidien connu pour ses sympathies pro-Gbagbo. Son rédacteur en chef Félix Bony aurait ainsi « été invité à se rendre dans les bureaux de Konaté Sidiki pour une "mise au point" ». Le même Konaté Sidiki aurait, toujours selon RSF, proféré des « menaces verbales » à l’encontre d’un correspondant de L’Inter, Achille Kpan.

Le quotidien Notre Voie est lui aussi dans le viseur du pouvoir selon RSF : son directeur de la publication César Etou et un autre journaliste Boga Sivori « sont convoqués par la police criminelle pour s'expliquer sur un article concernant les nouveaux véhicules de fonction de marque Mercedes que possèdent les membres du gouvernement », assure RSF.

Le Patriote, un peu trop libre ?

A l’inverse, l’organisation de défense de la liberté de la presse estime que des organes de presse plutôt favorables à Ouattara se permettent quelques écarts de langage, voire plus, sans être inquiétés : « on a vu Le Patriote, supposé proche d’Alassane Ouattara, tenir des propos un peu limites sur les anciennes autorités, voire des propos qui pouvaient être perçus comme incitation à la haine et à la violence. Ces propos ne sont jamais sanctionnés par le Conseil national de la presse », regrette Ambroise Pierre.

Le responsable Afrique de RSF nuance tout de même : « le pays n’est pas non plus liberticide pour la presse, et ne l’a jamais été. Il y a une presse d’opposition, mais elle doit pouvoir évoluer dans des conditions favorables ce qui n’est pas forcément le cas ». Avant de noter quelques avancées positives, comme la libéralisation de l’audiovisuel. Alors que jusqu’à présent, une seule chaîne publique, NT1, existait, des chaînes privées seront bientôt autorisées, ce qui devrait favoriser le pluralisme d’expression à la télévision.

Mais pour RSF cela reste maigre. D’autant que l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara ne fait que perpétuer certaines traditions ivoiriennes. RSF rappelle avoir ainsi pendant longtemps critiqué les pratiques peu démocratiques de certains journalistes pro-Gbagbo lorsque leur champion était au pouvoir. Ambroise Pierre conclut : « au final, on constate les mêmes problèmes quel que soit le pouvoir ». L’Onuci a elle appelé gouvernants et journalistes à faire davantage preuve « de retenue et de pondération dans leurs actes comme dans leurs écrits » d’autant que « la période post-crise et la campagne électorale qui s’annonce pour les législatives peuvent être des moments de pression où les tensions s’exacerbent ». La mise en garde est faite.
Source: RFI

Charles Thialice SENGHOR

Mardi 29 Novembre 2011 14:03


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