Faire le compte rendu de propos délictueux – si fidèle que soit cette relation - ne met aucun journaliste ni son organe à l’abri des poursuites judiciaires. Si le coordonnateur du PDS, Oumar Sarr, promet que lui et ses frères répéteront les propos de Bara Gaye, c’est qu’il attend que la presse lui serve de caisse de résonance. C’est-à-dire être ce que Abdoulaye Ndiaga Sylla, directeur de l’ISSIC et ancien directeur de publication de Sud Quotidien, désigna par «notaire servile» de l’actualité. Il y a de ces journalistes qui pensent encore que citer en substance ou textuellement en mettant les guillemets, les met à l’abri de poursuites judicaires en cas de diffamation… Erreur que tout cela. Et ils le vérifieront à leurs dépens ceux qui rapporteront les propos que les libéraux promettent de répéter pour narguer le pouvoir et, par-delà ce dernier, la loi.
C’est dans des moments comme ceux-là que la presse est attendue dans un travail fait, non pas avec objectivité, mais avec responsabilité. Responsabilité, nous l’avions dit dans un précédent numéro de cette chronique, est de plus en plus préféré à l’objectivité (qui est pourtant l’idéal) ; elle est plus à portée de nos mains. Des faits peuvent avoir été rapportés avec objectivité, mais sans responsabilité à cause des ou de l’implication(s) négatives qu’ils peuvent avoir. Tout vrais qu’ils soient. Et c’est là la doxa, la nouvelle ligne de conduite, de la presse américaine qui, en toute responsabilité, se refuse de montrer en photo ou en images les corps de leurs soldats blessés ou tués, de leurs concitoyens morts… Mais, n’étend jamais cette éthique aux Africains et autres citoyens de pays pauvres, notamment.
Rapporter, de manière fidèle, des propos ne met pas le journaliste à l’abri de poursuites judicaires en cas de diffamation… En droit de la presse, la victime d’un écrit diffamatoire a beau vouloir épargner le journal ayant publié les faits incriminés pour ne viser que l’auteur, mais il est impossible d’atteindre cette dernière sans «installer dans la cause» (selon le mot de Me Khassimou Touré) le support. Ce fut le cas quand le leader du Parti africain de l’Indépendance, Majhmout Diop, se sentant diffamé par une «contribution» écrite dans Wal Fadjri par Sadio Camara alias Commandant Alphonse, sur le maquis du PAI au Sénégal oriental, porta plainte contre l’auteur du texte. Ses avocats s’excusaient presque de devoir porter plainte contre Wal Fadjri pour pouvoir atteindre le Commandant Alphonse.
Rappelons-nous aussi les propos d’Abdourahim Agne, alors opposant au régime de Wade, contre le chef de l’Etat qui lui valurent la prison, lui et les journalistes qui les rapportèrent. Tout cela pour revenir à l’allusion du début de ce texte, à la promesse des gens du PDS de répéter les propos malveillants, injurieux et diffamatoires de Bara Gaye contre le chef de l’Etat : tous paieront.
Ainsi, l’affaire Bara Gaye pourrait être aussi celle de la presse. Tout comme le sont les foucades de ce personnage ambigu, loufoque, appelé colonel Malick Cissé et bien d’autres dont les journalistes sont friands des déclarations qui ne sont en rien porteuses d’informations dont Ibrahima Bakhoum aime à dire qu’elle doit être à la fois exacte et intéressante.
Dans la distribution des journaux édités sur le sol sénégalais, il y a un paradoxe qu’il faut corriger en toute urgence. Pour comprendre comment et pourquoi, regardez une carte du Sénégal : les journaux imprimés à Dakar sont distribués à Thiès, Saint-Louis, Kédougou, Ziguinchor ! Thiès étant à 80 km de Dakar, un journal y sera distribué aux environs de 10 h, mais le sera en fin de journée ou le lendemain à Kédougou, Tamba, Vélingara, à Ziguinchor en milieu de journée !… Question : pourquoi ne pas entrer dans l’ère des imprimeries-relais comme dans les pays avancés. Au Sénégal, des rotatives implantées à Tamba, Saint-Louis, Kaolack, Matam, Ziguinchor, après avoir reçu par e-mail les pages montées des journaux, se chargeraient de les imprimer et de les remettre à des réseaux de distributeurs locaux. Les journaux français comme Le Monde sont édités à Paris, mais, pour être distribués à travers les régions éloignées de France et dans les territoires d’Outremer, ne sont pas imprimés en métropole et convoyés vers l’intérieur du pays. Ce sont plutôt des imprimeries-relais locales qui les impriment et des distributeurs locaux commercialisent.
Ainsi résoudrait-on plusieurs problèmes dont le moindre ne serait pas l’accessibilité à la presse écrite, et un autre serait la possibilité de donner naissance à une vraie presse régionale, avec possibilité de faire des pages strictement régionales encartées dans les journaux rédigées à Dakar. Un journal comme l’Observateur, le plus vendu au Sénégal, devrait aller dans ce sens, dépasser le ronron actuel. Il en a les moyens financiers. Il en résulterait un traitement meilleur et exhaustif de l’information sur les régions. Il faut en finir avec une presse où tout se décide à Dakar, sur Dakar… où il n’y a plus rien à dire. Ou presque. «Dakar mokk na !», disait avec exaspération un journaliste. Et il a raison. Il faut favoriser l’émergence d’une information régionale. Cela créerait, en outre, des emplois en région, dans divers domaines de l’activité de presse. Les patrons de presse doivent réfléchir à cela. Les investisseurs, de même que les autorités. Il faut innover. Il faut sortir du ronronnement depuis bientôt un siècle d’histoire de la presse au Sénégal.
C’est comme cela que la presse vit dans les pays développés, mais elle peut vivre de la même manière dans les pays en développement. Les autorités qui parlent de créer des emplois devraient y aider. J’en ai beaucoup discuté avec des étudiants en journalisme en début de semaine. Et l’idée mérite réflexion et investissement.