SERVIR d’Abdoul Mbaye ancien Premier ministre : « Le politicien parle aux hommes, l’homme politique au temps »



Servir, un titre bien évocateur, même si l’auteur a clarifié ses propos en parlant de ‘Servir la République’ je continue à me poser mille et une questions. Servir la République ou servir un homme ? L’ancien Premier ministre ne simplifie pas la tâche aux lecteurs il fait allusion à ‘Je lui rappelle ma fidélité’, mais il revient à la charge ‘le Président me remet la liste des ministres… pas de choix pour des femmes ou des hommes de mon choix’. Comment servir, apporter de la valeur ajoutée, mettre à profit son expérience au service d’une République sans avoir son mot à dire sur ‘le choix de ses hommes’ ? Rompu au fonctionnement des organisations l’ancien Premier ministre saura peut être répondre à cette problématique.
Mais ce flou donne à la limite de l’appétit pour ‘dévorer cet ouvrage’ et comprendre ‘les positions’ de l’auteur et l’approche dont certaines problématiques gérées au niveau de l’état.
La formation & l’emploi des jeunes
Avec 75% de la population âgée de moins de 35 ans, 54% vivant en dessous du seuil de pauvreté et  un coefficient de dépendance de plus de 80% : le Sénégal est assis sur une bombe sociale. Les ruptures sont inévitables et ce qui est en jeu c’est l’existence du Sénégal en tant que nation. L’auteur a bien perçu ces enjeux … ‘le chômage prolongé est un signe évident d’échec… il est aussi le détonateur le plus puissant pour faire exploser l’ordre public
En ce qui concerne la formation des jeunes les positions de l’ancien Premier ministre sont assez tranchées : ‘les jeunes doivent considérer leur formation acquise, et non toujours adaptée aux possibilités du marché... Il doivent faire l’effort d’acquérir le complément de connaissances indispensable à l’activité qu’ils auront choisie de mener’. Il s’agit en fait d’un retour sur la récurrente question de l’adéquation formation/emploi. ‘Les centaines de docteurs en pharmacie ne peuvent pas tous ouvrir des officines’.
Le Sénégal a besoin de pharmaciens, de sages femmes, de médecins, d’enseignants, de professeurs… Est-ce la formation de ces corps de métier qui pose problème ? Est-ce réellement une inadéquation formation/emplois ?  En réalité c’est la capacité de notre économie de générer assez de ressources pour permettre à l’Etat d’assumer ses responsabilités sociales qui est notre principale faiblesse.
Sur le marché de l’emploi, il y a, chaque année, 200 000 nouveaux arrivants. Le Secteur privé offre moins de 30 000 emplois par an : Le problème de fond est l’inexistence d’offres d’emploi… On devrait plutôt parler d’adéquation offre & demande d’emplois. Comment dans ce contexte faire avancer l’emploi des jeunes et redonner confiance aux générations futures? Il faut aller dans le sens d’une réinvention du business modèle de notre économie.
Pour régler le problème du chômage, l’ancien Premier ministre annonce d’emblée ‘ses choix’ pour la problématique de l’emploi: ‘l’avenir est à l’auto emploi…’ tout en précisant que ‘la création d’emplois ne vient pas d’une décision administrative ou politique. Elle est la conséquence d’une croissance qu’il faut organiser’. Cette mise au point sur le rôle de l’état est essentielle. Cependant l’approche par lequel l’auto emploi est abordée ressemble à la limite à ‘une fuite en avant’. Pourquoi ne pas consolider l’existant quand on sait que plus de 60% des PME ont moins d’une année de durée de vie. Auto emploi oui, mais pour quel marché ? Qui va en assurer le financement ?
Le problème de l’emploi des jeunes devra passer par une résolution du premier handicap de l’économie sénégalaise qu’est le déficit de compétitivité. Il est quasiment impossible dans ce contexte d’imaginer des unités de production à forts besoins de main-d’œuvre s’installer massivement au Sénégal.
Le secteur informel pourrait être une alternative mais faudrait-il que les acteurs de ce secteur parviennent à trouver les financements et l’encadrement nécessaire pour passer de l’informel au formel, et que ce passage ne soit pas seulement se limiter à  ‘formalisez-vous pour payer vos d’impôts’.
Les approches ‘paracétamol’ ne sont pas une alternative. L’auteur en parle en ces termes ‘les chantiers de lutte contre les inondations, la reprise des chantiers d’infrastructures, la reprise de l’agriculture grâce à une bonne pluviométrie sans oublier l’agence de sécurité’. Il précise cependant ‘une politique de développement de l’emploi est indissociable d’une stratégie visant à obtenir une croissance économique stable. L’investissement réussi crée de l’emploi et de la croissance, mais, il lui faut du temps’ on s’y retrouve quand même difficilement.
Politique et financement du secteur privé
Un autre élément que l’auteur aborde en diagonale dans son ouvrage est la question des PME et notamment la nécessité de rationnaliser les dispositifs d’appui au secteur privé pour un simple problème d’efficience et d’efficacité ‘ Je retiens que L’ADEPME est le meilleur réceptacle possible pour entretenir une banque de projets qui serait alimentée par des propositions venant de l’ensemble des ministères’. Cette recommandation de l’auteur est pleine de bon sens mais elle ne peut être efficiente que si l’Etat, à travers une approche plus globale redéfinit le cadre institutionnel de sa politique d’appui au Secteur privé.
Cette redéfinition devrait nécessairement être accompagnée par un dispositif amélioré de la gouvernance des structures d’appui, les agences en particulier (ADEPME, BMN, ASEPEX…). Il faut des règles plus transparentes dans le choix des directeurs et cadres des structures d’appui, mais aussi instaurer un référentiel comptable et des règles de contrôle plus proches de ceux qui sont en vigueur dans les sociétés de droit privé.
Pour le financement de l’économie en général l’ancien Premier ministre semble fonder beaucoup d’espoirs sur la BNDE ‘être attentifs aux lignes crédit qui seront disponibles avec l’entrée en activité de la BNDE… Accélérer la réflexion sur le FONSIS et surtout le FONGIP et les nouveaux instruments’. Ancien banquier, il sait pourtant que la BNDE sera simplement une énième banque dans la mesure où les règles de jeu sont définies par la BCEAO et qu’elles sont loin d’être dans une logique de développement du secteur privé.
Le fait d’avoir nommé un ‘banquier’ à la tête de la BNDE a pipé les dés. Les premiers propos du Directeur Général de la BNDE après le lancement de l’organisme sont sans équivoque :    ‘…  la BNDE ne vient pas pour bouleverser, ni pour casser une dynamique, mais pour atteindre le même objectif que tout acteur financier ... (Magazine réussir numero88/ Mai 2014)  et pourtant, il faut changer de paradigmes, bouleverser, casser, pour y arriver… FONGIS/FONSIS, on peut valablement se poser des questions sur la volonté de l’état de faire fonctionner ces fonds mais surtout sur le rationnel d’un fonds souverain pour un pays qui n’arrive pas à boucler ses fins de mois.  
Les aspects de rentabilité et de maîtrise des risques resteront malheureusement prépondérants dans l’appréciation des requêtes de financement des projets. Tout semble être fait pour que rien ne change.
La désindustrialisation par la baisse de prix 
L’auteur est revenu sur ‘le combat épique’ avec le secteur privé mais également le secteur informel pour obtenir une baisse des prix de certaines denrées.
La politique de baisse des prix en rapport avec la volonté du chef de l’état Macky Sall de respecter ses engagements. ‘A défaut de pouvoir distribuer des revenus supplémentaires… le candidat Macky Sall a choisi d’annoncer une amélioration du pouvoir d’achat par la réduction des prix des denrées’.
On peut se demander à juste raison, comment distribuer des richesses sans les créer ?  La suite est édifiante ‘Au moment où le mondial du blé s’emballe, la pression des meuniers pour obtenir une hausse du prix de la farine s’accentue… J’en informe le Président. Il est intransigeant : Aucune hausse ne doit être acceptée !!!! Je fais procéder à l’analyse des comptes d’exploitation des meuniers. Ils ne sont pas à plaindre !!!’ L’auteur souligne au passage avoir ‘gardé de très bons souvenirs des leaders de l’UNACOIS et de leur esprit patriotique’. Même Vladimir Poutine ne ferait pas mieux.
Qui sont vraiment les patriotes ? Ceux qui investissement, paient des impôts, créent des emplois ou ‘les autres’. C’est juste l’histoire du serpent qui se mort la queue, en affaiblissant le secteur formel, on arrivera jamais à créer de la richesse encore moins réduire le chômage. La meilleure approche pour baisser les prix consisterait plutôt à favoriser l’investissement privé pour multiplier l’offre en interne. L’exemple récent de la baisse du  prix de la farine  due à l’arrivée de nouveaux acteurs dans le secteur est un exemple assez édifiant.
Concernant le riz encore, les engagements du Président Macky Sall. L’auteur souligne que ‘la problématique de la recherche d’une baisse du prix du riz est plus simple. Le souci de la production nationale demeure mais il n y a pas en face un producteur aussi puissant comme dans le cas du sucre’. Plus simple oui mais elle est plus dangereuse dans la mesure où elle annihile toute possibilité d’aller à une autosuffisance en riz ou à encourager un ‘investisseur sérieux’ à s’engager dans la filière rizicole. Pourquoi Louis Dreyfus a fait le choix d’investir dans la filière riz en Côte d’Ivoire (USD 60.000.000)… Il n y aura jamais de ‘producteur puissant’ tant que le prix du riz de la vallée par manque de compétitivité sera indexé à celui du riz importé, c’est simplement la loi de l’offre et de la demande.
Limogeage ou ‘séparation à l’amiable’
L’auteur revient sur les péripéties de son départ. Il ne veut pas du tout entendre parler de limogeage ? Sa position sur la baisse des loyers ‘La baisse durable des loyers doit être recherchée comme conséquence de solution économique et financière…. Ne pas avoir baissé les loyers en quelques mois n’apparaît donc pas comme un échec. Par contre le risque politique de promettre leur baisse immédiate et aurait pu être très élevée’ illustre l’énorme décalage entre sa vision et celle de son  ‘ex patron’ qui a comme principal point de mire 2017 & la recherche effrénée de bilan à présenter aux Sénégalais.
On ne peut pas imaginer Abdoul Mbaye tête de liste majoritaire de l’APR à Fann / Point E / Amitiés faire des visites de proximité ou ‘défendre le Président’ en revenant sur l’assassinat de Maitre Sèye pour ‘répondre’ au PDS.
Abdoul a également ‘le défaut’ d’être pertinent. Aussi paradoxale que cela puisse paraître, il avait  signé ‘son arrêt de mort’ à la suite de sa déclaration de Politique Générale. Le camp présidentiel avait flairé le danger qu’Abdoul fasse de l’ombre ‘au chef’. Ainsi les premières salves  partirent de la présidence, ils eurent  finalement ‘leur Premier ministre politique’.
En réalité Abdoul à la Primature était juste un leurre pour donner un gage à une rupture promise, son départ est juste un retour aux ‘standards’.
 
La carapace sera-t-elle assez résistante
Cet ouvrage qui dénote d’une rigueur intellectuelle de l’auteur, est à saluer. Sauf erreur de ma part, c’est la première fois dans l’histoire politique du Sénégal qu’un Premier ministre fait un bilan de son action sous cette forme.
Mais pourquoi cet ouvrage ? Bilan personnel, projection dans le futur ? En lisant  l’introduction, on comprend très vite que l’auteur est une logique de positionnement pour le futur. Abdoul met en évidence les décisions politiciennes mais, de façon subtile il dégage sa vision pour le développement socio-économique du Sénégal, il trace les grandes lignes de ce qu’il aurait fait s’il avait ‘les mains libres’.
Ce pays mérite mieux qu’un choix entre la peste, le Sida ou le choléra qu’on lui sert depuis 54 ans. N’est-ce pas l’autre qui disait que seuls les médiocres font la politique au Sénégal. La pauvreté, la médiocrité et l’incompétence ne sont pas une fatalité. Abdoul devra faire le saut pour avoir la possibilité de mettre en œuvre sa vision et s’il veut vraiment SERVIR LA REPUBLIQUE d’autant plus qu’il dit ‘s’être fait une carapace’

Ibrahima Badiane

Jeudi 22 Mai 2014 16:06


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