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Sénégal – vice-présidence : le Pr Mamadou Diouf décortique les vraies motivations de Wade

La vice-présidence est quasiment une obsession pour le président Abdoulaye Wade. Il n’a pas pu occuper ce poste sous Abdou Diouf, il le créé sous son règne. Le professeur Mamadou Diouf, chef de l’institut Afrique de l’Université Colombia des USA décortique et donne les véritables motivations du chef de l’Etat pour ce poste. Dans une analyse impartiale et détachée, il caricature la situation actuelle du Sénégal marquée par le débat sur la succession et la volonté de Idrissa Seck de s’accrocher coûte que coûte aux wagons PDS et de Wade. Pr Mamadou Diouf a accordé une interview à Pressafrik.com qui est publiée en deux croustillants jets.



Le professeur Mamadou Diouf de l'Université Colombia des USA
Le professeur Mamadou Diouf de l'Université Colombia des USA

En fait  l’intérêt de la situation actuelle du Sénégal, c’est de montrer que le Sénégal s’est engagé dans plusieurs directions. Depuis l’alternance de 2000, on a, d’une part, assisté à une série de crises qui sont d’abord liées à la gestion de l’alternance, des relations entre les différentes composantes qui ont participé à l’arrivée du pouvoir du président Abdoulaye Wade et des rapports entre ces différentes parties. D’autre part, une crise du parti démocratique sénégalais qui semble s’approfondir dans différents soubresauts du Parti  Socialiste  qui a perdu un segment important de ses dirigeants que d’aucuns disent «les branches les plus pourries» de l’histoire de la transhumance. Mais aussi, il y a les crises électorales et en même temps une prise en charge de l’état sénégalais, du secteur économique sénégalais par le PDS et ses alliés qui ne sont pas forcement politiques mais plutôt des alliés économiques. L’alternance a donné de nouvelles approches, de nouveaux réseaux politiques et économiques et des crises cycliques. L’illustration la plus parfaite, c’est Idrissa Seck qui fait des va-et-vient, c’est Macky Sall qui est parti, c’est aussi d’autres dirigeants  du PDS qui sont exclus, qui sont remis en cause, sont remis en orbite, c’est encore le retour plus ou moins réussi d’anciens militants du PDS. C’est, en fait, tout cela qui a pu créer une situation très complexe, très difficile à mettre en musique ou à rendre très rationnelle. La manière dont le président Wade gère le Sénégal semble être une manière fondée sur des à-coups, des crises à répétition ou des décisions plus ou moins intempestives ou difficiles à comprendre.

 

La deuxième chose qui semble importante pour moi, c’est en fait une transformation de l’architecture administrative de ce pays. Ce pays semblait avoir une force considérable. C’était d’avoir eu une administration très solide et très bien formée qui est capable de prendre en charge l’Etat, qui est capable de développer des programmes et des projets qui ont été financés. Le PDS n’a jamais été capable de recruter des partis dans l’administration sénégalaise et en particulier dans la haute administration. Et, quand il est arrivé au pouvoir, il a eu ce problème extraordinaire de ne pas avoir des cadres.

 

La première explication de la transhumance n’est pas au fond politique. Le PDS est à la recherche de cadres parce que le PDS ne veut pas utiliser les cadres de ses alliés de peur de perdre ce pouvoir bureaucratique. C’est ce qui explique que le PDS va débaucher des cadres, des militants bien formés du Parti Socialiste. Mais, c’est un parti qui ne fait pas trop confiance à l’administration. Par conséquent, il va injecter des gens pour diriger des structures administratives alors qu’ils ne sont  pas formés pour cela.

 

L’administration n’a pas été dévoyée. Elle a été détruite parce qu’il n’y a plus le savoir, l’expérience nécessaire pour la faire marcher. Et c’est ça aussi qui a considérablement accentué la corruption précisément parce que cela a ouvert des boulevards à des gens qui ne savent pas. Et même probablement le président de la République s’est retrouvé dans des situations où on ne fait pas confiance à l’administration, on n’applique pas les procédures.

 

Et dans une certaine mesure, les premiers moments de l’alternance c’est cela qui a créé des problèmes entre le président et une partie  de la haute administration et même de certains ministres. Les gens ont beaucoup parlé des rapports entre Wade et son ancien ministre des finances (Matar Diop, NDLR) et justement qui est une discussion autour des procédures. Ces problèmes se posent encore aujourd’hui parce que ce sont des gens qui se retrouvent dans l’administration  et qui n’ont pas été formés et c’est très simple quand on ne sait pas, on ne sait pas. Ou bien on laisse le pouvoir aux gens, aux bureaucrates et on a un problème parce qu’on ne contrôle plus le système. Et cela a été l’un des grands problèmes de l’alternance.

 

Troisième élément, c’est le secteur économique que l’on contrôle à partir de la présidence. Wade a la main sur tout ce qui est économie. Il peut le déléguer à des gens, maintenant il l’a déléguée à son fils.Auparavant, il n’était que conseiller, mais maintenant, cela a été formalisé avec son arrivée dans un ministère. C’est cet ensemble de mal-gestion, cet ensemble de contrôle qui n’est pas  fondé sur une expertise administrative et un projet politique clair qui créé cette situation cacophonique. Et ce qui le montre le mieux et qui est extraordinaire, c’est l’espérance de vie des gouvernements  sénégalais qui est très courte. Elle est aussi courte qu’un ministre peut être exclu aujourd’hui et revenir demain littéralement. Ou quelqu’un qui est choisi aujourd’hui peut rester dans le gouvernement moins d’une semaine ou quelque mois. Ou encore des ministres choisis aient refusé après deux ou trois jours  comme c’est le cas d’Aida Mbodj. La nomenclature des ministères, leurs nominations, leurs noms démontrent à l’envie ce problème.


 

Mais aussi quand on regarde l’espace d’aménagement de Dakar, c’est l’idée qu’il y’a une vision d’une ou plusieurs personnes qui est leur propre projection sur un espace. Cette projection n’est pas médiatisée à des connaissances techniques donc on se retrouve dans des situations où on a des tunnels, des rampes parce qu’il y’a une idée de la modernité qui est très vieille, qui est une idée des années 60. La modernité en ce moment-là, ce sont des bâtiments hauts, des tunnels et des ponts, des ronds points et des rampes.

 

Le rôle du président, c’est d’avoir  des visions mais une vision ne se réalise que parce qu’elle passe dans le tapis technique d’experts qui connaissent  comment passer d’une idée à la chose concrète. Aujourd’hui pour le gouvernement, pour les aménagements territoriaux, pour les aménagements urbains, pour le gouvernement on a une vision, on a un discours et c’est ce discours qui tente d’être et qui effectivement se retrouve validé ou invalidé par la pratique. C’est cela qui créé cette situation où on va dans toutes les directions en mêmes temps sans  savoir où on va.

 

Ce n’est pas une situation opportune aujourd’hui. Mais, il faut se poser une autre  question. Pourquoi le président Wade  décide de créer une nouvelle institution ? A quoi cette institution va-t-elle servir ? Est ce que c’est une institution qui entre dans une vision politique ? Une institution de ce genre ne dépend pas du fait que le pays soit petit ou grand, c’est plutôt le fait qu’il ait une architecture institutionnelle acceptée par les citoyens. Et cette architecture peut porter le projet politique économique, social et culturel. Il est absolument indispensable d’inscrire cela dans une histoire très longue pour voir quelles sont les différentes procédures que ce débat sur la vice-présidence a pris au Sénégal.

 

En fait, on peut le comprendre en allant très loin. Quand Diouf devient Premier ministre, il y a eu une révision constitutionnelle via l’article 35. Senghor justifie son projet sur la nécessité de préparer la succession et de former un successeur. Il l’a fait sur une dizaine d’années avant de démissionner. Cela est une réponse institutionnelle à un projet  politique. Quand Diouf arrive au pouvoir, il y a eu les crises consécutives telles que les crises post électorales, crise des pluies, crise sénégalo-mauritanienne, etc. Donc le Sénégal était devenu complètement instable. Un débat s’est posé. Qu’est ce qu’il faut faire pour sortir le pays de la crise ? A un moment, le débat sur la sortie de crise tournait autour de la majorité présidentielle élargie qui fonctionnait jusqu’en 1993 avant de s’écrouler. La crise avait demeuré, il n’y avait pas eu de solution et il y avait des problèmes. Cela avait laissé place à des discussions plus ou moins clandestines autour de la vice-présidence.


 

Diouf discutait de la possibilité d’avoir Wade au près de lui en tant que vice-président. Ce qui était  très différent de la discussion d’aujourd’hui. En fait les discussions des années 90 étaient impressionnantes parce qu’elles montraient que Wade avait abandonné tout espoir de devenir président de la République du Sénégal. Il se battait pour être vice-président. Mais l’idée, c’est qu’il y avait un ticket. C’est-à-dire que le président et le vice-président étaient élus pour la même durée. Ce qui légitimait un exécutif fort  et un vice président élu avec le président. C’est en fait le système américain. Cependant, cela avait échoué. Et Wade n’allait pas revenir discuter et parce qu’en un moment notamment avant même les élections de 2000, si vous vous rappelez, il était parti pendant une année. Il n’était toujours pas convaincu qu’il pouvait gagner. Mais en un moment, je pense qu’il y a eu un éclair qui avait apparu. C’était en fait sa dernière chance pour gagner. C’est ce qui expliquait que l’opposition de gauche, qui est capable de produire une démarche, était allée le chercher.  


 Ce que je trouve aberrant, c’est qu’on dise que Idrissa Seck a inventé je ne sais quoi. Ce sont des histoires. Il a participé parce que c’est vraiment une coalition qui a été capable de mobiliser les sénégalais. Wade a gagné, mais il construit un pouvoir personnel, un pouvoir du PDS. Ce qu’on voit, c’est que dés qu’il est arrivé au pouvoir toute sa stratégie, c’est écartée ses partenaires. Y compris aussi des gens de son propre parti. La vision que ses partenaires ont et c’est là qu’ils vont probablement perdre, c’est l’idée de penser que Wade est vieux et qu’il est un président de transition. Tout le monde a cru qu’il n’allait faire qu’un seul mandat et probablement, c’est quelque  chose qui a été discuté. Cependant, ils (ses partenaires) vont se faire rouler dans la farine  parce que lui (Wade) il avait une stratégie de  pouvoir à long terme. C’est pour ça que toutes ces hésitations, ces discussions autour de 2012 sont intéressantes. C’est à l’intérieur de cela qu’il faut comprendre le sens de la vice-présidence et les  différentes formes que cette discussion prend. Le fait qu’en un moment l’idée de la vice-présidente devrait avoir un mandat à une durée alors qu’il est choisi donc, il remet en cause l’idée du ticket président/vice-président. Maintenant la durée est limitée. La question qui se pose, c’est en fait est-ce que l’idée de la vice-présidence est conjoncturelle ou structurelle ? Le problème, c’est qu’on a toujours pas la durée du mandat du vice-président et comment cela va se passer. Est-ce que c’est seulement pour ce qui reste du mandat de Wade est-ce que cela va disparaitre ? Ensuite quel serait le rapport  entre le président et le vice président  et le vice-président et le Premier ministre ? Et comment l’architecture protocolaire en terme de vacance du pouvoir va-t-elle se gérer d’autant plus que le sénat va disparaitre au profit de Conseil économique et social ? Le président de l’Assemblée nationale va-t-il devenir la deuxième ou la troisième personnalité de l’Etat ? Si l’on se réfère au système américain, le successeur automatique du président est le vice-président qui préside les réunions du sénat et quand il y a une égalité de voix entre démocrates et républicains au sénat, le vice-président peut voter pour l’un des deux blocs et créer une majorité. Aux USA, le vice-président a un rôle législatif en terme de vote uniquement. Il préside les séances, il peut plus ou moins avoir une  influence sur l’agenda du sénat. Qu’est ce qui va se passer au Sénégal ? Va-t-il être le successeur direct du président ? Va-t-il gérer l’intérim et organiser des élections ? Tout cela va ouvrir un débat intéressant. Après un test électoral qui a été très négatif pour le fils,si on prend l’hypothèse complètement folle que Wade veut mettre son fils, ce qui est une folie ça peut être grave. Cette hypothèse peut être en fait remise en circulation, mais l’autre aspect, c’est : va-t-il choisir son fils maintenant ou va-t-il le choisir après ? S’il le choisit après qu’est-ce-que cela veut dire ? Cela veut-il dire qu’il va être candidat en 2012 ? Ou cela veut-t-il dire qu’il va choisir quelqu’un pendant quelques mois, une année puis le remplacer par son fils ? Il a déjà subi une énorme défaite électorale donc si d’ici 2012, il le choisit comme vice-président, ce qui avait arrivé à Diouf va lui arriver. Diouf a probablement perdu parce que les gens ne lui en voulaient pas. Si on se rappelle bien, Djibo Ka avait dit vous ne votez pas pour celui qui est en train de faire campagne, vous votez pour quelqu’un qui est dernier et qui ne fait pas campagne. Il faisait allusion à Ousmane Tanor Dieng. On peut considérer que dans une certaine mesure que Diouf a perdu à cause de l’idée qu’il avait un successeur non déclaré. Mais-là si Wade a un successeur déclaré en la personne de son fils, et que toutes les  règles légales sont en place, il va perdre, probablement en 2012 comme il a perdu les élections locales. Il y a toute une série de questions qui ne sont pas claires et on peut faire toute une série d’hypothèses qui peuvent avoir des conséquences à moyen, à court et à long terme sur les évolutions politiques au Sénégal. Wade va être forcé de dire clairement ce qu’il envisage par rapport à la succession. L’autre problème qui va se poser, c’est que ce n’est pas seulement le PDS et son fils qui sont les acteurs de ce jeu. Il y a les sénégalais qui ont déjà montré leur capacité à non seulement freiner mais, à arrêter net ce que le président Wade et les gens qui tournent autour de la Génération du concret essaient de faire. Va-t-il faire un forcing ? et s’il fait  le forcing que va-t-il arriver ? Son parti va aussi prendre le contre coup des décisions qu’il va prendre. Je pense à ce que va faire Idrissa Seck qui colle sa stratégie à l’idée qu’il pourrait être le successeur alors que tout démontre qu’il ne me semble pas qu’il soit dans les calculs politiques de Wade. Contrairement à ce que l’on croit, il a gagné Thiès et lui aussi a été perdu pendant les élections. Je pense qu’il se fait beaucoup d’illusions sur sa représentativité. C’est en fait pour cela qu’il s’accroche aux wagons de Wade et du PDS et qu’il veuille coûte que coûte que Wade le désigne au lieu de se battre pour gagner cette décision. 


Ibrahima Lissa FAYE

Lundi 18 Mai 2009 - 20:25


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1.Posté par Alioune Badara Gueye le 19/05/2009 22:44
Excellente analyse! En effet pour pouvoir juger a bon escient le present il faut savoir le passe puisque cette seule connaissance peut reellement permettre de comprendre certaines logiques non arithmetiques.Donc bravo prof..Diouf.Ce sont en fait,ces esprits saints qui font defaut a notre cher Senegal de nos jours; ils ont pris la poudre d'escampete et sont entrain de rouler leur bosse partout a travers le monde,et au rythme ou vont les choses sous Abdoulaye Wade ces specimen se rarifieront davantage

2.Posté par LA CONSTITUTION EN AFRIQUE le 24/05/2009 10:13
Consultez et commentez, sur le sujet, l’analyse d’un constitutionnaliste sans parti pris qui vient de paraître sur le site LA CONSTITUTION EN AFRIQUE:

Vice-Président: un objet constitutionnel non identifié?


3.Posté par thiam le 30/05/2009 02:20
exellente analyse; Merci professeur Diouf. tu es une fierté africaine aux états unis.

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