Sidy Lamine NIASS Vs. Macky SALL: Crime lèse-majesté ou liberté d’expression

Dans une récente sortie, Sidy Lamine NIASS, PDG du groupe Walfadjri, a accusé le Président de la République du Sénégal, Macky SALL, d’avoir orchestré la fermeture de ses média sous le prétexte d’un redressement fiscal. Il s’est montré avec une mine d’oppressé, en martyr de la liberté d’expression. Ce contentieux nous amène à réfléchir sur les limites à la liberté d’expression et à son corollaire la liberté de presse. D’autant plus qu’un projet de codification est sur la table des députés.



« Si dire son opinion est un crime, nous sommes des criminels. Si émettre une idée qui n’est pas favorable à l’Etat mérite un arrêt de mort, je dis tuez-nous». Dixit Sidy Lamine NIASS.
 

Il s’agit vraisemblablement d’une nébuleuse fiscale. Toutefois, du fait que ce différend est intervenu subséquemment aux propos tenus par Sidy Lamine NIASS, qui accusait le Président de la République d’avoir offert un passeport diplomatique à un homosexuel sénégalais, les esprits peuvent s’imaginer qu’il s’agit d’une expédition punitive. En effet Il est rapporté dans la presse que M. NIASS a repris à son compte les propos tenus par un politicien de l’opposition sénégalaise, qui ont valu à ce dernier une détention pour avoir offensé le Chef de l’Etat. L’objectif de cette analyse n’est pas de se prononcer sur cette guéguerre. Mais de se pencher sur une équation devenue encore plus difficile à résoudre, avec la diversification de nouveaux moyens de communication : comment préserver la liberté d’expression et la liberté de la presse, tout en évitant qu’elle soit pervertie en une licence de diffamer ?
 

Les accusations de M. NIASS sont-elles couvertes par la liberté d’expression ? L’injure au Chef de l’Etat est-elle plus grave que l’injure à un citoyen lambda ? Le journaliste peut-il s’exonérer de sa responsabilité, même en cas de diffamation avérée ? Dans la perspective de l’adoption d’un nouveau code de la presse, ces questions méritent un débat, pour un juste compromis.
 

La liberté d’expression des uns s’arrête là où commence la dignité des autres.
 

Sans s’immiscer dans son différend avec le pouvoir de Macky SALL, il nous semble opportun de rappeler à M. NIASS ces dires de Kant : « L’homme abuse à coup sûr de sa liberté à l’égard de ses semblables; et, quoique, en tant que créature raisonnable, il souhaite une loi qui limite la liberté de tous, son penchant animal à l’égoïsme l’incite toutefois à se réserver, dans toute la mesure du possible, un régime d’exception pour lui même. ». Il y a lieu de préciser que le fait d’être journaliste, ou d’être propriétaire de média  ne donne pas droit à dire n’importe quoi sans assumer sa responsabilité pénale ou civile.
 

La liberté d’expression ne doit pas être perçue ou conçue comme la négation de toute forme de contrainte étatique. Pour être effective, la liberté doit être encadrée par un ordre juridique, qui veille à l’équilibre pour éviter le chaos. Montesquieu disait à ce propos que la liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent. Et que, si un citoyen avait le droit de faire ce que les lois défendent, il n’y aurait plus de liberté, car les autres pourraient à leur tout enfreindre sa liberté. Donc le Parlement doit contingenter cette liberté et déterminer ce qui est légitimement et réflexivement acceptable comme restriction de notre verbe et de notre plume, afin d’obliger le citoyen et les professionnels de l’information à avoir un comportement responsable. Mais au-delà de cette limite, on tend vers la tyrannie.


Offense à chef de l’Etat : Le Président de la République n’est pas une majesté, mais il faut le respecter.
 

Très usité depuis l’antiquité par les souverains et les religieux, le crime de lèse-majesté survit toujours sous l’appellation, démocratiquement correcte, d’Offense au Chef de L’Etat. Ses détracteurs le considèrent comme une arme utilisée par les despotes et régimes répressifs pour matraquer arbitrairement les opposants et les rabat-joie politiques. Ses défenseurs le trouvent nécessaire à la protection des gouvernants contre les atteintes à leur honneur.
 

Il est évident que le Président de la République n’est pas un roi.  De ce fait le crime de lèse-majesté n’est pas concevable dans une démocratie. Le délit d’offense au Chef de l’Etat ne doit pas servir de prétexte pour écarter des journalistes gênants, des opposants politiques ou des défenseurs des droits des citoyens. Le manquement à une obligation fiscale ou professionnelle ne doit pas servir de prétexte pour camoufler la répression d’idées embarrassantes pour le pouvoir, émises par un journaliste ou un opposant politique (Sidy Lamine NIASS se dit victime de cette pratique). Plusieurs chefs d’Etats africains ont été déboutés, au nom de la liberté d’expression, de leurs requêtes contre les auteurs d’un livre dénonçant leurs  deals et leurs biens mal acquis dans le cadre de la Françafrique (Noir silence. Qui arrêtera la Françafrique ?). Ce n’est pourtant pas une raison pour tolérer les attitudes et imputations diffamatoires qui visent délibérément à offenser, à piétiner la réputation ou la dignité du Chef de l’Etat.  Ainsi, si le Président a, comme tout autre citoyen, la possibilité de porter plainte contre de telles atteintes, il n’en demeure pas moins qu’il est nécessaire de lui accorder une protection supplémentaire qui relève, non de sa personne, mais de sa fonction. L’homme passe, l’institution demeure. Et cette institution, qui incarne à elle seule la souveraineté nationale, mérite un mécanisme spécifique de protection. C’est d’ailleurs ce que vient de décider le Sénat français qui, pour revenir sur la suppression du délit d’offense au Chef de l’Etat validée le 15 mai 2013 par les députés français, exige une protection spécifique préalable pour le Président. Cette démarche est souhaitable dans notre pays, où  prospère une tendance à se distinguer en politique, non pas par des idées et actions positives, mais par des injures, insolences et violences.
 
 
La liberté de la presse est une condition de la démocratie, mais n’implique pas une immunité absolue des acteurs.
 

Toute société dans laquelle la liberté de la presse n’est pas garantie, n’est pas une démocratie. Une presse libre, non soumise et non corrompue, est nécessaire au fonctionnement de la République. L’investigation, la critique ou la satire ne doivent pas amener le pouvoir à étouffer la presse. La Constitution sénégalaise mentionne dans son préambule que le peuple sénégalais adhère à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, qui consacre la liberté de la presse. Il s’en suit que la production de journaux, livres, sites web d’information, blogs, ou d’écrits matérialisant des opinions, est un droit fondamental. Il appartient aux journalistes d’avoir les coudées franches dans l’exercice de ce droit, et de ne pas se laisser intimider par la tyrannie d’un quelconque régime qui, loin de pouvoir les laminer, les fortifiera.
 

Ils doivent toutefois répondre de leurs actes lorsqu’ils font étalage d’allégations mensongères ;  lorsqu’ils blasphèment la foi d’autrui (l’affaire des caricatures de Mohamed par les journaux danois Jyllands-Posten, et français Charlie Hebdo, est révélatrice) ; viole la présomption d’innocence, la  vie privée ou la dignité d’autrui ou d’un groupe social. Le chroniqueur français Eric Zemmour a voulu utiliser la liberté d’expression pour justifier ses attaques indignes contre les Noirs et les Arabes en France. Il avait affirmé avec insistance sur un plateau de télé que si les jeunes Noirs et Arabes sont contrôlés plus fréquemment que les autres par la police, c’est parce la plupart des trafiquants de drogue sont noirs et arabes.
 

Pour s’exonérer de sa responsabilité civile ou pénale, le journaliste a intérêt à garder la preuve des faits qu’il affirme. S’il n’y parvient pas, il peut essayer de se disculper en prouvant sa bonne foi. Pour ce faire, il doit démontrer qu’il s’est exprimé avec mesure et s’est comporté en bon père de famille (prudent, vigilent et diligent) ; et qu’il a diligenté une enquête fiable et non entachée d’animosité, dans un but légitime.
 


Suggestions 


-          Dans le projet de code de la presse le législateur sénégalais, à moins d’évincer la « presse people », les journaux satiriques, les tabloïds  du Net, et de manière générale la presse-scoop, doit revoir le champ de la vie privée, en tenant compte de l’évolution technologique et des réseaux sociaux. Par exemple, avec Facebook, Twitter, Linked In, etc., le droit de s’opposer à la reproduction de son image et de ses données personnelles doit être relativisé.
-          L’imprescriptibilité des atteintes abusives à la liberté d’expression garantirait la sécurité des journalistes. Ainsi un Président ou un ministre qui fait emprisonner arbitrairement un journaliste, pourra être poursuivi quand il ne sera plus au pouvoir.
-          La dépénalisation des délits de presse ne doit concerner aucun délit de droit commun. Etre journaliste ne donne pas droit à diffamer  et à insulter. Cette dépénalisation doit être réservée aux transgressions préjudiciables à l’intérêt public. Pour les atteintes aux intérêts privés, les sanctions des organes de régulation ne suffisent pas, et  il est inadmissible que des sanctions pécuniaires remplacent les peines prévues pour les  autres citoyens. Cela aboutirait à une marchandisation du droit pénal. Un organe de presse peut décider de commettre sciemment un délit, en mettant au préalable une provision pour payer les sanctions pécuniaires, ou en prenant une bonne assurance responsabilité civile.
-          Le nouveau code de la presse ne doit pas contenir les germes de son obsolescence programmée. Pour éviter une désuétude prénatale, ce code gagnerait à appréhender la particularité de la cyberpresse. Sur Internet le pluralisme, ou plus exactement la prolifération de sources d’information, risque de transformer la cyberpresse en une cyber-jungle. La sincérité,  la neutralité et la traçabilité de l’information cèderont la place à la cyberdélinquance, qui gangrénera  l’agora numérique, sous le prétexte insidieux de  la liberté d’expression. Retranchés derrière leurs ordinateurs, beaucoup d’internautes  croient surfer dans l’impunité absolue, en commettant des  actes puérils  et des atteintes aux droits et libertés d’autrui. Il est impérieux d’ériger un cadre préventif et répressif contre les abus perpétrés dans les commentaires d’articles, les forums, blogs, pages personnels et réseaux sociaux. Il faut redéfinir la liberté d’expression en ligne, qui dépend de facteurs exogènes : pays de rattachement des hébergeurs de site web, focalisation des serveurs, localisation des éditeurs d’hyperliens, lois compétentes, etc.
Pour un juste équilibre dans l’exercice de la liberté d’expression, il faut compter à la fois sur la loi, la régulation et les codes de déontologie.



Aliou TALL 
Président du RADUCC (Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyen) 
Paris - Dakar. 
Email : raducc@hotmail.fr

Aliou TALL

Mardi 18 Juin 2013 18:19


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