TUNISIE. Le vrai visage des islamistes

Les vidéos volées sont des instruments redoutables en politique. Rached Ghannouchi, leader du parti Ennahda, qui domine le gouvernement tunisien depuis les élections d’il y a un an, vient de l’apprendre à ses dépens.



Sur le Net circule depuis quelques jours un film édifiant qui révèle la véritable pensée de Rached Ghannouchi, très éloignée de son discours public. La chose serait comique si les propos tenus par le chef des "islamistes modérés" ne jetaient une lumière sinistre sur le processus en cours en Tunisie.

Manifestement réalisé à l’insu du leader islamiste "modéré", l’enregistrement date du printemps dernier. Ghannouchi reçoit un groupe de jeunes militants salafistes, du nom de ce courant extrême et souvent violent dont les exactions ont émaillé la vie politique tunisienne à de multiples reprises.

Que dit Ghannouchi ? Loin de sermonner ou même de critiquer ces extrémistes, il discute avec eux pour défendre l’action de son parti. Le parti Ennahda, explique-t-il, ne peut réaliser son programme aussi vite qu’on pourrait le souhaiter : les "laïques", dit-il, opposent encore une forte résistance, dans la presse, dans l’armée et même dans l’appareil d’Etat. Il faut du temps, ajoute-t-il, aux islamistes pour contrôler l’administration et les médias.

Alors que son parti est censé préparer une nouvelle constitution démocratique, Ghannouchi parle de toute évidence comme si lui et ses interlocuteurs salafistes partageaient les mêmes buts politiques, pour ne diverger que sur le calendrier et les moyens.

Il s’agit bien, à l’écouter, d’instaurer une république islamique, ou islamiste, où la laïcité aurait disparu et où les lois seraient inspirées de la charia. Ghannouchi va jusqu’à expliquer au jeunes salafistes que le mot "charia" n’a pas une importance décisive (les laïques ont empêché qu’il soit inclus dans le texte de la future constitution). C’est la chose qui compte et celle-ci sera mise en œuvre dès que les oppositions auront été surmontées. Ghannouchi poursuit en encourageant ses interlocuteurs au prosélytisme dans les mosquées et dans la société, pensant de toute évidence que l’islamisation de celle-ci par le bas convergera avec l’action qu’il compte mener à la tête de l’Etat.

Un utile avertissement


La vidéo a suscité un énorme scandale en Tunisie. Les autres partis ont aussitôt dénoncé le double langage d’Ennahda, qui se répand en protestations légalistes, qui condamne les violences des salafistes, mais qui souscrit en fait à leur programme et se répartit discrètement les rôles avec eux : les bons islamistes dans le gouvernement, les méchants à l’extérieur, les premiers se démarquant en apparence des seconds pour mieux imposer leurs vues à la coalition qui gouverne.

Pour les démocrates tunisiens, la menace est redoutable : ils ont en face d’eux un parti duplice, qui prétend respecter les libertés publiques mais qui conspire en secret à leur abolition au profit d’un régime inspiré du Coran qui confinera, comme dans les pays du Golfe ou en Iran, à un régime totalitaire. Rien n’est perdu, bien sûr, et la vidéo sauvage fait résonner un utile avertissement. Mais personne ne doit s’y tromper : l’ennemi est bien dans la place. La majorité des citoyens, qui récuse tout projet d’islamisation et tient aux conquêtes historiques du peuple tunisien, doit en prendre conscience et agir en conséquence.

Le Nouvel Observateur




Samedi 13 Octobre 2012 15:02


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