Tabaski : un imam qui a osé tuer un coq parle du sens de la fête

Considérée comme la plus grande fête musulmane, la tabaski au Sénégal sera célébrée ce mercredi 17 novembre. En effet dans ces périodes de préparatifs, nombre de musulmans emportés par l’ambiance de la fête en oublient même les fondements enseignés par le coran. Mor Ndao, Imam de la mosquée de l’unité 03 des parcelles assainies est revenu sur le sens de cette fête. Entretien…



Est-ce que vous pouvez revenir brièvement sur la genèse de la tabaski ?

L’histoire est longue mais il importe de retenir tout simplement que tout est parti du prophète Ibrahim. Cet ancêtre des juifs avait manifesté son désir d’avoir un fils avant de voir son vœu exaucé quand il fut vieux, c’est-à-dire à 123 ans. Après un rêve où Dieu lui ordonna de tuer son unique fils Ismaël âgé de 12 ans environ, Ibrahim décida d’exécuter l’ordre avec le consentement de sa femme Hadjara et de son fils pour prouver à son créateur sa grande ferveur. C’est ainsi qu’au milieu de l’accomplissement du sacrifice à Mouna (actuel lieu d’immolation des moutons de la Tabaski à la Mecque) que Dieu lui envoya un mouton par le biais de l’Ange Jibril qu’il égorgea à la place d’Ismaël. C’est pour se rappeler de ce geste de croyance énorme du prophète Ibrahim et de sa famille que les musulmans du monde entier perpétuent aujourd’hui la tradition.

La fête de la tabaski c’est aussi la « fête des moutons ». Est-ce que vous pouvez préciser le choix recommandé par l’Islam sur le modèle de mouton ?


Avant tout, des études ont montré que le mouton du prophète Mohamed (PSL) avait des sabots et des yeux noirs. Certains choisissent en fonction de cela mais ce que nous enseigne le Saint coran est très clair et ne prend pas en considération ce fait. Aujourd’hui même si les gens sont plus attirés par les béliers qui coûtent des millions, ce qu’on recommande au musulman c’est tout simplement un mouton âgé d’au moins huit mois à un an. Cependant l’animal ne doit pas avoir une blessure qui saigne, ne doit pas être borgne, boiteux, avoir plus de la moitié de la queue coupée ou avoir une très mauvaise haleine, ce qui est souvent synonyme de maladie. Il importe aussi de préciser qu’à défaut d’un bélier, on peut prendre celui qui est castré, après s’ensuivent hiérarchiquement une brebis, chèvre, bœuf, chameau.

On a beau entendu les imams et autres islamologues prôner que le musulman à défaut de moyens peut immoler une chèvre ou d’autres animaux que vous avez cités. Ne croyez-vous pas que c’est vous qui devez donner l’exemple en le faisant en premier pour qu’enfin ce complexe soit franchi ?

Cela est vrai et je le dis souvent parce que les imams et les marabouts sont des références sociales. J’ai l’habitude de dire que si les gens voyaient des chèvres attachées devant les domiciles des imams ou khalifes généraux, ce qui n’est pas le cas, il n y aurait plus de complexe à ce sujet. Le prophète (PSL) au cours de sa vie avait tué deux moutons en disant que l’un est pour moi et ma famille et l’autre pour tous les musulmans qui n’ont pas les moyens de le faire. Moi qui vous parle par exemple il m’est arrivé de tuer un coq le jour de la tabaski. C’était il y a longtemps, je n’étais pas encore imam mais un petit marchand, locataire, qui avait en charge ma famille. Je ne disposais pas suffisamment de capitaux pour payer le loyer, acheter un mouton et assurer la dépense quotidienne surtout après la fête. Ma femme me comprenait mais mes enfants pleuraient parce que les autres enfants se moquaient d’eux mais moi cela ne m’a aucunement posé de problème parce que je l’ai fait par croyance à ce qu’a dit le Prophète.

Maintenant concernant la prière le jour de la tabaski, il y a des confusions notées sur le nafila des deux rakas avant la grande prière. Pouvez-vous apporter quelques précisions sur ce point ?


Ici nous avons deux conditions. Si la prière se fait à l’intérieur d’une mosquée, on peut faire deux rakas en guise de nafila. Mais si la prière s’effectue en dehors de la mosquée, c’est-à-dire dans les grandes surfaces comme on a l’habitude de le faire dans ces évènements, le nafila n’est pas recommandé et il conviendra de se contenter seulement de la grande prière. Il faut aussi rappeler qu’il est banni de tuer avant l’imam et sur ce point, je précise que si on se trouve dans un endroit où il n’existe pas d’imam, on se réfère à celui qui est plus proche.

Et le jeûne court qu’on fait le matin de la tabaski ?

Ce jeûne est juste une sounna. Par rapport à la korité où il est formellement interdit de jeûner toute la journée, ce court jeûne de la tabaski a pour simple objectif de faire en sorte qu’on ait faim pour pouvoir bien manger puisque c’est une fête.

Est-ce vraiment une fête, une fête comme on a coutume de le faire avec toute l’ambiance qui l’accompagne ?

Oui c’est une fête et d’ailleurs la plus grande fête des musulmans. C’est la raison pour laquelle on interdit de jeûner les trois jours qui précèdent la tabaski, pour permettre à celui qui n’avait pas l’opportunité de pouvoir tuer un mouton, le faire le deuxième ou le troisième jour s’il en possède. Il est même recommandé de mettre son plus beau boubou, de se parfumer et de se rendre tous à la mosquée. Même les femmes, jeunes et vieilles ne doivent pas rester dans les maisons, ce qui ne se fait pas au Sénégal. Cependant cela ne doit pas nous faire oublier que l’Islam est axé sur ce qu’on appelle le « taqwaa ». C’est-à-dire respecter en toute chose les recommandations et les interdits. Aujourd’hui, la fête a atteint une certaine dimension au point que les gens exagèrent. L’ambiance festive et nos coutumes non fondées jettent aux oubliettes le vrai sens de la tabaski.

Quelles sont ces coutumes mêlées à la religion qui pervertissent selon vous le fondement de la tabaski ?


Elles sont nombreuses et la plus en vue reste le partage de la viande qu’on fait et qui est devenu une réalité alors que le coran ne l’a pas enseigné. Par exemple c’est maintenant ancré dans nos habitudes de prendre chaque partie du mouton qu’on attribue à un parent sans pour autant savoir qu’il est interdit même de donner de l’aumône pour cette viande. La seule recommandation est d’en offrir ou d’en manger. Il y a aussi ce phénomène qui consiste à laisser les enfants aller demander des étrennes. Cela peut éveiller en eux des comportements de quémandeurs, et c’est impossible de combattre des fléaux comme la pédophilie, les agressions, l’insécurité. Cependant la traditionnelle visite de courtoisie reste une coutume qui va de pair avec la religion et est saluée par Dieu car même si le pardon parait simple à nos yeux, il est plein de sens aux yeux du Créateur.

Mamadou Sakhir Ndiaye (Stagiaire)

Lundi 15 Novembre 2010 03:01


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