Depuis 6 heures du matin (heure de Paris), la famille Moulin-Fournier foule donc le sol français. Les sept ex-otages, retenus pendant deux mois au Nigeria, ont été rapatriés ce samedi 20 avril à bord d'un Falcon, l’avion du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, venu les chercher lui-même à Yaoundé, au Cameroun.
Ce samedi, à la sortie de l’appareil, sur le tapis rouge du tarmac (aéroport d'Orly), une dizaine d’autres membres de la famille attendaient les leurs. Mais aussi François Hollande. Ambiance de retrouvailles, de soulagement, puis direction le pavillon d’honneur pour les adultes, des couvertures sur les épaules, dépliées pour protéger du froid les ex-otages, affaiblis physiquement.
La famille Moulin-Fournier, trois adultes et quatre jeunes garçons âgés de 5 à 12 ans, avait été enlevée le 19 février tout au nord du Cameroun, près de la frontière nigériane, alors qu’elle était en vacances dans le parc national de Waza. Les sept Français avaient ensuite été acheminés par leurs ravisseurs (qui se réclamaient de la secte Boko Haram) jusqu’au Nigeria.
« La femme de l'ambassadeur nous a fait des frites ! »Avec 14 kg en moins, le père de famille, Tanguy, employé de GDF-Suez à Yaoundé, où il résidait depuis 2011 avec sa femme et ses enfants -son frère les ayant rejoints pour les vacances-, a fait part de sa souffrance, due au fait d’être coupé du monde pendant deux mois, à la merci de geôliers visiblement énervés. Il estime néanmoins que sa famille a été bien traitée.
« Pendant 60 jours, on a été en black out total, et ce n’est qu’hier que j’ai appris la chaine de solidarité qui a eu lieu en France, relate M. Moulin-Fournier. Comme je le disais au président de la République, c’est très beau de savoir que la France peut se réunir comme ça, qu’il y a eu ce moment d’émotion. Donc je suis très heureux. Voilà ! On est de retour en France ! C’est un grand moment. Après, on retournera également au Cameroun, qui est un très beau pays où on se plait beaucoup. Je voulais simplement dire merci, pour tout ce qu’il s’est passé. On s’en est sortis ! »
Et le désormais ex-otage de confier : « Le désir des enfants a été exaucé à midi (vendredi), grâce à la femme de monsieur l'ambassadeur qui a fait des frites. Cela fait deux mois qu'on en rêvait. »
« C'est la vie qui a gagné »
Le chef de l’Etat a lui aussi pris la parole : « C’est avec beaucoup d’émotion que je reçois la famille Moulin-Fournier. A la fois celle qui a été capturée, prise en otage ; et celle qui l’attendait aujourd’hui. Famille réunie, famille heureuse… mais c’est aussi la famille de la France qui est à la fois soulagée, émue et en même temps admirative de ce que cette famille a pu éprouver. »
Concernant le processus de libération, François Hollande insiste sur le fait que « les autorités françaises ont fait leur devoir, dans la discrétion ». « Une fois encore, je veux remercier aussi bien le Cameroun que le Nigeria qui ont multiplié les contacts et permis cette libération, ajoute-t-il. Une pensée particulière pour le président Biya qui, dans ces derniers jours, a eu un rôle important. »
En somme, pour le président français, « c’est la vie qui a gagné ». Mais quelques questions restent en suspens : y a-t-il eu versement de rançon ? Et Boko Haram a-t-il obtenu gain de cause en obtenant la remise en liberté de certains de ses membres au Cameroun et au Nigeria ?
Dénouement « rocambolesque »
Pour Roland Jacquard, président de l'Observatoire international du terrorisme, la France a largement délégué les négociations et les contacts au Cameroun et au Nigeria dans cette affaire. Le tout pour éviter d'apparaitre en première ligne, autant que faire se peut.
Mais des informations tombent désormais, au compte-gouttes. Des sources concordantes indiquent par exemple que les otages ont été retenus dans la forêt de Sambisa, située à 80 km au sud de Maiduguri, la capitale l’Etat de Borno dans l’extrême nord-est du Nigeria. La famille y aurait été retenue le plus souvent en deux groupes distants : la mère et les quatre enfants d’un côté, le père et l’oncle de l’autre. Cette version corrobore les informations livrées par les autorités françaises au lendemain de l’enlèvement.
En revanche, les mêmes sources évoquent une libération « rocambolesque », sans plus de précision. Elles indiquent que les contacts tissés par les autorités camerounaises ont joué un grand rôle dans cette affaire.
Crispation chez les Nigérians
Ces sources indiquent que la libération de membres de la secte islamiste Boko Haram emprisonnés au Cameroun a permis le dénouement. Mais elles n'excluent pas pour autant le versement d’une rançon. Alors, dans ce cas-là, qui l'a versé et quel a été son montant ? Impossible de le savoir.
Le rôle joué les autorités camerounaises explique peut-être la crispation côté nigérian. Depuis l’annonce de la libération des sept Français ce vendredi matin, les sources sécuritaires nigérianes n’ont pas souhaité s’exprimer sur ce dossier.
En Afrique, au moins sept Français restent retenus en otages. Six de ces rapts ont été revendiqués par al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
« Je ne revivrais pas cela pour un empire, à ceci près que cela m’a donné l’occasion de mieux vous connaître », a-t-il déclaré au président Biya lors d'une réception donnée au palais présidentiel vendredi soir.
Quel rôle a véritablement joué Yaoundé dans cette libération ? Aucun détail ne fuite sur l’exfiltration des sept Français. Mais il semble, de sources concordantes, que les Camerounais ont, pour l’essentiel, conduit ces négociations. C’est le corps d’élite de l’armée camerounaise, le BIR (Bataillon d'intervention rapide), qui a exfiltré les otages et les a ramenés sains et saufs dans la capitale.
Des sources nuancent toutefois cette version des faits, et expliquent que les islamistes de Boko Haram auraient refusé de traiter avec le Nigeria pour remettre les otages, laissant la part belle au Cameroun. Quoi qu'il en soit, Yaoundé récolte aujourd'hui les fruits d'une opération réussie.