À première vue, la petite salle, saturée d’encens, ressemble à toute antre de marabout : masques africains poussiéreux, bocaux remplis de poudres ocres et noires, pattes de chèvre… Mais sur une table à côté du sorcier, trône un vieux chat en peluche.
« C’est ma spécialité, explique le docteur Manyaunyau. Je tue les chats, et suce leur sang pendant mes rituels. J’entends alors une voix dans ma tête qui me guide. Mon grand-père m’a tout appris, et m’avait dit d’abandonner cette pratique au bout de 15 ans, donc j’ai décidé d’arrêter. »
Même si le docteur Manyaunyau (surnom tiré du miaulement du chat) vient de tirer un trait sur sa marque de fabrique, la clientèle ne désemplit pas, assure-t-il. Et depuis le début de la campagne pour les élections générales du 25 octobre (municipales, législatives et présidentielle à un tour), l’œil de verre du chat en peluche voit défiler des clients encore plus discrets qu’à l’accoutumée : des hommes politiques. Un business florissant pour cet ancien acteur et propriétaire d’une compagnie de bus.
Assurer son succès politique
« Ils viennent pour assurer leur victoire, ou leur succès devant le public pendant un discours. Les gros candidats, ceux qui veulent devenir députés ou même président, m’envoient leur assistant. J’arrange un rendez-vous avec eux dans un endroit caché, pour garantir leur anonymat. »
Le marabout refuse de les nommer, difficile donc de vérifier ses dires. Mais l’homme l’affirme, tout en versant une goutte d’huile de poisson dans de la cendre, un politique très haut placé lui aurait offert sa maison, un autre sa voiture.
La sorcellerie au cœur du pouvoir
Une pratique dangereuse, en particulier pour les albinos
« Ça ne peut pas être moi ! » déclare dans un éclat de rire Mathias Chikawe. En juin dernier, le ministre de l’Intérieur tanzanien a lancé un avertissement aux responsables politiques : pendant la campagne électorale, interdiction d’avoir recours à la sorcellerie.
« Je connais personnellement des hommes politiques, mais aussi des hommes d’affaires, qui vont voir des marabouts pour assurer leur succès. Mais c’est une pratique inefficace et dangereuse, qu’il faut stopper. »
Une pratique dangereuse pour une communauté en particulier : les albinos. Cette maladie génétique qui affecte la peau, entre autres, toucherait un Tanzanien sur 1 400, selon une étude de la revue MBC Public Health publiée en 2006.
Difficile de connaître précisément le nombre d’attaques dont les albinos sont victimes, mais le chiffre ne fait qu’augmenter, assure la directrice d’une association de défense des albinos
En Tanzanie, les albinos sont souvent enlevés, mutilés, tués, en proie à des croyances qui attribuent des pouvoirs magiques à leurs organes. Au moins 76 albinos auraient été tués depuis 2000, selon plusieurs associations. Difficile de connaître précisément le nombre d’attaques dont ils sont victimes, mais le chiffre ne fait qu’augmenter, assure la directrice d’Under the same sun (Sous le même soleil), une association de défense des albinos.
Notre dossier : Crimes rituels, sur l’autel de la puissance
« En mai dernier, une dame de 40 ans, dans le nord de la Tanzanie, a été attaquée. En mars, c’était au tour d’un petit garçon dont les membres ont été coupés. Cette année, qui est une année d’élection, un albinos a été enlevé et tué, mais il y a eu aussi des attaques l’année dernière, quand nous avons eu des élections locales, décompte Vicky Ntetema. Il y a clairement un lien entre les attaques de personnes atteintes d’albinisme et les élections. Il faut que les politiques nous disent clairement comment ils comptent arrêter ces atrocités, comment ils comptent aider les albinos du point de vue de l’éducation et de la santé, mais ça, personne n’en parle. »
Tobie Nathan : « L’existence des enfants sorciers est un phénomène moderne assez récent »
Arrestations de sorciers
Le ministre de l’intérieur ne se fait pas d’illusions. En triturant son stylo, il égrène toutes les mesures faites pour lutter contre la sorcellerie : loi de 1928 qui punit ces pratiques, une interdiction du gouvernement en janvier, arrestations d’environ deux cents sorciers cette année, avertissements… Rien n’y fait.
« C’est très difficile d’endiguer ce phénomène, parce que c’est une croyance, profondément ancrée. Il faut que les personnes qui vont voir les sorciers, les politiques mais aussi les hommes d’affaires, comprennent qu’elles ne peuvent pas gagner avec des grigris, mais seulement grâce à leur travail et leur intelligence. C’est toute une éducation à refaire. »
La tâche semble immense. Selon une étude de 2010 du Pew Research Center, un centre de recherche américain, plus d’un Tanzanien sur deux croit en la sorcellerie : avec cette donnée, le pays s’élève au premier rang des 19 pays africains interrogés.
« Je n’irai pas voir de sorcier pour que mon candidat gagne, confie un jeune homme, l’écharpe de son parti favori enroulée autour du cou. Mais même si je le faisais, je ne vous le dirai pas, c’est tabou ici, et mal vu. »
Docteur Manyaunyau, lui, assure déjà connaître le nom du futur président tanzanien. Mais l’homme de 34 ans refuse de citer le vainqueur, car tous les principaux partis seraient venus le voir. « C’est Dieu qui décide ! » déclame-t-il, en allumant sa télé. Un énorme écran plat.
Source : Jeune Afrique
« C’est ma spécialité, explique le docteur Manyaunyau. Je tue les chats, et suce leur sang pendant mes rituels. J’entends alors une voix dans ma tête qui me guide. Mon grand-père m’a tout appris, et m’avait dit d’abandonner cette pratique au bout de 15 ans, donc j’ai décidé d’arrêter. »
Même si le docteur Manyaunyau (surnom tiré du miaulement du chat) vient de tirer un trait sur sa marque de fabrique, la clientèle ne désemplit pas, assure-t-il. Et depuis le début de la campagne pour les élections générales du 25 octobre (municipales, législatives et présidentielle à un tour), l’œil de verre du chat en peluche voit défiler des clients encore plus discrets qu’à l’accoutumée : des hommes politiques. Un business florissant pour cet ancien acteur et propriétaire d’une compagnie de bus.
Assurer son succès politique
« Ils viennent pour assurer leur victoire, ou leur succès devant le public pendant un discours. Les gros candidats, ceux qui veulent devenir députés ou même président, m’envoient leur assistant. J’arrange un rendez-vous avec eux dans un endroit caché, pour garantir leur anonymat. »
Le marabout refuse de les nommer, difficile donc de vérifier ses dires. Mais l’homme l’affirme, tout en versant une goutte d’huile de poisson dans de la cendre, un politique très haut placé lui aurait offert sa maison, un autre sa voiture.
La sorcellerie au cœur du pouvoir
Une pratique dangereuse, en particulier pour les albinos
« Ça ne peut pas être moi ! » déclare dans un éclat de rire Mathias Chikawe. En juin dernier, le ministre de l’Intérieur tanzanien a lancé un avertissement aux responsables politiques : pendant la campagne électorale, interdiction d’avoir recours à la sorcellerie.
« Je connais personnellement des hommes politiques, mais aussi des hommes d’affaires, qui vont voir des marabouts pour assurer leur succès. Mais c’est une pratique inefficace et dangereuse, qu’il faut stopper. »
Une pratique dangereuse pour une communauté en particulier : les albinos. Cette maladie génétique qui affecte la peau, entre autres, toucherait un Tanzanien sur 1 400, selon une étude de la revue MBC Public Health publiée en 2006.
Difficile de connaître précisément le nombre d’attaques dont les albinos sont victimes, mais le chiffre ne fait qu’augmenter, assure la directrice d’une association de défense des albinos
En Tanzanie, les albinos sont souvent enlevés, mutilés, tués, en proie à des croyances qui attribuent des pouvoirs magiques à leurs organes. Au moins 76 albinos auraient été tués depuis 2000, selon plusieurs associations. Difficile de connaître précisément le nombre d’attaques dont ils sont victimes, mais le chiffre ne fait qu’augmenter, assure la directrice d’Under the same sun (Sous le même soleil), une association de défense des albinos.
Notre dossier : Crimes rituels, sur l’autel de la puissance
« En mai dernier, une dame de 40 ans, dans le nord de la Tanzanie, a été attaquée. En mars, c’était au tour d’un petit garçon dont les membres ont été coupés. Cette année, qui est une année d’élection, un albinos a été enlevé et tué, mais il y a eu aussi des attaques l’année dernière, quand nous avons eu des élections locales, décompte Vicky Ntetema. Il y a clairement un lien entre les attaques de personnes atteintes d’albinisme et les élections. Il faut que les politiques nous disent clairement comment ils comptent arrêter ces atrocités, comment ils comptent aider les albinos du point de vue de l’éducation et de la santé, mais ça, personne n’en parle. »
Tobie Nathan : « L’existence des enfants sorciers est un phénomène moderne assez récent »
Arrestations de sorciers
Le ministre de l’intérieur ne se fait pas d’illusions. En triturant son stylo, il égrène toutes les mesures faites pour lutter contre la sorcellerie : loi de 1928 qui punit ces pratiques, une interdiction du gouvernement en janvier, arrestations d’environ deux cents sorciers cette année, avertissements… Rien n’y fait.
« C’est très difficile d’endiguer ce phénomène, parce que c’est une croyance, profondément ancrée. Il faut que les personnes qui vont voir les sorciers, les politiques mais aussi les hommes d’affaires, comprennent qu’elles ne peuvent pas gagner avec des grigris, mais seulement grâce à leur travail et leur intelligence. C’est toute une éducation à refaire. »
La tâche semble immense. Selon une étude de 2010 du Pew Research Center, un centre de recherche américain, plus d’un Tanzanien sur deux croit en la sorcellerie : avec cette donnée, le pays s’élève au premier rang des 19 pays africains interrogés.
« Je n’irai pas voir de sorcier pour que mon candidat gagne, confie un jeune homme, l’écharpe de son parti favori enroulée autour du cou. Mais même si je le faisais, je ne vous le dirai pas, c’est tabou ici, et mal vu. »
Docteur Manyaunyau, lui, assure déjà connaître le nom du futur président tanzanien. Mais l’homme de 34 ans refuse de citer le vainqueur, car tous les principaux partis seraient venus le voir. « C’est Dieu qui décide ! » déclame-t-il, en allumant sa télé. Un énorme écran plat.
Source : Jeune Afrique