Dora Bouchoucha : Tout d’abord, j’ai adoré le film pour sa qualité cinématographique et artistique. En plus, vu la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui, le monde arabe et toute la région, le film prend un autre sens.
C’est un film qui pose la question des jihadistes et des enjeux de la liberté.
Oui et Abderrahmane Sissako traite ce thème d’une manière très intelligente et très juste. Donc, c’est devenu un film emblématique, même si je n’avais pas pensé à cela au début.
C’est la 25e édition des JCC et cela représente presque 50 ans d’histoire cinématographique. Quel rôle le festival a-t-il joué pour le cinéma, mais aussi dans l’histoire politique récente de la révolution en Tunisie ?
Les JCC, c’est le festival le plus ancien du continent africain et du monde arabe. Quand il a été fondé en 1966, c’était aussi pour faire avancer la législation du cinéma, pas seulement en Tunisie, mais aussi dans les pays avoisinants et dans les pays subsahariens. Ce festival a révélé de grands noms du cinéma arabe et du cinéma africain comme Ousmane Sembène, Djibril Diop Mambéty, Youssef Chahine, Nouri Bouzid… La liste est très longue. Carthage a une signification particulière pour eux et tous les autres festivals ne valent pas Carthage. Pourquoi ? Parce qu’il y a un public extraordinaire. C’est ce public qui, aujourd’hui, a créé notre société civile. Notre société civile a été nourrie aux JCC avec la qualité des films, des débats et des rencontres. iTout cela a fat que la Tunisie a une particularité dans le sens où nous sommes ouverts sur le monde. Nous avons un public qui est très ouvert et très cinéphile et qui a fait que la société civile a fait ce qu’elle a fait pour le passage transitionnel démocratique dans lequel le pays se trouve aujourd’hui et qui s’est fait d’une manière assez exemplaire quand on voit ce qui se passe dans le reste de la région.
Aujourd’hui, il y a de plus en plus de festivals cinématographiques dans le monde, mais aussi en Afrique. En quoi, aujourd’hui, le rôle du festival a-t-il changé ?
Nous avons toujours dit que Carthage ne peut pas vivre sur le prestige et l’ancienneté. Il y a plus d'un festival par jour aujourd’hui rien que dans le monde arabe où Carthage était longtemps le seul festival, et en Afrique il n'y avait que le Fespaco au Burkina Faso. Aujourd’hui, vous avez le festival à Marrakech qui commence le 5 décembre, Abou Dhabi commence juste après, il y a Le Caire et tant d’autres, et eux, ils sont annuels. C’est pour cela que nous sommes très contents que, dès 2014, le festival devienne annuel et il y aura un bureau permanent pour travailler toute l’année.
Dans la compétition officielle, parmi les 15 longs métrages sélectionnés, il y a un seul film tunisien, Bidoun 2, de Jilani Saadi qui montre la Tunisie en pleine ébullition pendant la rédaction de sa nouvelle Constitution. Quelle est aujourd’hui la situation du cinéma tunisien ?
Le cinéma tunisien va bien. La Tunisie produit environ cinq à six films par an. L’année dernière, il y avait de très bons films comme Bastardo de Néjib Belkadhi qui a eu beaucoup de prix ou Le Challat de Tunis de Kaouther Ben Henia qui sillonne le monde ou Nessma de Homeida El Behi. C’est vrai, cette année, il y a un seul long métrage tunisien en compétition, mais le jury de sélection a visionné 102 films et, toutes catégories confondues, a sélectionné 42 films tunisiens dont deux en compétition dans la catégorie des courts métrages. Etant productrice moi-même, je n’ai pas voulu intervenir sur les films tunisiens et je n’ai pas soumis les films que j’ai produits. Cela pénalise les réalisateurs que je produis, mais éthiquement je trouvais cela plus juste.
Quelles subventions existent-ils en Tunisie pour le cinéma ?
Quand un film tunisien est sélectionné, il obtient 500 000 dinars, environ 250 000 euros, de la part du ministère et du CNC tunisien. Ce n’est pas mal. Et c’est aux producteurs de trouver le reste. Mais on ne peut pas se limiter à ce que donne le ministère ou le CNC.
Dans la compétition des longs métrages, il y a des films sud-africains, algériens, burkinabè, égyptiens, kenyans, marocains, nigérians, sénégalais et tunisiens. Qu’est-ce que cela révèle sur l’état actuel du cinéma arabe et africain ?
Quand on visionne les films, on visionne tout et notre premier critère est la qualité intrinsèque et cinématographique du film. Les pays qui ont envoyé le plus de films, ce sont l’Égypte, l’Algérie, l’Afrique du Sud aussi, ce sont des pays qui produisent beaucoup. Mais c’est en fonction de la qualité de film qu’on avance, et non pas en fonction de la nationalité d’un film.