D’abord, il y a ce que l’on pourrait appeler le décor standard du deuil national : programmes télévisés modifiés ou supprimés, toutes les festivités annulées, des concerts reportés ou également annulés. Ensuite, il y a la situation sur le lieu du drame. D’un côté, les familles qui s’accrochent encore aux derniers espoirs de voir leurs proches retirés vivants de galeries souterraines touchées par la catastrophe, où celles qui se résignent à attendre que le nom de leur père, fils, mari, frère, oncle ou cousin apparaisse sur la liste de mineurs décédés.
De l’autre côté, les familles qui avaient déjà été informées de la mort de leurs proches et qui ont commencé ce jeudi matin à retirer leurs corps entreposés dans une morgue improvisée à quelques kilomètres de Soma. Des obsèques et des prières ont été organisées déjà en milieu de journée pour des dizaines de victimes du drame.
Ambiance très particulière
A lui seul, le nombre de ces enterrements simultanés contribue à créer une ambiance très particulière : un mélange de tristesse, de désespoir et de colère. C’est surtout cette dernière qui est à l’origine de la troisième composante de la lourde atmosphère qui pèse sur le pays. Il s’agit de violentes manifestations contre le gouvernement.
Le Premier ministre lui-même, venu à Soma, a été vivement chahuté par des dizaines d’habitants. Ailleurs, 20 000 personnes ont manifesté à Izmir, et des milliers d’autres dans plusieurs autres villes turques, provoquant parfois des interventions musclées de la police. On pourrait se demander pourquoi cette colère-là se dirige-t-elle particulièrement contre le pouvoir en place. Les raisons de catastrophes minières ne sont pas forcément attribuables aux facteurs politiques, mais plutôt à ceux d’ordre technique, environnemental ou économique.
Mais les protestataires accusent le gouvernement d’avoir fortement contribué à la création des conditions qui ont mené à la catastrophe. Ils reprochent aux autorités leurs liens étroits avec les magnats de l’industrie minière, leur incapacité à assurer le respect des normes de sécurité, leurs difficultés à communiquer sur les opérations de secours. Surtout, on reproche au Premier ministre Recep Tayyip Erdogan d’avoir ignoré des avertissements répétés sur l’insécurité dans les mines de la Turquie. Il y a seulement trois semaines, le parti au pouvoir, l’AKP, a torpillé au Parlement l’initiative des trois partis d’opposition de former une commission pour faire un état des lieux sur la sécurité des mines turques. Et au lendemain de la catastrophe de Soma, Erdogan a balayé toutes les accusations en déclarant que « des explosions dans les mines comme celle-là se produisaient tout le temps » partout dans le monde.
Calendrier politique défavorable
Ce qui complique la situation d'Erdogan, c’est que le calendrier politique ne lui est pas favorable. Les manifestations reprennent à deux semaines seulement de la date anniversaire des premières manifestations de la place Taksim, à Istanbul ; manifestations qui s’étaient transformées en une contestation inédite contre le gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan.
Le Premier ministre a l’intention de briguer la présidence en août prochain. Dans le contexte actuel, cet objectif risque de devenir difficile à atteindre, vu que sa mauvaise gestion de la catastrophe touche avant tout la classe ouvrière turque. Celle-ci est traditionnellement conservatrice et constitue une part importante de son électorat. Or, face aux événements en cours, elle risque de tirer la conclusion, désastreuse pour le Premier ministre, qu’il est de plus en plus éloigné des préoccupations de la population.
Source : Rfi.fr