Dessin de Mark A. Klingler représentant des "ganlea megacanina". (Dessin: AP)
Pour le béotien, la preuve peut sembler ténue : elle ne tient qu'à la forme d'une canine. Mais, pour les auteurs de la découverte, c'est un indice qui ne trompe pas. Il montre que Ganlea megacanina, qui devait avoir l'aspect d'un petit singe arboricole d'environ trois kilos, "disposait d'une dentition adaptée pour percer la coque, dure, de certains fruits tropicaux afin d'en consommer le coeur", explique Jean-Jacques Jaeger (université de Poitiers), coauteur de la découverte. Or le développement de ces grandes canines est l'une des plus anciennes caractéristiques acquises par ceux des primates qui évolueront vers le genre Homo.
Il faut savoir que l'ordre des primates se divise schématiquement en deux grandes catégories : les strepsirrhiniens et les anthropoïdés. Les principaux représentants du premier embranchement sont les lémuriens actuels qui, parmi les primates, présentent les traits les plus archaïques. Quant aux anthropoïdés, ils regroupent notamment les singes, les hominoïdes (gorilles, orangs-outangs, chimpanzés) et les hommes. Or les lémuriens actuels ne disposent pas de ces grandes canines ; celles-ci sont l'apanage des anthropoïdés.
Découvrir en Asie un primate pourvu de cette dentition au cours de l'Eocène supérieur (il y a 37 millions à 33 millions d'années) suggère, du coup, l'origine asiatique des anthropoïdés. "Voilà encore une douzaine d'années, il était impensable pour la majorité des paléontologues que cette origine puisse se trouver ailleurs qu'en Afrique", dit Jean-Jacques Jaeger. Les découvertes d'anthropoïdés au Fayoum, en Egypte, réalisées par le paléontologue américain Elwyn Simons, semblaient enraciner les anthropoïdés en Afrique. Avec, là aussi, des fossiles très anciens, remontant à 36 millions à 37 millions d'années. Mais, depuis une douzaine d'années, de nombreux spécimens d'Amphipithecidæ - membres de la même famille que Ganlea megacanina - ont été découverts en Birmanie, en Thaïlande et au Pakistan.
Inclure les Amphipithecidæ dans les anthropoïdés pose donc question : les singes et les hommes viennent-ils d'Afrique ou d'Asie ? Les canines de megacanina ne tranchent pas la question. Le paléontologue Marc Godinot (Muséum national d'histoire naturelle) dit ainsi accueillir ces travaux et leurs conclusions avec "beaucoup de scepticisme". Selon certains chercheurs, les spécimens retrouvés en Asie pourraient en effet n'être que les représentants d'une famille éteinte dont les traits auraient été similaires à ceux développés en Afrique par les anthropoïdés. Tandis que ceux-ci se seraient développés sur le continent africain, d'autres primates, confrontés en Asie à un environnement similaire, auraient acquis des caractéristiques morphologiques identiques, avant de s'éteindre sans descendance, selon un phénomène de "convergence" de deux processus évolutifs.
"Il faut se méfier des conclusions tirées de l'analyse des caractères dentaires, prévient Marc Godinot. En effet, les lémuriens actuels ne disposent pas de grandes canines, mais certains adapiformes (primates n'appartenant pas aux anthropoïdés) ont, malgré tout, des dents un peu comparables, quand bien même elles ne sont pas aussi importantes..."
Tout, dans cette affaire, ne se résume pas à une simple canine. Sur l'ensemble des spécimens apparentés à Ganlea megacanina, d'autres caractères comme l'astragale ou les incisives spatulées semblent les rattacher aux anthropoïdés. "On peut avoir de la convergence sur un trait adaptatif, mais avoir de la convergence sur plusieurs caractéristiques devient très improbable", explique M. Jaeger. Mais, pour M. Godinot, aucun des traits décrits chez Ganlea megacanina et ses cousins asiatiques ne suffit à les placer de manière certaine d'un côté ou de l'autre de l'embranchement : du côté des singes et des hommes, ou du côté des lémuriens...
La même question s'est récemment posée avec la médiatisation d'"Ida", un fossile de primate découvert en Allemagne et vieux de plus de 45 millions d'années, qui s'est avéré ne pas appartenir aux anthropoïdés, mais à une lignée de primates européens éteinte il y a environ 30 millions d'années. Comment éteindre le débat ? En découvrant d'autres fossiles. "C'est sur les caractères de l'oreille moyenne et ceux de la fermeture post-orbitaire que sont reconnus sans ambiguïté les anthropoïdés", assure Marc Godinot.
Derrière ces discussions sur l'origine géographique des hommes et des singes apparaît, en filigrane, le débat sur le rôle de l'Asie dans l'ensemble des mécanismes évolutifs qui ont mené au genre Homo. Le consensus qui prévaut aujourd'hui est que son évolution tardive s'est faite en Afrique. Mais de nombreuses questions demeurent ouvertes sur les époques les plus hautes. "L'origine des ancêtres de Toumaï (Sahelanthropus tchadensis, vieux de quelque 7 millions d'années et découvert au Tchad en 2001) est aujourd'hui inconnue, dit ainsi Jean-Jacques Jaeger. On ne lui trouve pas d'ancêtres en Afrique. Et il n'est pas exclu que ceux-ci puissent avoir été originaires d'Asie."
Source: Le Monde
Il faut savoir que l'ordre des primates se divise schématiquement en deux grandes catégories : les strepsirrhiniens et les anthropoïdés. Les principaux représentants du premier embranchement sont les lémuriens actuels qui, parmi les primates, présentent les traits les plus archaïques. Quant aux anthropoïdés, ils regroupent notamment les singes, les hominoïdes (gorilles, orangs-outangs, chimpanzés) et les hommes. Or les lémuriens actuels ne disposent pas de ces grandes canines ; celles-ci sont l'apanage des anthropoïdés.
Découvrir en Asie un primate pourvu de cette dentition au cours de l'Eocène supérieur (il y a 37 millions à 33 millions d'années) suggère, du coup, l'origine asiatique des anthropoïdés. "Voilà encore une douzaine d'années, il était impensable pour la majorité des paléontologues que cette origine puisse se trouver ailleurs qu'en Afrique", dit Jean-Jacques Jaeger. Les découvertes d'anthropoïdés au Fayoum, en Egypte, réalisées par le paléontologue américain Elwyn Simons, semblaient enraciner les anthropoïdés en Afrique. Avec, là aussi, des fossiles très anciens, remontant à 36 millions à 37 millions d'années. Mais, depuis une douzaine d'années, de nombreux spécimens d'Amphipithecidæ - membres de la même famille que Ganlea megacanina - ont été découverts en Birmanie, en Thaïlande et au Pakistan.
Inclure les Amphipithecidæ dans les anthropoïdés pose donc question : les singes et les hommes viennent-ils d'Afrique ou d'Asie ? Les canines de megacanina ne tranchent pas la question. Le paléontologue Marc Godinot (Muséum national d'histoire naturelle) dit ainsi accueillir ces travaux et leurs conclusions avec "beaucoup de scepticisme". Selon certains chercheurs, les spécimens retrouvés en Asie pourraient en effet n'être que les représentants d'une famille éteinte dont les traits auraient été similaires à ceux développés en Afrique par les anthropoïdés. Tandis que ceux-ci se seraient développés sur le continent africain, d'autres primates, confrontés en Asie à un environnement similaire, auraient acquis des caractéristiques morphologiques identiques, avant de s'éteindre sans descendance, selon un phénomène de "convergence" de deux processus évolutifs.
"Il faut se méfier des conclusions tirées de l'analyse des caractères dentaires, prévient Marc Godinot. En effet, les lémuriens actuels ne disposent pas de grandes canines, mais certains adapiformes (primates n'appartenant pas aux anthropoïdés) ont, malgré tout, des dents un peu comparables, quand bien même elles ne sont pas aussi importantes..."
Tout, dans cette affaire, ne se résume pas à une simple canine. Sur l'ensemble des spécimens apparentés à Ganlea megacanina, d'autres caractères comme l'astragale ou les incisives spatulées semblent les rattacher aux anthropoïdés. "On peut avoir de la convergence sur un trait adaptatif, mais avoir de la convergence sur plusieurs caractéristiques devient très improbable", explique M. Jaeger. Mais, pour M. Godinot, aucun des traits décrits chez Ganlea megacanina et ses cousins asiatiques ne suffit à les placer de manière certaine d'un côté ou de l'autre de l'embranchement : du côté des singes et des hommes, ou du côté des lémuriens...
La même question s'est récemment posée avec la médiatisation d'"Ida", un fossile de primate découvert en Allemagne et vieux de plus de 45 millions d'années, qui s'est avéré ne pas appartenir aux anthropoïdés, mais à une lignée de primates européens éteinte il y a environ 30 millions d'années. Comment éteindre le débat ? En découvrant d'autres fossiles. "C'est sur les caractères de l'oreille moyenne et ceux de la fermeture post-orbitaire que sont reconnus sans ambiguïté les anthropoïdés", assure Marc Godinot.
Derrière ces discussions sur l'origine géographique des hommes et des singes apparaît, en filigrane, le débat sur le rôle de l'Asie dans l'ensemble des mécanismes évolutifs qui ont mené au genre Homo. Le consensus qui prévaut aujourd'hui est que son évolution tardive s'est faite en Afrique. Mais de nombreuses questions demeurent ouvertes sur les époques les plus hautes. "L'origine des ancêtres de Toumaï (Sahelanthropus tchadensis, vieux de quelque 7 millions d'années et découvert au Tchad en 2001) est aujourd'hui inconnue, dit ainsi Jean-Jacques Jaeger. On ne lui trouve pas d'ancêtres en Afrique. Et il n'est pas exclu que ceux-ci puissent avoir été originaires d'Asie."
Source: Le Monde