Une presse pusillanime





Le Quotidien nous a appris que le khalife général des mourides a été hospitalisé suite à une intoxication alimentaire. Une nouvelle malheureuse et regrettable qui pourrait toutefois s’abattre sur n’importe quel être humain qui se soumet quotidiennement au besoin alimentaire qu’est l’alimentation. On lui souhaite un prompt rétablissement. Ce qui, en revanche, paraît saugrenu et incompréhensible est l’omerta qui entoure cette maladie. D’ailleurs, le porte-parole du khalife s’est même offusqué, dans sa déclaration du dimanche, qu’un journal privé porte à la connaissance des Sénégalais l’alitement du guide religieux. Ainsi, pour la quasi totalité des médias, c’est motus et bouche cousue sur cette affaire. Cette autocensure de la presse si encline à crier à la liberté d’expression cache, à mon avis, un mal sénégalais plus profond : le culte extrême de la personnalité au détriment des principes élémentaires d’un Etat aspirant à la démocratie et où les hommes seront égaux en droits et en devoirs.
Ainsi, le mutisme des journalistes s’explique moins par un besoin de protéger la vie privée du marabout que d’éviter d’encourir les éventuelles représailles de talibés mécontents et soi-disant zélés. Et la question qui me taraude l’esprit est de savoir en quoi la divulgation d’une information relative à un état de santé défaillant d’un khalife devrait-elle être sensible voire dangereuse pour un pays ? Comment parler de liberté de la presse et d’exercice effectif de la profession journalistique si parler d’un guide religieux au Sénégal - à moins que cela soit dans des termes élogieux - revient à mettre sa vie en danger ? Lorsqu’il s’agit d’une information erronée ou pouvant entraîner des conséquences dramatiques dans la stabilité d’un pays, il est clair qu’il vaut mieux la garder. Cependant, s’agissant d’une nouvelle qui ne pourrait que nous attrister et où un esprit normal ne songerait qu’à formuler des prières, on se demande ce qui pose vraiment problème dans sa diffusion, surtout que le lieu d’internement du malade est bien tenu secret.
Et pourtant, nous jugeons normal que des personnalités publiques, quoiqu’elles remplissent des missions dont la portée a un impact quotidien et immédiat sur l’ensemble des Sénégalais, puissent être insultées, diffamées, outragées et traînées dans la boue par cette même presse. Celle-ci ne pipe pas un mot ou observe avec complaisance l’attitude mercantiliste de certains marabouts et leur compagnonnage intéressé avec ces mêmes leaders politiques que l’on traite sans management de tous les noms d’oiseaux. On se croirait dans l’univers d’une fatwa où tout journaliste qui parle d’un marabout, même si c’est de façon objective et impartiale, risque d’être guillotiné. Dans quelle époque vivons-nous ? Les images récentes montrant une jeune fille en pleurs suite aux sévices sexuels d’un marabout, paraît-il célèbre, illustrent avec éloquence le climat presque de terreur dans lequel vit la presse. En plus de taire le nom de ce criminel belliqueux et pervers, personne n’est monté au créneau pour dénoncer ce scandale humain. Aucune entité civile ou formation politique n’a essayé de faire quelque chose pour sauver cette pauvre dame et participer à l’éclatement de la vérité, car on a encore peur de s’attirer les foudres de quelques supposés fanatiques ou de perdre la sympathie de futurs électeurs. Jusqu’à quand devrons-nous continuer à vivre cette inquisition confrérique des temps modernes ?
Il faut dire en réalité que nous souhaitons vivre pleinement dans des Etats démocratiques tout en refusant de consentir la part de sacrifices que cela exige. Nous voulons en effet garder l’œil droit grand ouvert sur la marche et l’évolution du monde civilisé et enfermer celui de la gauche avec l’œillère de nos réalités socioculturelles. Je me demande même si la démocratie est réellement compatible avec la structure sociétale de notre pays.



Lamine NIANG / nianlamine@hotmail.com

Vendredi 14 Mai 2010 15:35


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