Premier ministre Canadien, Stephen-Harper
(De Montréal) Revenons au 14 octobre dernier. Les électeurs ont donné un second mandat consécutif au Premier ministre Stephen Harper. Si le Parti conservateur a glané quelques sièges de plus, la majorité lui a encore échappé, de douze sièges (143 sur 308).
Un scrutin plus tard, les députés sont donc revenus à la Chambre des communes. Jeudi 27 novembre, le ministre des Finances a présenté une "mise à jour économique" censée aider le pays à traverser la crise économique, tout en évitant un déficit. Cet énoncé proposait, entre autres, de supprimer la subvention gouvernementale aux partis politiques, qui s’élève à l’équivalent de 1,20 euro par vote. Economie annoncée avec cette mesure: près de 20 millions d'euros.
L'opposition se coalise
Bronca immédiate des partis d’opposition -le Parti liberal, le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois- qui y voyaient une manœuvre politique pour les étouffer. Le Parti conservateur reçoit la plus importante somme de cette enveloppe, mais il est celui qui compte le plus sur le financement privé (63%, alors que les autres partis comptent principalement sur les fonds publics). Les députés dénonçaient aussi l’absence de mesures pour stimuler l’économie, alors que le pays se dirige vers une récession.
Ce désaccord aurait pu n'être qu’un événement normal de la vie politique, mais, coup de théâtre, les trois partis d’opposition annoncent qu’ils veulent former une coalition pour renverser le gouvernement.
C’est que le Canada a un système politique calqué sur le parlementarisme britannique (étant une ancienne colonie de l’Empire). Le pouvoir législatif peut donc renverser le gouvernement par une motion de défiance à son endroit, ce que se sont empressés de faire les libéraux le lendemain.
En parallèle, les négociations se sont enclenchées pour le partage du pouvoir avec les néo-démocrates.
La politique hallucinogène
Le Bloc québécois a accordé son appui à une telle coalition, mais sans vouloir y participer. En effet, il s’agit d’un parti qui prône l’indépendance de la province du Québec. Position délicate, donc, puisqu’il se retrouve aux côtés de deux partis opposés à cette option (la posture est tout aussi délicate pour les deux autres partis). Le chef du Bloc, Gilles Duceppe, s’est fendu d’un billet sur son blog pour expliquer sa position, billet intitulé "A situation exceptionnelle, il faut des mesures exceptionnelles".
Le voir assis à la même table que Stéphane Dion –fervent fédéraliste et "père de la clarté référendaire"– et que Jack Layton lors de la conférence de presse de lundi, donnait un caractère historique à cet événement, mais aussi surprenant, comme l'a dessiné le caricaturiste Serge Chapleau ou l'a écrit le chroniqueur politique Vincent Marissal:
"Plus besoin de consommer de substances illicites pour halluciner au Canada, suffit de regarder RDI (le Réseau de l’information) en direct en plein après-midi."
Les trois partis promettent un gouvernement sous le signe de l'économie, avec assurances d'investissements dans les secteurs de l'automobile et de la construction. Libéraux et néo-démocrates s'engagent à s'unir jusqu'à la fin juin 2011 et le Bloc québécois à ne pas les faire tomber jusqu'à juin 2010.
Seulement voilà, les partis d’opposition doivent obtenir l’assentiment de la gouverneure générale, représentante de la reine d’Angleterre. Si ses fonctions sont essentiellement honorifiques, elle doit "voir à ce que le Canada ait toujours en place un Premier ministre et un gouvernement". L’actuelle représentante de cette fonction, Michaëlle Jean, a d’ailleurs écourté un voyage en Europe à cause de cette crise politique.
"On réinvente la politique canadienne"
Habituellement, lorsque le gouvernement perd la confiance de la Chambre des communes, le gouverneur doit déclencher des élections. Mais les règles parlementaires précisent que:
"Si un cabinet minoritaire était battu sur une motion de défiance très tôt dans la première session d'une nouvelle législature, et s'il existait une possibilité raisonnable qu'un autre parti puisse former un gouvernement et obtenir l'appui de la Chambre des communes, le gouverneur général pourrait refuser la tenue de nouvelles élections."
La gouverneure agit normalement sur avis du Premier ministre. Michaëlle Jean peut-elle passer outre? Agir de son propre gré? Doit-elle répondre aux demandes des autres partis? Les constitutionnalistes sont entrés en scène et se grattent la tête. Comme l’a expliqué le professeur Louis Massicotte sur les ondes de RDI. (Voir la vidéo à la fin de cet article.):
"On réinvente la politique canadienne, mais à l’échelle mondiale, on fait simplement se normaliser. Si vous regardez en Europe, les coalitions sont la norme plutôt que l’exception. […] La question est de savoir si ça peut marcher."
Un "complot" préparé de longue date?
Face à cette fronde, les conservateurs ruent dans les brancards et parlent sans ambages de "coup d’État". Le Premier ministre Stephen Harper déclarait vendredi que "pendant qu’on travaille sur l’économie, l’opposition travaille sur une entente en coulisses pour renverser les résultats des dernières élections, sans le consentement des électeurs".
Mais plusieurs experts rappellent que les Canadiens votent pour un député et non un gouvernement. Toujours est-il que la légitimité démocratique de cette coalition prête le flanc à la critique et les conservateurs entendent mobiliser l'opinion publique en organisant des manifestations.
Le gouvernement a aussi affirmé être prêt à revenir sur plusieurs propositions, notamment le financement des partis politiques, et il a devancé le dépôt du prochain budget au 27 janvier prochain.
Le tout sans compter qu’il accuse le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois d’avoir ourdi un complot de longue date, enregistrement téléphonique à l’appui. Le NPD a riposté en demandant l’avis de la Gendarmerie royale canadienne.
Le Premier ministre pourrait aussi proroger la session parlementaire jusqu’au dépôt du budget, afin d’éviter que le vote sur la motion de défiance puisse avoir lieu. Celui-ci est prévu le 8 décembre prochain, soit le même jour que les élections provinciales au Québec.
(Voir la vidéo.)
Un scrutin plus tard, les députés sont donc revenus à la Chambre des communes. Jeudi 27 novembre, le ministre des Finances a présenté une "mise à jour économique" censée aider le pays à traverser la crise économique, tout en évitant un déficit. Cet énoncé proposait, entre autres, de supprimer la subvention gouvernementale aux partis politiques, qui s’élève à l’équivalent de 1,20 euro par vote. Economie annoncée avec cette mesure: près de 20 millions d'euros.
L'opposition se coalise
Bronca immédiate des partis d’opposition -le Parti liberal, le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois- qui y voyaient une manœuvre politique pour les étouffer. Le Parti conservateur reçoit la plus importante somme de cette enveloppe, mais il est celui qui compte le plus sur le financement privé (63%, alors que les autres partis comptent principalement sur les fonds publics). Les députés dénonçaient aussi l’absence de mesures pour stimuler l’économie, alors que le pays se dirige vers une récession.
Ce désaccord aurait pu n'être qu’un événement normal de la vie politique, mais, coup de théâtre, les trois partis d’opposition annoncent qu’ils veulent former une coalition pour renverser le gouvernement.
C’est que le Canada a un système politique calqué sur le parlementarisme britannique (étant une ancienne colonie de l’Empire). Le pouvoir législatif peut donc renverser le gouvernement par une motion de défiance à son endroit, ce que se sont empressés de faire les libéraux le lendemain.
En parallèle, les négociations se sont enclenchées pour le partage du pouvoir avec les néo-démocrates.
La politique hallucinogène
Le Bloc québécois a accordé son appui à une telle coalition, mais sans vouloir y participer. En effet, il s’agit d’un parti qui prône l’indépendance de la province du Québec. Position délicate, donc, puisqu’il se retrouve aux côtés de deux partis opposés à cette option (la posture est tout aussi délicate pour les deux autres partis). Le chef du Bloc, Gilles Duceppe, s’est fendu d’un billet sur son blog pour expliquer sa position, billet intitulé "A situation exceptionnelle, il faut des mesures exceptionnelles".
Le voir assis à la même table que Stéphane Dion –fervent fédéraliste et "père de la clarté référendaire"– et que Jack Layton lors de la conférence de presse de lundi, donnait un caractère historique à cet événement, mais aussi surprenant, comme l'a dessiné le caricaturiste Serge Chapleau ou l'a écrit le chroniqueur politique Vincent Marissal:
"Plus besoin de consommer de substances illicites pour halluciner au Canada, suffit de regarder RDI (le Réseau de l’information) en direct en plein après-midi."
Les trois partis promettent un gouvernement sous le signe de l'économie, avec assurances d'investissements dans les secteurs de l'automobile et de la construction. Libéraux et néo-démocrates s'engagent à s'unir jusqu'à la fin juin 2011 et le Bloc québécois à ne pas les faire tomber jusqu'à juin 2010.
Seulement voilà, les partis d’opposition doivent obtenir l’assentiment de la gouverneure générale, représentante de la reine d’Angleterre. Si ses fonctions sont essentiellement honorifiques, elle doit "voir à ce que le Canada ait toujours en place un Premier ministre et un gouvernement". L’actuelle représentante de cette fonction, Michaëlle Jean, a d’ailleurs écourté un voyage en Europe à cause de cette crise politique.
"On réinvente la politique canadienne"
Habituellement, lorsque le gouvernement perd la confiance de la Chambre des communes, le gouverneur doit déclencher des élections. Mais les règles parlementaires précisent que:
"Si un cabinet minoritaire était battu sur une motion de défiance très tôt dans la première session d'une nouvelle législature, et s'il existait une possibilité raisonnable qu'un autre parti puisse former un gouvernement et obtenir l'appui de la Chambre des communes, le gouverneur général pourrait refuser la tenue de nouvelles élections."
La gouverneure agit normalement sur avis du Premier ministre. Michaëlle Jean peut-elle passer outre? Agir de son propre gré? Doit-elle répondre aux demandes des autres partis? Les constitutionnalistes sont entrés en scène et se grattent la tête. Comme l’a expliqué le professeur Louis Massicotte sur les ondes de RDI. (Voir la vidéo à la fin de cet article.):
"On réinvente la politique canadienne, mais à l’échelle mondiale, on fait simplement se normaliser. Si vous regardez en Europe, les coalitions sont la norme plutôt que l’exception. […] La question est de savoir si ça peut marcher."
Un "complot" préparé de longue date?
Face à cette fronde, les conservateurs ruent dans les brancards et parlent sans ambages de "coup d’État". Le Premier ministre Stephen Harper déclarait vendredi que "pendant qu’on travaille sur l’économie, l’opposition travaille sur une entente en coulisses pour renverser les résultats des dernières élections, sans le consentement des électeurs".
Mais plusieurs experts rappellent que les Canadiens votent pour un député et non un gouvernement. Toujours est-il que la légitimité démocratique de cette coalition prête le flanc à la critique et les conservateurs entendent mobiliser l'opinion publique en organisant des manifestations.
Le gouvernement a aussi affirmé être prêt à revenir sur plusieurs propositions, notamment le financement des partis politiques, et il a devancé le dépôt du prochain budget au 27 janvier prochain.
Le tout sans compter qu’il accuse le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois d’avoir ourdi un complot de longue date, enregistrement téléphonique à l’appui. Le NPD a riposté en demandant l’avis de la Gendarmerie royale canadienne.
Le Premier ministre pourrait aussi proroger la session parlementaire jusqu’au dépôt du budget, afin d’éviter que le vote sur la motion de défiance puisse avoir lieu. Celui-ci est prévu le 8 décembre prochain, soit le même jour que les élections provinciales au Québec.
(Voir la vidéo.)