Le groupe d'experts a interrogé séparément plusieurs survivants de ces massacres et aucun d’eux n'était en mesure d'identifier les assaillants. Cependant, ce qui semble faire douter le groupe d'experts, c'est le modus operandi de certaines de ces attaques.
Le groupe d’experts a d'abord enquêté sur les langues parlées par les responsables de ces atrocités. Sur certains sites, le luganda - une langue ougandaise - et le swahili peuvent en effet correspondre aux ADF, mais sur d'autres, selon des témoignages, les assaillants parlaient lingala ou même kinyarwanda. Or selon d’anciens ADF, ces langues ne sont pas utilisées par les rebelles ougandais.
Autre point de doute de l'implication de cette rébellion dans certaines atrocités concerne les assassinats d'enfants. Le groupe d'experts estime que cela ne fait pas partie des pratiques de ces rebelles qui enlèvent les enfants, mais ne les tuent pas.
Ce que soulignent surtout les experts onusiens, c'est le manque d'analyse critique et indépendante sur les ADF ainsi que sur l'origine des violences dans le territoire de Beni.
Où sont les ADF aujourd'hui ? Etaient-ils en mesure de mener ces attaques? Avant la prise de leur principal camp, en avril 2014, leur chef - Jamil Muluku - et sa famille se seraient éclipsés, mais seraient selon les experts onusiens toujours au Nord-Kivu.
Un deuxième groupe - constitué de plus d'un millier d'hommes et dirigé par le commandant en second Seka Baluku - aurait trouvé refuge dans la forêt. Par ailleurs, poursuivis et attaqués par l'armée congolaise, deux cents d'entre eux seraient morts de faim, entre fin juin et août 2014, selon le groupe d'experts.
Les ADF seraient donc affaiblis, mais leur commandement resterait intact. Néanmoins, malgré les opérations menées par l'armée congolaise, en 2014, le leadership et les réseaux de soutien des ADF n'ont été que très peu touchés, ce qui pourrait leur permettre de se reconstituer.
Qui sont les ADF ?
Ce rapport du groupe d'experts des Nations Unies permet, pour la première fois - à travers les témoignages d'une quarantaine d'ADF et la saisie de documents et d'armes dans leurs camps - de mieux comprendre le groupe armé le plus mystérieux de l'est de la RDC.
Les ADF sont bel et bien un groupe armé, essentiellement ougandais avec pour noyau dur le chef Jamil Muluku, sa famille - et notamment ses fils –, ainsi que les membres historiques de cette rébellion.
Dans les différents camps qu'ils occupaient jusqu'aux opérations Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), ils s'entraînaient, cultivaient, priaient. C’est toute une organisation que l'on découvre au fil des pages de ce nouveau rapport. Ils ont ainsi été capables de recruter jusqu'en 2014 en Ouganda et en RDC.
Certaines recrues ont joint volontairement la rébellion, parfois même avec leur famille ; pour d'autres, on leur a fait miroiter des opportunités économiques ; d'autres encore ont été enlevées et obligées de suivre une formation militaire. Ceux qui refusaient étaient détenus et menacés jusqu'à céder. On découvre aussi les Bazana - les civils kidnappés - qui devenaient les esclaves personnels du chef des ADF et qui étaient forcés de se convertir à l'islam.
Dans les deux cours de justice - dont l'une était présidée par Jamil Muluku lui-même - refuser de se convertir, chercher à s'enfuir ou bien commettre un adultère étaient des crimes passibles de la peine de mort.
Ce groupe islamiste n'a pas toutefois pas de liens apparents - disent les experts - avec des organisations terroristes étrangères comme les shebabs ou al-Qaïda.
En revanche, ces experts onusiens montrent - documents à l'appui - que les ADF ont un réseau de soutien en RDC, en Ouganda et au Rwanda qui semble se déplacer librement. Ils ont également un réseau en Grande-Bretagne qui envoie de l'argent et des armes dont certaines proviennent des stocks de l'armée congolaise. Il s’agit d’armes chinoises que Pékin destinait à Kinshasa, mais qui oubliait malgré l'embargo de le mentionner au groupe d'experts.