Bentiu, Bor. Par deux fois en une semaine, les Sud-Soudanais ont été pris pour cible par des combattants sur une base ethnique. Des dizaines, des centaines de civils ont été massacrées. « La semaine écoulée a été la plus sombre de l’histoire du Soudan du Sud », regrette le coordonnateur des affaires humanitaires de l’ONU, Toby Lanzer.
A Bor, la capitale de l’Etat du Jonglei, un groupe de jeunes armés s’est introduit le 17 avril dans la base des Nations unies où se trouvaient quelque 5 000 civils, essentiellement des Nuers. Les jeunes ont essayé de tuer le plus grand nombre qu’ils pouvaient. Le massacre a pu être stoppé grâce à l’intervention des casques bleus indiens, népalais et sud-coréens présents sur place. Mais 48 déplacés, hommes, femmes et enfants, avaient déjà été tués. Les corps de dix assaillants ont également été retrouvés.
Bien plus au Nord, dans la capitale de l’Etat pétrolier d’Unité, Bentiu, ce sont les rebelles favorables à Riek Machar qui s’en sont pris aux civils sur une base ethnique après avoir repris la ville le 15 avril. Selon les enquêteurs de l’ONU, les dissidents de la SPLA (Armée populaire de libération du Soudan) ont cherché les endroits où les civils étaient réfugiés. Ils sont allés à l’hôpital, à la mosquée de Kali-Ballee, à l’église catholique et dans les bureaux abandonnés du Programme alimentaire mondial (PAM). Les rebelles ont trié les occupants sur une base ethnique ou en fonction de leur nationalité, puis ont massacré les uns et mis les autres en sécurité. Plusieurs centaines de personnes ont été tuées tandis que les chefs rebelles diffusaient des appels à la haine sur Radio Bentiu.
Le retour d'un vieux cauchemar
Ces violences contre les civils sur une base ethnique sont l’un des aspects les plus sombres du conflit qui a éclaté en décembre dernier. Un aspect qui s’est immédiatement manifesté après la rupture entre Riek Machar et Salva Kiir. Des civils nuers (l'ethnie de Machar) ont alors été pris pour cible. A Juba, la capitale, certains ont été tués simplement parce qu'ils ne savaient pas parler dinka (la langue de l'ethnie de Kiir). Les violences sont par la suite entrées dans un cycle de violences et de représailles.
Pour les Soudanais du Sud, c’est le retour d’un vieux cauchemar. Celui d’une guerre qui les avait pris directement pour cible : la seconde guerre civile soudanaise (1983-2005). Déjà, dans les années 1990, Riek Machar avait fait dissidence de la SPLA, alors dirigée par John Garang. Déjà, il s'était appuyé sur des combattants nuers. Déjà, les populations avaient été visées pour leur appartenance ethnique. En 1991, 2 000 civils dinkas avaient été tués lors d’un massacre à Bor.
La crise humanitaire est redoutée
La crise politique qui a démarré en décembre a donc ramené le Soudan du Sud à d’anciennes rivalités, d’anciens griefs. Elle a en tout cas plongé la jeune nation dans une situation humanitaire catastrophique. Selon OCHA, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, les violences ont conduit au déplacement de plus de 900 000 personnes. 4,9 millions de Soudanais du Sud ont besoin d'une assistance humanitaire. De janvier à mi-avril, 335 000 enfants de moins de six ans ont connu un état de malnutrition sévère.
Et la situation humanitaire globale risque de se dégrader pendant la saison des pluies. Elle risque de se détériorer à nouveau dans les mois qui vont suivre, car avec les violences, les plantations n'auront pas été effectuées dans les champs. Des milliers de familles auront perdu leur bétail. On peut s'attendre à moyen terme à une grave crise alimentaire.
La paix pourrait être d'autant plus difficile à ramener qu'il existe un risque de « régionalisation » du conflit. L'Ouganda a d'ores et déjà mis un pied dans la crise en aidant le camp de Salva Kiir dès que les combats ont démarré. Et dans son dernier rapport sur le Soudan du Sud, l'organisation International Crisis Group (ICG) dit craindre une entrée du Soudan du Nord dans la confrontation. Des combattants du Darfour, les rebelles du Mouvement pour la justice et l'égalité (MJE), s'étant alliés au gouvernement de Kiir, Khartoum pourrait renouer avec son ancien allié Riek Machar. Il peut en être d’autant plus tenté que Khartoum et Juba ont de multiples raisons de s'opposer, comme le pétrole ou le sort de la région d'Abyei.
Source : Rfi.fr