«Il y a des indulgences qui sont des dénis de justice.»
Joseph Joubert, Carnets.
Les indulgences constituent, dans la religion chrétienne, un moyen pour le fidèle repenti, de se racheter par de bonnes œuvres, en faisant don à l’Eglise ou aux pauvres, de richesses dont il s’allège pour voir sa peine allégée à son tour. Cette pratique concevable en soit a été fortement biaisée par l’Eglise catholique en son temps. A telle enseigne qu’elle a vu d’illustres théologiens la contester, non dans son esprit, mais plutôt dans sa lettre. Car les indulgences ne sauraient signifier selon eux une parfaite absolution de pêcheurs récidivistes et irresponsables.
Loin du moyen âge, et de l’Occident, les indulgences, politiques cette fois-ci, sont convoquées, sous une autre forme, par notre cher Prince des tropiques, le tout-puissant Kandide Wade. Se prononçant sur sa gestion de l’énergie, le Prince des tropiques, triomphalement propulsé à la tête de ce département par son éclairé père de président, n’a trouvé d’autre recette, que de nous demander d’être indulgent avec lui.
Quoi ? N’est-ce pas lui qui, jusqu’à peu, nous était présenté comme la providence faite homme ? N’est-ce pas lui, Karim, fils de Wade, éminent ingénieur financier, adepte de montages, d’emprunts exceptionnels et d’infaillibles demandes de dons ?
Quoi, ce Zorro des finances, qui seul, sur douze millions de sénégalais, mérite l’attention et la confiance du chef de l’Etat, aurait-il, brusquement, perdu de sa superbe ? Ou alors, la Sorbonne ne serait-elle plus la Sorbonne ? Non, il y a certainement anguille sous roche. Comment ? Notre inespéré sauveur, notre espoir, notre lumière venue de loin, se mettrait-elle, brusquement, à s’éteindre ? Car Karim Wade, l’homme qui n’a jamais perdu, l’homme qui a gravi le plus rapidement les rampes de l’administration, celui qui, de courtier quelconque d’une banque s’est réveillé conseiller financier d’un président, pour devenir, d’un seul coup, ministre d’Etat, serait-il – déjà, arrivé au début de ses limites ?
L’homme qui, à lui tout seul, s’est vu confier la terre, le feu, le ciel et les airs, comment celui-là pourrait-il tomber en panne…d’inspiration ? Et demander aux populations et à ses bien-dévoués représentants d’être indulgents à son égard à propos de la crise énergétique…
Non, nous n’osons le croire Sire. Majesté Wade junior, souffrez que nous doutions de vos propos. Permettez que nous invoquions la fameuse théorie du complot qui serait, ici, conspiration.
Sans doute voulez vous simplement nous surprendre. Nous surprendre, nous qui commencions à nous convaincre que le retour à la bougie n’était plus une fatalité ; nous qui, avec votre nomination, pensions, enfin, que le mot délestage serait d’un seul coup, vieilli, car banni du dictionnaire de notre vécu quotidien.
Comment voulez-vous nous faire croire que votre foudre tant vantée par votre père n’était que poudre chinoise : brillante et brûlante. Mais guère durable et efficace : du toc ! Comment pensez-vous nous convaincre que vous n’êtes qu’un simple mortel parmi les mortels, nous qui nous étions habitués à vous rêver en héros redresseur de torts, en Robin des bois des tropiques, en Lucky Lucke des savanes ?
Non, altesse ! Vous ne pouvez, vous ne devez rompre ce mythe dont on a si besoin. Ce mythe essentiel qui seul nous pousse à nous taire encore lorsque votre père prend presque le quart de la nation et vous le confie à vous, tout seul.
Vous devez encore nous laisser croire que vos mains sont, non seulement expertes, mais presque miraculeuses. Que tout ce à quoi vous touchez, fut-il de la boue, se transforme en or.
Inventez, s’il le faut ; semez la confusion, si nécessaire ; affabulez, si l’envie vous en prend. Mais, de grâce, Altesse des tropiques, ne nous laissez pas mourir sans espoir. Ne nous faites pas croire au contraire de ce en quoi on a jamais voulu croire et, qu’enfin, à force d’entendre votre père en plaider la cause, nous avons crû ,finalement: que vous êtes un génie, un énorme génie, un miracle vivant. Alléluia !
Grâce à vous, et vous ne le savez sans doute pas, tant votre modestie est sans bornes et votre désintéressement, sans limites, nous nous sommes souvenus de nos cours du moyen secondaire. Nous avons, surtout, retenu que le décollage économique du Japon, qualifié de miracle, portait le nom de Meiji. Et vous, curieusement, vous vous faites surnommer Meissa.
A telle enseigne qu’on avait fait le parallèle, en pensant que Meissa était le nom tropicalisé, mal prononcé par nos grands-parents, qui assimilent si mal les langues étrangères, de Meiji !
Vous et votre père nous avez fait accepter que nous autres, fils d’autrui, valons si peu en face de vous, vous, fils de Wade, Père de la nation. Nous en avons souffert, dans nos viscères et dans nos chairs. Nous avons fini, comme d’habitude, par abdiquer, et croire que nous avions tort. En avouant votre impuissance, et en rallongeant le délai d’un retour à la normale de l’électricité, vous électrocutez nos rêves. Vous calcinez nos prétextes, ces remparts robustes qui nous cachaient notre lâcheté de citoyens à deux sous.
Si, en vous adressant de la sorte aux citoyens consommateurs d’électricité, votre vœu, seigneur Karim, a été de vous humaniser, vous qu’on nous avait vendu comme un demi-démiurge, c’est peine perdu. Vous aviez demandé le sommet, adoubé par votre père qui vous faisait apparaitre comme l’unique solution aux problèmes ténus de notre république. Vous l’avez obtenu. Maintenant que vous y êtes, restez-y et faites vos preuves. Accommodez-vous du sommet, même si le sommet ne s’accommode point du vous. Ku weet xam sa bopp !
Cette chronique est parue dans Weekend Magazine n°137
Joseph Joubert, Carnets.
Les indulgences constituent, dans la religion chrétienne, un moyen pour le fidèle repenti, de se racheter par de bonnes œuvres, en faisant don à l’Eglise ou aux pauvres, de richesses dont il s’allège pour voir sa peine allégée à son tour. Cette pratique concevable en soit a été fortement biaisée par l’Eglise catholique en son temps. A telle enseigne qu’elle a vu d’illustres théologiens la contester, non dans son esprit, mais plutôt dans sa lettre. Car les indulgences ne sauraient signifier selon eux une parfaite absolution de pêcheurs récidivistes et irresponsables.
Loin du moyen âge, et de l’Occident, les indulgences, politiques cette fois-ci, sont convoquées, sous une autre forme, par notre cher Prince des tropiques, le tout-puissant Kandide Wade. Se prononçant sur sa gestion de l’énergie, le Prince des tropiques, triomphalement propulsé à la tête de ce département par son éclairé père de président, n’a trouvé d’autre recette, que de nous demander d’être indulgent avec lui.
Quoi ? N’est-ce pas lui qui, jusqu’à peu, nous était présenté comme la providence faite homme ? N’est-ce pas lui, Karim, fils de Wade, éminent ingénieur financier, adepte de montages, d’emprunts exceptionnels et d’infaillibles demandes de dons ?
Quoi, ce Zorro des finances, qui seul, sur douze millions de sénégalais, mérite l’attention et la confiance du chef de l’Etat, aurait-il, brusquement, perdu de sa superbe ? Ou alors, la Sorbonne ne serait-elle plus la Sorbonne ? Non, il y a certainement anguille sous roche. Comment ? Notre inespéré sauveur, notre espoir, notre lumière venue de loin, se mettrait-elle, brusquement, à s’éteindre ? Car Karim Wade, l’homme qui n’a jamais perdu, l’homme qui a gravi le plus rapidement les rampes de l’administration, celui qui, de courtier quelconque d’une banque s’est réveillé conseiller financier d’un président, pour devenir, d’un seul coup, ministre d’Etat, serait-il – déjà, arrivé au début de ses limites ?
L’homme qui, à lui tout seul, s’est vu confier la terre, le feu, le ciel et les airs, comment celui-là pourrait-il tomber en panne…d’inspiration ? Et demander aux populations et à ses bien-dévoués représentants d’être indulgents à son égard à propos de la crise énergétique…
Non, nous n’osons le croire Sire. Majesté Wade junior, souffrez que nous doutions de vos propos. Permettez que nous invoquions la fameuse théorie du complot qui serait, ici, conspiration.
Sans doute voulez vous simplement nous surprendre. Nous surprendre, nous qui commencions à nous convaincre que le retour à la bougie n’était plus une fatalité ; nous qui, avec votre nomination, pensions, enfin, que le mot délestage serait d’un seul coup, vieilli, car banni du dictionnaire de notre vécu quotidien.
Comment voulez-vous nous faire croire que votre foudre tant vantée par votre père n’était que poudre chinoise : brillante et brûlante. Mais guère durable et efficace : du toc ! Comment pensez-vous nous convaincre que vous n’êtes qu’un simple mortel parmi les mortels, nous qui nous étions habitués à vous rêver en héros redresseur de torts, en Robin des bois des tropiques, en Lucky Lucke des savanes ?
Non, altesse ! Vous ne pouvez, vous ne devez rompre ce mythe dont on a si besoin. Ce mythe essentiel qui seul nous pousse à nous taire encore lorsque votre père prend presque le quart de la nation et vous le confie à vous, tout seul.
Vous devez encore nous laisser croire que vos mains sont, non seulement expertes, mais presque miraculeuses. Que tout ce à quoi vous touchez, fut-il de la boue, se transforme en or.
Inventez, s’il le faut ; semez la confusion, si nécessaire ; affabulez, si l’envie vous en prend. Mais, de grâce, Altesse des tropiques, ne nous laissez pas mourir sans espoir. Ne nous faites pas croire au contraire de ce en quoi on a jamais voulu croire et, qu’enfin, à force d’entendre votre père en plaider la cause, nous avons crû ,finalement: que vous êtes un génie, un énorme génie, un miracle vivant. Alléluia !
Grâce à vous, et vous ne le savez sans doute pas, tant votre modestie est sans bornes et votre désintéressement, sans limites, nous nous sommes souvenus de nos cours du moyen secondaire. Nous avons, surtout, retenu que le décollage économique du Japon, qualifié de miracle, portait le nom de Meiji. Et vous, curieusement, vous vous faites surnommer Meissa.
A telle enseigne qu’on avait fait le parallèle, en pensant que Meissa était le nom tropicalisé, mal prononcé par nos grands-parents, qui assimilent si mal les langues étrangères, de Meiji !
Vous et votre père nous avez fait accepter que nous autres, fils d’autrui, valons si peu en face de vous, vous, fils de Wade, Père de la nation. Nous en avons souffert, dans nos viscères et dans nos chairs. Nous avons fini, comme d’habitude, par abdiquer, et croire que nous avions tort. En avouant votre impuissance, et en rallongeant le délai d’un retour à la normale de l’électricité, vous électrocutez nos rêves. Vous calcinez nos prétextes, ces remparts robustes qui nous cachaient notre lâcheté de citoyens à deux sous.
Si, en vous adressant de la sorte aux citoyens consommateurs d’électricité, votre vœu, seigneur Karim, a été de vous humaniser, vous qu’on nous avait vendu comme un demi-démiurge, c’est peine perdu. Vous aviez demandé le sommet, adoubé par votre père qui vous faisait apparaitre comme l’unique solution aux problèmes ténus de notre république. Vous l’avez obtenu. Maintenant que vous y êtes, restez-y et faites vos preuves. Accommodez-vous du sommet, même si le sommet ne s’accommode point du vous. Ku weet xam sa bopp !
Cette chronique est parue dans Weekend Magazine n°137