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Wade : «Il n'y a pas de société civile au Sénégal, juste des politiciens»

Alain Léauthier, envoyé spécial de Marianne au Sénégal, a rencontré son président Abdoulaye Wade, de plus en plus controversé. Interview. Explications.



Wade : «Il n'y a pas de société civile au Sénégal, juste des politiciens»


Il y a deux solutions pour rencontrer Abdoulaye Wade, le chef d’Etat sénégalais. La voie officielle « africaine » : vous déposez une demande d’interview à son porte-parole qui vous répond aimablement « ça peut se faire ». Puis vous oublie.

La voie officieuse « française » : vous contactez l’agence parisienne qui gère l’image du président à l’étranger… et vous décroche l’entretien en quelques heures. Les pros de la « com » avant les politiques : une manie universelle.

Marianne : Le nombre de vos détracteurs augmente, notamment dans la société civile. Vous n’incarneriez plus le « sopi » (le changement en wolof) ?
Abdoulaye Wade : Ah… L’Afrique possède cette capacité d’endosser toutes les institutions et de les vider de leur contenu. Et vous journalistes européens vous êtes si naïfs… Il n’y a pas de société civile au Sénégal, juste des politiciens qui avancent masqués car ils n’osent pas prendre leurs responsabilités.

Cette pseudo société civile m’accable dites-vous…Eh bien moi j’affirme que je suis toujours en état de grâce depuis mon élection de 2000. Sortons en voiture dans les quartiers et vous constaterez que ma popularité est intacte.

Nous avons certes perdu de nombreuses villes lors des élections locales de mars 2009 (entre autre la municipalité de Dakar que visait son fil Karim) mais restons majoritaires en nombre de collectivités locales détenues par le PDS (Parti démocratique sénégalais, fondé par Wade) et en nombre de voix. En réalité nous avons payé nos propres divisions, le PDS a battu le PDS, le Sopi a battu le Sopi !

Marianne : C’est une explication très politicienne. Ne pensez-vous pas que les raisons de cet échec sont plus profondes, la crise sociale, les frustrations, le chômage, la misère…
A.W : Bien sûr qu’il y a des frustrations et des insatisfactions, il y en a partout, en France, en Allemagne, pas qu’au Sénégal. Je ne conteste pas une certaine hausse des prix, c’est un phénomène international mais des émeutes de la faim, contrairement à ce que racontent les médias, nous n’en avons jamais eu !

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Marianne : Est-il judicieux de dépenser 18 millions d’euros pour un Monument de la Renaissance africaine quand des milliers de Sénégalais n’ont pas d’emploi et vivent très difficilement ?
A.W : D’abord les citoyens sénégalais ne débourseront pas un franc puisque le coût du Monument est pris en charge par la société nord-coréenne à qui nous en avons confié la réalisation en échange de terrain.

Marianne : Une transaction opaque selon certains ?
A.W : Pas le moins du monde opaque. C’est une dation banale dans le droit fil du droit français…

Marianne : Mettons. Mais quelle est l’utilité du Monument ?
A.W : Vous n’êtes pas Africain, vous ne pouvez pas en comprendre la portée. Ce n’est pas la valeur culturelle de cette sculpture qui compte, mais le message de dignité qu’elle véhicule, pour les Sénégalais et tous les Africains. C’est parfaitement mon rôle que de lancer ce genre de projet : je suis et je dois rester un guide pour mon peuple.

Marianne : A quel titre réclamez-vous 35% de droits sur les entrées et autres activités liées au Monument ?
A.W : Mais au titre de la propriété intellectuelle, j’en ai eu l’idée et j’en ai fait dessiner les contours avant que nous allions plus avant dans le projet. Qu’y a-t-il de choquant ?

Marianne : Ousmane Sow conteste votre paternité sur le projet ?
A.W : Personne n’a soutenu Ousmane Sow autant que moi, tant pour ses expositions que l’acquisition de certaines œuvres. Quand je lui ai demandé de plancher sur mon idée, il a proposé un petit bonhomme avec une sorte de chapeau mexicain…Franchement quel rapport avec la sculpture de 50m de haut qui s’élève aujourd’hui sur une des mamelles ?

Marianne : Où ira l’argent des droits ?
A.W : A deux fondations ayant pour but la construction de Cases des Tout Petits (enfants en difficulté). Tant que je suis président, la part de l’ Etat sera aussi consacrée à cette mission, après évidemment je ne réponds pas de ce que fera mon successeur…

Marianne : Justement, vous avez annoncé votre intention de vous représenter à un troisième mandat en 2012 ? Vous aurez 86 ans, est-ce raisonnable?
A.W : Ce n’est en tout cas pas à vous et aux journalistes français en général d’en décider. Les Sénégalais trancheront. Mais j’ai un bilan : un investissement massif dans l’ Education qui représente 40% du budget ( plutôt autour de 18% selon certains syndicats qui ne contestent pas par ailleurs un réel effort, ndlr). J’assume aussi le choix d’avoir voulu développer les infrastructures de ce pays.

Marianne : Quelques kilomètres d’autoroutes et la corniche de Dakar, à un coût que certains jugent exorbitant et injustifié ? On parle de surfacturation…
A.W : Toutes ces accusations de corruption, de trafics d’influence…Ils ne donnent jamais la moindre preuve ! Des calomnies gratuites ! Je ne dis pas qu’il n’y a pas de corruption dans ce pays mais les dénonciations sont souvent des manipulations. Récemment un média anglophone (Business Insider, ndlr) nous a ainsi accusé d’avoir voulu racketter à hauteur de 200 millions de dollars la société américaine de téléphonie Milicom. En vérité, par le passé ils avaient emporté une première licence pour quasiment rien. Ayant décidé d’ouvrir le marché, nous leur avons indiqué que l’obtention d’une nouvelle licence ne serait pas gratuite cette fois. Nous avons simplement défendu les intérêts de l’Etat sénégalais et la réponse a été cet article…
Pour revenir aux dépenses d’infrastructures, je suis fier en vérité d’avoir pu convaincre mes partenaires de l’ Union africaine qu’elles jouent un rôle clef pour l’avenir du continent africain. Et puis je n’aurais pas eu à y consacrer autant d’efforts et d’argent si mes prédécesseurs (Abdou Diouf et Léopold Sédar Senghor, ndlr) comme avant le colonisateur n’avaient pas laissé un réseau routier aussi mauvais.

Marianne : Puisqu’on parle des surcoûts, ceux engendrés par l’organisation de la Conférence islamique dont votre fils avait la charge, en mars 2008, font l’objet d’un audit très critique. Ce n’est pas 72 milliards de francs CFA (109 millions d’euros) mais près du double qui auraient été dépensés. Et pas toujours de manière justifiée…
A.W : Un audit doit être contradictoire, celui-ci ne l’a pas été mais je sais que le rapport final sur les comptes de l’ Anoci (Agence nationale de la Conférence islamique) sera favorable. Toutes les accusations reprochant à mon fils des dépenses somptuaires sont fausses. Je l’affirme.

Marianne : Votre rapport à l’Islam suscite aussi de nombreuses critiques. On vous reproche de vous être agenouillé devant le Cheikh général de la Confrérie des Mourides et de rogner sur la laïcité ?
A.W : La République est laïque mais moi je ne triche pas avec ma foi : à titre personnel j’ai besoin de la bénédiction du cheikh, c’est moi qui me suis agenouillé, pas la République. Je respecte tout le monde. Je me suis investi beaucoup pour la rénovation de la cathédrale de Dakar alors n’ouvrons pas de fausse querelle.

Marianne : Vous avez ouvert les portes du pays aux Américains, aux Etats du Golfe…La France c’est fini ?
A.W : J’ai d’excellents rapports avec la France, on ne se déprend pas si facilement de ce qu’on a aimé mais la France a fait d’autre choix, l’ Asie, vos entreprises sont moins présentes et aussi moins concurrentielles... Au train où l’on va, je l’ai souvent répété, face à la concurrence chinoise et indienne, l’ Europe aura bientôt perdu la bataille en Afrique.
Alain Léauthier

africatime

Jeudi 25 Février 2010 - 11:36


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