Vous ouvrez ce week-end les célébrations du cinquantenaire des indépendances africaines. Quelle est l’importance de ces commémorations pour le continent?
Même si c’est une date assez artificielle, avant tout symbolique, ce cinquantenaire intéresse dix-sept Etats africains, pays francophones et anciennes colonies françaises, ce qui n’est pas rien. C’est important de voir ce qu’il s’est passé sur la moitié d’un siècle et d’avoir une vision de l’avenir.
Cet anniversaire survient alors que de nombreux pays d’Afrique, notamment de l’Ouest francophone, connaissent des turbulences en termes de gouvernance et de fonctionnement démocratique. C’est une résonance étrange?
C’est vrai. Mais la décolonisation s’est faite dans des conditions qui contenaient les germes de l’instabilité. La France a conclu l’indépendance avec des personnalités politiques contestées qu’elle n’a pas poussées à organiser des élections libres et démocratiques. C’est pourquoi il y a eu tant de coups d’Etat jusqu’ici. Il faut en tenir compte si l’on dit que l’Afrique n’a pas fait de progrès malgré cinquante ans d’indépendance.
Ici, au Sénégal, vous marquez l’événement à travers l’inauguration d’un monument de la Renaissance africaine. Quel est le sens de ce choix?
C’est un symbole important. Pour moi et pour tous les Africains. Ce monument représente l’Afrique qui sort de l’obscurantisme de quatre siècles et demi d’esclavage et de deux siècles de colonisation; l’Afrique qui sort à la lumière, et se présente au monde avec vigueur, avec la volonté enfin de se construire pour être à la table des nations libres et développées.
Mais ce monument suscite la polémique, sur son style et sa démesure, et vous attire de nombreuses critiques. Les comprenez-vous?
Non, je ne les comprends absolument pas. Que voulait-on que je fasse, une petite statue? La statue de la Liberté, est-ce de la démesure? Le christ rédempteur qui domine Rio, est-ce de la mégalomanie? Se demande-t-on pourquoi les Egyptiens ont construit le Sphinx?
Les critiques portent justement sur le décalage entre le caractère pharaonique de ce monument et la situation de votre pays, qui a parfois du mal à couvrir ses besoins de première nécessité…
C’est une raison de plus pour avoir de l’ambition et voir loin. Cette statue n’a pas coûté un franc au budget du Sénégal: j’ai payé en donnant un terrain. Sinon, même si j’ai la majorité à l’Assemblée, les députés n’auraient pas accepté de voter 12 milliards de francs CFA [18 millions d’euros]. C’est une construction de l’esprit, une ingénierie financière qui nous permet de construire cette statue. Rien n’est assez grand pour l’Afrique!
On vous reproche aussi de vous arroger 35 % des droits sur les recettes générées par le monument.
Toutes les retombées financières iront à la petite enfance, notamment à la Case des Tout-Petits [un réseau de jardins d’enfants créé par le président Wade]. Mais je partirai un jour. Un autre président pourrait vouloir utiliser l’argent à d’autres fins. C’est pour préserver l’avenir que je prends mes droits de créateur artistique. Moi qui ai conçu ce monument, je dispose comme je veux de ces droits. Je les verserai donc à une fondation qui les gérera sous le strict contrôle du ministère des Finances.
Dix ans après votre accession au pouvoir, qui fut un modèle d’alternance démocratique en Afrique, beaucoup regrettent une dérive vers un exercice de plus en plus personnel, parfois clanique ou népotique, du pouvoir. Que répondez-vous?
Si l’on fait allusion à la présence de mon fils au gouvernement [ministre d’Etat, de la Coopération, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures], Abdou Diouf faisait de même avec son frère, ministre chargé des Mines. Moi, je prends mon fils, qui au surplus a la compétence pour lui. Il a travaillé à la City de Londres, il est respecté par tous les financiers. Le fils de Bongo était ministre aussi, personne n’a rien dit. Bush n’était pas dans le gouvernement, mais son père en a bien fait un président! Je n’ai jamais dit que je ferais de mon fils le président du Sénégal, mais, étant sénégalais, rien ne l’empêche de briguer un jour un mandat.
Vous avez eu quelques différends avec Nicolas Sarkozy, notamment sur l’immigration choisie. Où en sont vos relations avec la France?
Ces différends n’ont pas eu d’incidence sur mes relations avec Nicolas Sarkozy: je suis un libéral, j’ai mes idées et j’admets que les autres aient les leurs. D’autre part, ma position a eu de l’influence, puisque la France a abandonné la notion d’immigration choisie au profit de l’immigration concertée. Ce problème est réglé. Maintenant, je ne suis pas content que l’entrée en France soit si restreinte pour les Africains, alors qu’elle est ouverte à l’Europe centrale.
Vous trouvez que la France n’est pas accueillante à l’égard des Africains?
Elle ne l’est plus, c’est clair. Les Etats-Unis sont plus ouverts. La France se referme: c’est ça, la vérité. A part la continuité géographique, qu’est-ce que les citoyens d’Europe centrale ont de plus que nous? Nous sommes liés à la France depuis longtemps, nous avons fait tant de sacrifices pour elle. J’ajoute que je n’aime pas cette idée d’Union pour la Méditerranée lancée par M. Sarkozy. Je redoute que les pays d’Afrique du Nord n’aillent constituer avec l’Europe un ensemble économique et politique qui laisserait dehors le sud du Sahara.
La fermeture des bases militaires de Dakar, c’est la fin d’une époque?
M. Sarkozy, au Cap en 2008, a déclaré que la France devait se séparer de toutes ses bases en Afrique. Je n’ai pas apprécié que, s’agissant de bases qui se trouvent chez moi, il aille régler la question en Afrique du Sud sans m’en parler d’abord. D’autant, il faut le dire, que j’étais un peu le rival de Thabo Mbeki [alors président sud-africain] pour le leadership de l’Afrique. Qu’à cela ne tienne: j’ai accepté d’entamer les négociations pour la restitution des bases. Nous sommes toujours en train de discuter. Et comme cette discussion traîne un peu, j’ai décidé d’annoncer que je saisis l’offre de M. Sarkozy pour reprendre toutes les bases. A partir de ce 4 avril, à 0 h 00, ces bases sont sous souveraineté sénégalaise. Mais, en raison des relations très anciennes que nous entretenons avec la France, j’ajoute que nous sommes prêts à discuter avec elle de sa demande d’octroi de facilités sur notre territoire pour qu’elle développe une coopération militaire avec les Etats d’Afrique de l’Ouest.
Y a-t-il un déclin de la présence de la France au Sénégal et en Afrique?
C’est la France elle-même qui l’a voulu. Mais, oui, il y a un déclin très fort et une grande inertie. De plus en plus, l’Afrique travaille avec les nouveaux partenaires que sont la Chine, le Japon, l’Inde, la Corée du Sud. J’ai le sentiment que la France, écartelée entre l’Europe et l’Afrique, ne sait plus très bien quoi faire. Nous avons vécu et partagé tant de choses… Mais le Sénégal n’est pas une puissance économique, et je peux comprendre que la France veuille se tourner vers de nouveaux marchés.
Même si c’est une date assez artificielle, avant tout symbolique, ce cinquantenaire intéresse dix-sept Etats africains, pays francophones et anciennes colonies françaises, ce qui n’est pas rien. C’est important de voir ce qu’il s’est passé sur la moitié d’un siècle et d’avoir une vision de l’avenir.
Cet anniversaire survient alors que de nombreux pays d’Afrique, notamment de l’Ouest francophone, connaissent des turbulences en termes de gouvernance et de fonctionnement démocratique. C’est une résonance étrange?
C’est vrai. Mais la décolonisation s’est faite dans des conditions qui contenaient les germes de l’instabilité. La France a conclu l’indépendance avec des personnalités politiques contestées qu’elle n’a pas poussées à organiser des élections libres et démocratiques. C’est pourquoi il y a eu tant de coups d’Etat jusqu’ici. Il faut en tenir compte si l’on dit que l’Afrique n’a pas fait de progrès malgré cinquante ans d’indépendance.
Ici, au Sénégal, vous marquez l’événement à travers l’inauguration d’un monument de la Renaissance africaine. Quel est le sens de ce choix?
C’est un symbole important. Pour moi et pour tous les Africains. Ce monument représente l’Afrique qui sort de l’obscurantisme de quatre siècles et demi d’esclavage et de deux siècles de colonisation; l’Afrique qui sort à la lumière, et se présente au monde avec vigueur, avec la volonté enfin de se construire pour être à la table des nations libres et développées.
Mais ce monument suscite la polémique, sur son style et sa démesure, et vous attire de nombreuses critiques. Les comprenez-vous?
Non, je ne les comprends absolument pas. Que voulait-on que je fasse, une petite statue? La statue de la Liberté, est-ce de la démesure? Le christ rédempteur qui domine Rio, est-ce de la mégalomanie? Se demande-t-on pourquoi les Egyptiens ont construit le Sphinx?
Les critiques portent justement sur le décalage entre le caractère pharaonique de ce monument et la situation de votre pays, qui a parfois du mal à couvrir ses besoins de première nécessité…
C’est une raison de plus pour avoir de l’ambition et voir loin. Cette statue n’a pas coûté un franc au budget du Sénégal: j’ai payé en donnant un terrain. Sinon, même si j’ai la majorité à l’Assemblée, les députés n’auraient pas accepté de voter 12 milliards de francs CFA [18 millions d’euros]. C’est une construction de l’esprit, une ingénierie financière qui nous permet de construire cette statue. Rien n’est assez grand pour l’Afrique!
On vous reproche aussi de vous arroger 35 % des droits sur les recettes générées par le monument.
Toutes les retombées financières iront à la petite enfance, notamment à la Case des Tout-Petits [un réseau de jardins d’enfants créé par le président Wade]. Mais je partirai un jour. Un autre président pourrait vouloir utiliser l’argent à d’autres fins. C’est pour préserver l’avenir que je prends mes droits de créateur artistique. Moi qui ai conçu ce monument, je dispose comme je veux de ces droits. Je les verserai donc à une fondation qui les gérera sous le strict contrôle du ministère des Finances.
Dix ans après votre accession au pouvoir, qui fut un modèle d’alternance démocratique en Afrique, beaucoup regrettent une dérive vers un exercice de plus en plus personnel, parfois clanique ou népotique, du pouvoir. Que répondez-vous?
Si l’on fait allusion à la présence de mon fils au gouvernement [ministre d’Etat, de la Coopération, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures], Abdou Diouf faisait de même avec son frère, ministre chargé des Mines. Moi, je prends mon fils, qui au surplus a la compétence pour lui. Il a travaillé à la City de Londres, il est respecté par tous les financiers. Le fils de Bongo était ministre aussi, personne n’a rien dit. Bush n’était pas dans le gouvernement, mais son père en a bien fait un président! Je n’ai jamais dit que je ferais de mon fils le président du Sénégal, mais, étant sénégalais, rien ne l’empêche de briguer un jour un mandat.
Vous avez eu quelques différends avec Nicolas Sarkozy, notamment sur l’immigration choisie. Où en sont vos relations avec la France?
Ces différends n’ont pas eu d’incidence sur mes relations avec Nicolas Sarkozy: je suis un libéral, j’ai mes idées et j’admets que les autres aient les leurs. D’autre part, ma position a eu de l’influence, puisque la France a abandonné la notion d’immigration choisie au profit de l’immigration concertée. Ce problème est réglé. Maintenant, je ne suis pas content que l’entrée en France soit si restreinte pour les Africains, alors qu’elle est ouverte à l’Europe centrale.
Vous trouvez que la France n’est pas accueillante à l’égard des Africains?
Elle ne l’est plus, c’est clair. Les Etats-Unis sont plus ouverts. La France se referme: c’est ça, la vérité. A part la continuité géographique, qu’est-ce que les citoyens d’Europe centrale ont de plus que nous? Nous sommes liés à la France depuis longtemps, nous avons fait tant de sacrifices pour elle. J’ajoute que je n’aime pas cette idée d’Union pour la Méditerranée lancée par M. Sarkozy. Je redoute que les pays d’Afrique du Nord n’aillent constituer avec l’Europe un ensemble économique et politique qui laisserait dehors le sud du Sahara.
La fermeture des bases militaires de Dakar, c’est la fin d’une époque?
M. Sarkozy, au Cap en 2008, a déclaré que la France devait se séparer de toutes ses bases en Afrique. Je n’ai pas apprécié que, s’agissant de bases qui se trouvent chez moi, il aille régler la question en Afrique du Sud sans m’en parler d’abord. D’autant, il faut le dire, que j’étais un peu le rival de Thabo Mbeki [alors président sud-africain] pour le leadership de l’Afrique. Qu’à cela ne tienne: j’ai accepté d’entamer les négociations pour la restitution des bases. Nous sommes toujours en train de discuter. Et comme cette discussion traîne un peu, j’ai décidé d’annoncer que je saisis l’offre de M. Sarkozy pour reprendre toutes les bases. A partir de ce 4 avril, à 0 h 00, ces bases sont sous souveraineté sénégalaise. Mais, en raison des relations très anciennes que nous entretenons avec la France, j’ajoute que nous sommes prêts à discuter avec elle de sa demande d’octroi de facilités sur notre territoire pour qu’elle développe une coopération militaire avec les Etats d’Afrique de l’Ouest.
Y a-t-il un déclin de la présence de la France au Sénégal et en Afrique?
C’est la France elle-même qui l’a voulu. Mais, oui, il y a un déclin très fort et une grande inertie. De plus en plus, l’Afrique travaille avec les nouveaux partenaires que sont la Chine, le Japon, l’Inde, la Corée du Sud. J’ai le sentiment que la France, écartelée entre l’Europe et l’Afrique, ne sait plus très bien quoi faire. Nous avons vécu et partagé tant de choses… Mais le Sénégal n’est pas une puissance économique, et je peux comprendre que la France veuille se tourner vers de nouveaux marchés.