Au Mali, une attaque menée entre le 25 et le 28 juillet dernier par les éléments du Cadre stratégique pour la défense du peuple de l’Azawad (CSP-DPA, coalition de mouvements séparatistes à dominante touareg) s’est soldé par plusieurs morts et blessés dans les rangs des Forces armées maliennes (Fama) et de leurs alliés russes du groupe Wagner. Quelques jours après les combats qui se sont déroulés aux environs de la localité de Tin Zaouatine dans le Nord du pays, le CSP-DPA a publié un bilan indiquant 84 mercenaires russes et 47 soldats maliens tués « en état d’être comptés« . L’armée malienne qui, depuis quelque temps, a décidé de ne plus communiquer le bilan des soldats tombés au front, a toutefois reconnu « un nombre important de morts » dans ses rangs. Côté russe, la chaîne Telegram « Razgrouzka Wagnera », relais des activités de la milice Wagner, a également confirmé « des pertes en vie humaines » ainsi que la mort du commandant Sergueï Chevtchenko, jusque-là chargé des opérations militaires au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Abondamment commentés, ces événements marquent la plus lourde défaite du groupe Wagner dans son soutien à l’armée malienne. Il s’agit là d’un tournant significatif dans la stratégie commune russo-malienne de lutte contre les groupes armés non étatiques.
Contrat opaque avec des régimes illégaux
Le lourd bilan humain infligé aux éléments russes lors des affrontements de Tin Zaouatine signent la fin du « mythe Wagner » pour ceux qui accordaient un crédit à la présence de l’organisation paramilitaire auprès des juntes du Sahel. Cet épisode souligne un peu plus encore les limites de la trouble alliance entre la junte malienne et les mercenaires russes, dont les finalités ont été régulièrement interrogées par les observateurs. Plus généralement, cette actualité renvoie à la question, souvent évoquée, de « l’utilité » de Wagner dans les pays africains où il a établi ses quartiers au cours des cinq dernières années. En Centrafrique où Wagner a déployé son plus large espace d’activités, l’on signale davantage les exactions commises par ses agents contre les populations les plus fragiles que leur contribution à la lutte contre les groupes armés. Selon le magazine britannique The Times, « c’est dans ce pays d’Afrique centrale que la société paramilitaire russe a posé son plus solide jalon africain, en mettant la main sur les richesses du pays, en monnayant sa protection armée et en commettant diverses exactions. Un modèle exporté désormais à tout le continent« . Au Mali, tout comme en Centrafrique, le nombre de civils tués par ces mercenaires ne se chiffre plus. La milice se montre plus prompte à s’acharner sur les civils, allègrement confondus avec des « terroristes « , qu’à appliquer une stratégie cohérente de lutte contre le fléau désigné. Aux côtés de l’armée malienne, les coupe-jarrets de Wagner tirent sur tout ce qui bouge et ne se privent pas des pires atrocités pour justifier leur conséquente rétribution… Au nom d’un contrat opaque avec des régimes illégaux, Wagner relègue bien souvent la lutte contre l’insécurité au rang de l’accessoire. Dans son agenda, l’établissement ou la gestion de l’exploitation minière, ainsi que la comptabilité des retombées financières de son engagement, supplantent bien souvent la nécessité d’une offensive méthodique contre les facteurs et fauteurs des violences terroristes.
L’on n’a cessé de le signaler : non seulement la présence de Wagner n’a nulle part fait reculer les violences terroristes, mais elle en a aussi amplifié les formes et manifestations. Et le tout se produit sous l’égide d’une complicité toxique entre le régime de Vladimir Poutine et les régimes illégaux, voire putschistes. Combien de temps faudra-t-il encore aux instances africaines pour réagir contre ce poison importé sur le continent ? Combien de temps leur faudra-t-il pour se saisir de ces alliances mortifères entre une milice prédatrice et criminelle commanditée par Moscou, et des régimes aventureux davantage soucieux de leur propre protection que celle des populations ?
Les « préoccupations » de l’Algérie
Dans ce contexte, il faut prêter une attention particulière aux réticences de l’Algérie, pourtant « alliée historique de la Russie », à l’égard de la présence de Wagner dans son voisinage. Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, avait confié, en avril 2022, au secrétaire d’État américain Antony Blinken, sa « préoccupation « , en ce qui concerne la présence des « mercenaires de Wagner dans la région« , notamment en Libye et au Mali. Renchérissant quelques mois plus tard, il déplorait, dans une interview au journal français Le Figaro, « les ressources investies par la junte malienne » pour rétribuer les services de Wagner. Selon lui, « l’argent que coûte cette présence serait mieux placé et plus utile s’il allait dans le développement du Sahel. »
A partir de janvier 2024, Alger a fait de cette présence l’un des points les plus sensibles de son agenda diplomatique. Ainsi, début mai 2024, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a, dans un cadre officiel, signifié à son homologue russe, Sergueï Lavrov, que son gouvernement considère désormais comme « une menace » la présence en Afrique du groupe Wagner. Moscou, soucieux de ne pas abîmer sa « relation historique » avec Alger, a alors décidé de créer une commission mixte pour « étudier la question ». Si ces préoccupations d’Alger dissimulent mal des raisons liées à sa gestion spécifique des questions sécuritaires et stratégiques de l’environnement régional, elles n’en révèlent pas moins l’urgence pour l’ensemble des grands acteurs de la région de se pencher sur le sulfureux dossier Wagner, eu égard à ses véritables fondements et finalités.
On le voit, la « sous-traitance » de la coopération sécuritaire russo-africaine confiée au groupe paramilitaire par le régime de Poutine produit peu à peu un nœud diplomatique et politique dans une région en proie à une crise multiforme. Cette conséquence était prévisible… Dans le Sahel, il aura fallu les récents événements au Mali pour que certains s’interrogent de nouveau sur la nature du deal entre les pouvoirs militaires issus de putschs et le groupe Wagner. Pourtant, des informations, documents et autres rapports n’ont cessé de renseigner, depuis 2020, sur les menaces inhérentes à la présence de cette milice sur le continent, et toutes les horreurs dont elle se rend coupable de la Centrafrique au Mali, et peut-être demain au Niger et au Burkina Faso. Question persistante, cependant : pourquoi la Russie ne peut-elle se résoudre à proposer à ses partenaires qui en expriment le besoin, des contingents de son armée régulière, plutôt que de réduire cette « coopération » à la seule sous-traitance Wagner ? La réponse est certainement dans l’énigme du deal conclu par Moscou et les régimes concernés en Afrique. Dans le Sahel, les conséquences de ce contrat seront peut-être l’un des facteurs déterminants de la ruine des pouvoirs politiques qui y sont associés. A ce propos, les responsables politiques ouest-africains devraient s’atteler à évaluer et prévenir, dès à présent, les effets collatéraux qui en résulteraient pour l’ensemble de cette région.
A part ça… Le 24 juillet dernier, l’ambassade de Russie au Mali et au Niger publiait sur son site Internet un texte déconseillant aux citoyens russes toute visite sur l’ensemble du territoire de ces deux pays « en raison de la situation sécuritaire difficile et du niveau élevé de la menace terroriste « . Cette recommandation intervenait au moment où le Mali et le Niger enregistraient de lourdes pertes sur le front de la lutte antiterroriste : 47 soldats maliens et 237 éléments nigériens des Forces de défense et de sécurité tués. Le pire bilan humain pour le Niger dans le cadre de la lutte contre les groupes armés terroristes (GAT). Par ailleurs, la recommandation de l’ambassade russe ne manquait pas de surprendre, quand on sait que cette région n’est pas des plus fréquentées par les touristes et voyageurs d’affaires originaires de la Russie. Le texte de l’ambassade a été retiré du site vingt-quatre heures après sa publication. Probablement sur recommandation expresse des donneurs d’ordre de Moscou.
Par Francis Laloupo
Contrat opaque avec des régimes illégaux
Le lourd bilan humain infligé aux éléments russes lors des affrontements de Tin Zaouatine signent la fin du « mythe Wagner » pour ceux qui accordaient un crédit à la présence de l’organisation paramilitaire auprès des juntes du Sahel. Cet épisode souligne un peu plus encore les limites de la trouble alliance entre la junte malienne et les mercenaires russes, dont les finalités ont été régulièrement interrogées par les observateurs. Plus généralement, cette actualité renvoie à la question, souvent évoquée, de « l’utilité » de Wagner dans les pays africains où il a établi ses quartiers au cours des cinq dernières années. En Centrafrique où Wagner a déployé son plus large espace d’activités, l’on signale davantage les exactions commises par ses agents contre les populations les plus fragiles que leur contribution à la lutte contre les groupes armés. Selon le magazine britannique The Times, « c’est dans ce pays d’Afrique centrale que la société paramilitaire russe a posé son plus solide jalon africain, en mettant la main sur les richesses du pays, en monnayant sa protection armée et en commettant diverses exactions. Un modèle exporté désormais à tout le continent« . Au Mali, tout comme en Centrafrique, le nombre de civils tués par ces mercenaires ne se chiffre plus. La milice se montre plus prompte à s’acharner sur les civils, allègrement confondus avec des « terroristes « , qu’à appliquer une stratégie cohérente de lutte contre le fléau désigné. Aux côtés de l’armée malienne, les coupe-jarrets de Wagner tirent sur tout ce qui bouge et ne se privent pas des pires atrocités pour justifier leur conséquente rétribution… Au nom d’un contrat opaque avec des régimes illégaux, Wagner relègue bien souvent la lutte contre l’insécurité au rang de l’accessoire. Dans son agenda, l’établissement ou la gestion de l’exploitation minière, ainsi que la comptabilité des retombées financières de son engagement, supplantent bien souvent la nécessité d’une offensive méthodique contre les facteurs et fauteurs des violences terroristes.
L’on n’a cessé de le signaler : non seulement la présence de Wagner n’a nulle part fait reculer les violences terroristes, mais elle en a aussi amplifié les formes et manifestations. Et le tout se produit sous l’égide d’une complicité toxique entre le régime de Vladimir Poutine et les régimes illégaux, voire putschistes. Combien de temps faudra-t-il encore aux instances africaines pour réagir contre ce poison importé sur le continent ? Combien de temps leur faudra-t-il pour se saisir de ces alliances mortifères entre une milice prédatrice et criminelle commanditée par Moscou, et des régimes aventureux davantage soucieux de leur propre protection que celle des populations ?
Les « préoccupations » de l’Algérie
Dans ce contexte, il faut prêter une attention particulière aux réticences de l’Algérie, pourtant « alliée historique de la Russie », à l’égard de la présence de Wagner dans son voisinage. Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, avait confié, en avril 2022, au secrétaire d’État américain Antony Blinken, sa « préoccupation « , en ce qui concerne la présence des « mercenaires de Wagner dans la région« , notamment en Libye et au Mali. Renchérissant quelques mois plus tard, il déplorait, dans une interview au journal français Le Figaro, « les ressources investies par la junte malienne » pour rétribuer les services de Wagner. Selon lui, « l’argent que coûte cette présence serait mieux placé et plus utile s’il allait dans le développement du Sahel. »
A partir de janvier 2024, Alger a fait de cette présence l’un des points les plus sensibles de son agenda diplomatique. Ainsi, début mai 2024, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a, dans un cadre officiel, signifié à son homologue russe, Sergueï Lavrov, que son gouvernement considère désormais comme « une menace » la présence en Afrique du groupe Wagner. Moscou, soucieux de ne pas abîmer sa « relation historique » avec Alger, a alors décidé de créer une commission mixte pour « étudier la question ». Si ces préoccupations d’Alger dissimulent mal des raisons liées à sa gestion spécifique des questions sécuritaires et stratégiques de l’environnement régional, elles n’en révèlent pas moins l’urgence pour l’ensemble des grands acteurs de la région de se pencher sur le sulfureux dossier Wagner, eu égard à ses véritables fondements et finalités.
On le voit, la « sous-traitance » de la coopération sécuritaire russo-africaine confiée au groupe paramilitaire par le régime de Poutine produit peu à peu un nœud diplomatique et politique dans une région en proie à une crise multiforme. Cette conséquence était prévisible… Dans le Sahel, il aura fallu les récents événements au Mali pour que certains s’interrogent de nouveau sur la nature du deal entre les pouvoirs militaires issus de putschs et le groupe Wagner. Pourtant, des informations, documents et autres rapports n’ont cessé de renseigner, depuis 2020, sur les menaces inhérentes à la présence de cette milice sur le continent, et toutes les horreurs dont elle se rend coupable de la Centrafrique au Mali, et peut-être demain au Niger et au Burkina Faso. Question persistante, cependant : pourquoi la Russie ne peut-elle se résoudre à proposer à ses partenaires qui en expriment le besoin, des contingents de son armée régulière, plutôt que de réduire cette « coopération » à la seule sous-traitance Wagner ? La réponse est certainement dans l’énigme du deal conclu par Moscou et les régimes concernés en Afrique. Dans le Sahel, les conséquences de ce contrat seront peut-être l’un des facteurs déterminants de la ruine des pouvoirs politiques qui y sont associés. A ce propos, les responsables politiques ouest-africains devraient s’atteler à évaluer et prévenir, dès à présent, les effets collatéraux qui en résulteraient pour l’ensemble de cette région.
A part ça… Le 24 juillet dernier, l’ambassade de Russie au Mali et au Niger publiait sur son site Internet un texte déconseillant aux citoyens russes toute visite sur l’ensemble du territoire de ces deux pays « en raison de la situation sécuritaire difficile et du niveau élevé de la menace terroriste « . Cette recommandation intervenait au moment où le Mali et le Niger enregistraient de lourdes pertes sur le front de la lutte antiterroriste : 47 soldats maliens et 237 éléments nigériens des Forces de défense et de sécurité tués. Le pire bilan humain pour le Niger dans le cadre de la lutte contre les groupes armés terroristes (GAT). Par ailleurs, la recommandation de l’ambassade russe ne manquait pas de surprendre, quand on sait que cette région n’est pas des plus fréquentées par les touristes et voyageurs d’affaires originaires de la Russie. Le texte de l’ambassade a été retiré du site vingt-quatre heures après sa publication. Probablement sur recommandation expresse des donneurs d’ordre de Moscou.
Par Francis Laloupo