Le chanteur et opposant sénégalais Youssou Ndour, le 4 février 2012. V. WARTNER / 20 MINUTES
20minutes: Pourquoi avoir décidé de vous lancer en politique ?
Youssou Ndour: Je veux que les choses changent. Tout part d’un constat insupportable face à un Sénégal qui recule démocratiquement, un Sénégal qui subit de plein fouet la crise économique, où la pauvreté est en train de s’amplifier d’une manière extraordinaire et où on parle même de famine. Ce n’est plus possible. D’autant que ce mouvement va de paire avec une certaine ségrégation de la part d’une caste formées par des gens qui pensent qu’eux seuls ont le droit de diriger ce pays. Depuis l’indépendance ils pensent qu’ils ont tous les droits politiques.
Du coup, j’ai voulu faire une proposition: la création d’un mouvement citoyen. Cette proposition a trouvé un écho très fort au sein de la population sénégalaise, qui, par millions a manifesté et demandé que je me présente à l’élection présidentielle. Les Sénégalais pensent que j’ai les capacités de sortir ce pays du marasme dans lequel il se trouve.
Pensez-vous que c’est en raison de votre popularité que votre candidature à la présidentielle a été invalidée ?
Oui. Ce pays n’a pas de sondages, mais s’il y en avait, c’est sûr qu’il [le Président Abdoulaye Wade] dégagerait, car je suis majoritaire. Le pouvoir le sait, d’ailleurs, c’est pourquoi il a décidé d’un coup d’Etat contre ce pays et contre ma personne. Mais je considère cette période que nous vivons comme une transition. Les vraies élections [sans Abdoulaye Wade, ainsi que le revendique la coalition M23, qui regroupe presque tous les autres candidats] vont se tenir le 26 février prochain et le pays ne pourra qu’aller mieux.
D’après vous, le passé d’Abdoulaye Wade ne plaide pas en la faveur de sa candidature?
Il a fait des choses. Mais il y a aussi beaucoup de choses qu’il n’a pas faites. Cela pose tout de même un vrai problème de construire des statues qui coûtent des milliards d’euros [le monument de la Renaissance africaine, construit par Wade] quand des gens à l’intérieur du Sénégal n’ont même pas d’eau potable. Et puis, certes, il a fait des choses mais à quel prix ? Le Sénégal - et ce sont les agences de notation internationales qui le disent - est un pays extrêmement corrompu.
Mais c’est aussi un pays en paix, pour l’instant… Est-ce que ces élections sont susceptibles de déstabiliser le pays ?
Vous parlez de paix alors qu’il y a déjà eu cinq morts [depuis les premières manifestations le 23 juin 2011] et qu’il pourrait y en avoir plus? En maintenant sa candidature, Abdoulaye Wade appelle à la révolte. Et le pays commence à entrer dans une phase critique.
Vous pensez que la communauté internationale devrait accroître sa pression sur Wade pour l’encourager à se retirer de la course à la présidentielle ?
La communauté internationale perd les pédales. Elle est intervenue dans certains pays pour moins que ce qu’il se passe actuellement chez nous. Il est temps qu’elle n’agisse pour le Sénégal avant que le pays ne sombre.
Propos recueillis par Armelle Le Goff et Vincent Wartner, au Sénégal (20minutes)