Zambie: présidentielle test sur fond de crise économique

Les électeurs zambiens sont appelés aux urnes pour des élections présidentielles, législatives et locales, ce jeudi. Le président sortant Edgar Lungu avait été élu en janvier 2015, après le décès de Michael Sata, mais le scrutin avait été contesté par l’opposition. Cette fois, au terme d'une campagne tourmentée, l'UPND a indiqué qu'elle n'accepterait aucune défaite. En toile de fond, la crise économique inédite qui frappe le pays n’arrange rien. La Zambie jouit d'une réputation de stabilité depuis plusieurs décennies.



C’est un vieux routier de la politique. Il concourt pour la cinquième fois à la magistrature suprême. L’économiste et homme d’affaires Hakainde Hichilema, 54 ans, est le principal candidat de l’opposition, à la tête du Parti uni pour le développement national (UPND, libéral). Face à lui, un seul obstacle, qu’il connaît bien : le président sortant Edgar Lungu.
 
Ce dernier, de six ans son aîné, avocat d’origine modeste, est en poste depuis un an et demi seulement. Il était ministre de la Défense avant d'être élu en janvier 2015 après le décès de son prédécesseur, Michael Sata, à Londres en octobre 2014, des suites de sa maladie. Lors de ce scrutin, Edgar Lungu (Front patriotique, PF, social-démocrate) avait battu Hichilema d’extrême justesse, avec 28 000 voix d’avance (1,5%). Le perdant avait alors qualifié le scrutin de « simulacre ». De son côté, la commission de l’Union africaine par la voix de sa présidente, Nkosazana Dlamini-Zuma, avait félicité la Zambie pour avoir « organisé des élections exemplaires, réussies et dans le calme ».
 
L’ancien président nigérian Goodluck Jonathan est chargé par l’UA de superviser le rendez-vous électoral. Sur Twitter, il se montre pour l’instant très investi dans sa mission, laquelle s’annonce délicate et imprévisible. Vaste pays d’Afrique australe, la Zambie connaît une stabilité notoire depuis l’avènement du pluralisme démocratique, en 1991. « La mort de Michael Sata a déséquilibré la vie politique zambienne. Des fissures à l’intérieur du Front patriotique (au pouvoir) sont apparues. Ces divisions ont créé une brèche pour l’UPND », estime Ryan Cummings, analyste sécurité basé dans la région, sollicité par RFI.
 
Le scrutin de 2011 avait été émaillé de heurts sporadiques à Lusaka et dans des villes minières. Cependant, les tensions survenues durant cette campagne 2016 se distinguent par leur degré inédit de violence.
 
La campagne tourmentée
 
Des morts ont été déplorés dans chaque camp. Vendredi 8 juillet, un militant de l'opposition est tué par la police en marge d'un rassemblement de l'UPND. Les forces de l’ordre avaient ouvert le feu après que le parti eut refusé d'annuler un meeting à Lusaka. La Commission électorale nationale a alors pris la décision de suspendre la campagne pour une dizaine de jours.
 
Le candidat Lungu a montré un visage plutôt radical ces derniers mois. Il a menacé ses opposants à plusieurs reprises, et a été accusé de tenter de museler l'opposition. Le vice-président de l’UPND, Geoffrey Mwamba, a été arrêté à deux reprises cette année pour avoir « diffamé » le chef de l’Etat. En juin, le Post, le principal quotidien indépendant du pays a été fermé, car il est redevable, selon les autorités, de près de cinq millions de dollars au fisc. « S'ils me mettent au pied du mur, je suis prêt à sacrifier la démocratie pour la paix », avait lancé Lungu lors d'un récent meeting dans la province minière du Copperbelt (centre), une région décisive pour l'élection. « S'il faut prendre des mesures draconiennes, je les prendrai. »
 
De son côté, dans une interview à Africa Report, Hichilema a accusé des cadres du parti adverse de « se faire passer pour des membres de la police, de molester des militants de l’opposition, de casser leurs jambes et de tirer sur les gens ».
 
Les autorités sont par ailleurs au cœur de plusieurs polémiques. L’une d’entre elles concerne les bulletins de vote. Le contrat d’impression a été passé avec une société qatarienne, alors que jusqu’à présent, c’est une entreprise sud-africaine qui s’en chargeait. Un choix fort surprenant, dit l’opposition, puisqu’il coûte beaucoup plus cher de faire appel à un pays aussi éloigné. Des partis, UPND en tête, se sont élevés contre cette décision, évoquant de potentielles connivences entre cette société et le pouvoir en place susceptibles d’entacher le scrutin.
 
Une économie en berne
 
Enfin, un autre phénomène, plus structurel, semble responsable de ces tensions sociales récentes : la crise économique majeure que traverse la Zambie. La croissance zambienne est certes de 3,6%, un taux qui ferait pâlir d’envie nombre de dirigeants européens. Pourtant, elle n’a pas été aussi faible depuis près de dix ans.
 
La Zambie a longtemps été le premier producteur mondial de cuivre raffiné. Or, fin août 2015, le cours du métal rouge a chuté à son plus bas niveau en six ans, passant sous la barre des 5000 dollars la tonne contre près 10 000 dans le passé. Principal facteur : l’augmentation de la production de cuivre en RDC, et la surproduction sur les marchés mondiaux d’une manière plus globale, comme l’expliquait alors Claire Fages, spécialiste des matières premières à RFI.
 
Depuis, le kwacha, la monnaie nationale, s’est effondré. Les conséquences pour la population sont directes : des milliers d'emplois supprimés dans le secteur minier, inflation supérieure à 20%, un déficit de 8% du Produit intérieur brut, un pouvoir d’achat en chute libre. Si cela ne suffisait pas, une période sécheresse dans l’ensemble de la sous-région a grandement affecté la production d’électricité… essentielle, entre autres, pour le fonctionnement des mines. Les actes xénophobes qu’a connus la capitale en avril dernier trouvent probablement en partie leur source dans la situation économique difficile.
 
Edgar Lungu avait été élu en janvier 2015, sur des discours pleins de promesses, notamment sur la pauvreté, la hausse des salaires des fonctionnaires, une meilleure redistribution sociale des richesses, dans la droite ligne de feu le président Sata. L'an dernier, le chef de l’Etat a organisé une prière dans un stade, implorant un redressement de l'économie dans ce pays où près de 60% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale.
 
« Un risque élevé de violences » post-électorales
 
Le vainqueur de l'élection sera élu pour cinq ans. « L’opposition a déjà déclaré qu’elle ne reconnaîtrait aucune défaite. Cela signifie que n’importe quel résultat, qu’il soit issu d’un processus légitime ou illégitime, sera contesté si l’opposition venait à perdre le scrutin », indique Ryan Cummings.
 
Si aucun des deux candidats n'obtient 50% des voix, un second tour sera organisé. Le scrutin s’annonce une nouvelle fois particulièrement serré. « Cette fois, c'est une élection pour un mandat complet, donc il y a plus d'enjeux (qu'en 2015). Il y a un risque élevé de violences et de contestation après le scrutin surtout s'il est serré », craint Sabine Machenheimer, une spécialiste de la Zambie pour Jane's, un groupe d'analyse en défense et sécurité.
 
« Avec des contestations de fraudes électorales, encore très fraîches dans les esprits de nombreux militants de l’opposition, et une période pré-électorale marquée par la violence, la démocratie zambienne affronte peut-être sa plus difficile épreuve (…) Trente années de progrès démocratiques sont sérieusement menacées », alerte encore Ryan Cummings.
 
Si Hakainde Hichilema venait à l’emporter, ce serait la troisième alternance démocratique en Zambie en 25 ans.


Source: Rfi.fr


Jeudi 11 Aout 2016 07:00


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