Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche semble inaugurer une nouvelle ère de repli stratégique des États-Unis sur eux-mêmes. Fidèle à sa doctrine « America First », l’ancien président mise à nouveau sur un protectionnisme assumé, avec des mesures tarifaires ciblées, notamment à l’encontre de la Chine, mais également envers d'autres partenaires commerciaux. À titre d’exemple, les droits de douane sur les produits chinois avaient atteint 25 % sur 360 milliards de dollars d’importations lors de son premier mandat. Une escalade similaire est à prévoir.
Dans ce contexte, il est légitime de s’interroger, depuis l’Afrique, sur la viabilité et surtout sur les implications géoéconomiques mondiales d’un tel virage. Car dans un monde globalisé, interdépendant et confronté à des défis communs – changements climatiques, instabilité sécuritaire, crises sanitaires – un repli protectionniste généralisé ne peut qu’accentuer les tensions.
UN MODÈLE À OBSERVER... MAIS À ADAPTER INTELLIGEMMENT
Certes, la volonté de Donald Trump de protéger l’industrie locale américaine répond à une logique souverainiste : redonner à l’Amérique sa capacité de production, relocaliser l’emploi, sécuriser les chaînes d’approvisionnement. Mais transposée hors du contexte américain, cette stratégie pourrait être à double tranchant.
L’Afrique, notamment, gagnerait à s’en inspirer de manière ciblée, non pas en fermant systématiquement ses frontières, mais en favorisant l’émergence de chaînes de valeur régionales. Le commerce intra-africain ne représente environ que 17 % des échanges, contre plus de 60 % dans l’Union européenne. C’est dire le chemin à parcourir.
Dans cette optique, il serait pertinent que l’Afrique adopte également une politique de contingentement ciblé, consistant à limiter l’importation de certains produits sur lesquels elle dispose déjà d’un savoir-faire ou d’une capacité de production locale. Cela passerait notamment par une hausse stratégique des droits de douane sur ces produits afin de décourager leur importation massive, stimuler la production locale et renforcer l’autonomie industrielle du continent.
CINQ LIMITES MAJEURES DU PROTECTIONNISME AMÉRICAIN
1 UNE ÉCONOMIE MONDIALE PROFONDÉMENT INTERDÉPENDANTE
La mondialisation a permis à plusieurs pays – dont la Chine – d’émerger grâce à la spécialisation. Les États-Unis bénéficient eux aussi de cette interconnexion, via leurs échanges avec le Mexique, le Canada, la Chine... Rompre ces liens pourrait ralentir la croissance mondiale, au détriment même des Américains.
2 DES COÛTS DE PRODUCTION QUI EXPLOSENT
Les entreprises américaines – Tesla, Apple, Ford – dépendent des intrants étrangers. Taxer ces composants augmente les coûts, diminue la compétitivité, et affaiblit l’innovation.
3 UN RISQUE INFLATIONNISTE ACCRU
Les consommateurs américains risquent de voir les prix grimper. Et puisque la consommation pèse 68 % du PIB américain, une baisse du pouvoir d’achat pourrait avoir un effet domino sur l’investissement et l’emploi.
4 UNE DÉPENDANCE STRATÉGIQUE VIS-À-VIS DE LA CHINE
Pékin détient une part importante de la dette américaine et fournit des biens essentiels. Une escalade pourrait déstabiliser les marchés financiers mondiaux. Et l’Afrique, souvent dépendante de ces équilibres globaux, en subirait indirectement les conséquences.
5 UN RISQUE DE DÉDOLLARISATION ACCÉLÉRÉE
Le protectionnisme américain pourrait pousser des coalitions comme les BRICS à s’émanciper davantage du dollar. L’Afrique, souvent exclue des décisions monétaires mondiales, doit suivre cette évolution avec attention. Car toute bascule du système financier mondial aura un impact sur le financement de ses projets de développement.
ET L’AFRIQUE DANS TOUT CELA ?
L’Afrique ne peut rester spectatrice. Si les grandes puissances optent pour des politiques protectionnistes, le continent doit tirer parti de cette recomposition géoéconomique pour défendre ses intérêts stratégiques. Il s’agit notamment :
1 D'accélérer la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale (ZLECAF) ;
2 De favoriser les investissements dans la transformation locale des matières premières ;
3 D'encourager une fiscalité intelligente sur les produits importés de luxe pour stimuler la production locale.
UN APPEL À DONALD TRUMP : FAIRE DE L’AFRIQUE UN PARTENAIRE STRATÉGIQUE
Donald Trump a souvent donné le sentiment d’ignorer l’Afrique. Pourtant, avec 1,5 milliard d’habitants en 2040 et un potentiel énorme dans les domaines de l’énergie, de l’agriculture, de l’innovation, le continent mérite plus qu’une marginalisation.
Une Amérique qui veut se réinventer pourrait trouver en Afrique un allié stratégique, à condition d’adopter une approche fondée sur le partenariat, l’investissement productif, et la coopération technologique.
VERS UN PROTECTIONNISME INTELLIGENT ?
Le protectionnisme peut-il être viable ? À court terme, peut-être. Mais à long terme, il doit s’accompagner de mesures d’accompagnement intelligentes : investir dans la R&D, encourager des partenariats ciblés, et éviter l’isolement idéologique.
Donald Trump gagnerait à adopter une posture moins solitaire. Et l’Afrique, de son côté, doit transformer cette nouvelle donne mondiale en levier d’affirmation économique, en se dotant de politiques industrielles cohérentes et ambitieuses.
Magaye GAYE
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