« L’exil est douloureux parce qu’on est loin de son peuple, de ses proches parents et de ses lieux d’enfance », ainsi parle la Djiboutienne Aicha Dabale. Exilée de son pays depuis longtemps, cette ancienne prisonnière d’opinions d’Afrique a encore des larmes aux yeux lorsqu’elle raconte son enfance heureuse chez sa grand-mère à Adoïla (dans le nord) qu’elle n’a pas pu revoir avant de fuir son pays pour de bon en 1997. Depuis, elle vit dans le souvenir nostalgique de Djibouti Ville et d’Oued Adoïla et attend fiévreusement le moment où elle pourra retourner parmi les siens et reprendre possession de sa terre. « Quand ce moment viendra, je pourrais prendre mes clics et mes clacs et partir sans donner préavis, abandonner sans regret tout ce que j’ai construit ici si péniblement. »
Résistance contre la dictature
Depuis trente ans, Aïcha Dabale attend ce moment. A 57 ans, après avoir connu la dictature, la prison, la torture, le désespoir et beaucoup de déceptions et de désillusions, l’activiste djiboutienne sait que la fin du régime Guelleh qu’elle attend pour retourner dans son pays pourrait ne pas survenir de son vivant, mais elle ne s’y résigne pas et milite pour hâter le changement.
La dernière fois où elle a eu l’espoir de voir le changement enfin s’opérer, c’était en février 2013 lorsque, sous la pression de ses alliés occidentaux, le régime djiboutien a fini par convoquer des élections législatives pour la première fois depuis 2003, avec la participation de l’opposition. Mais le scrutin fut marqué par des fraudes et des tricheries massives et déboucha sur la victoire du parti au pouvoir, même si « les électeurs avaient massivement voté pour la coalition de l’opposition ».
Aïcha Dabale regrette le « silence radio » de la communauté internationale malgré les manifestations populaires de grande ampleur qui ont eu lieu après la proclamation des résultats. Membre de l’Observatoire pour le respect des droits humains à Djibouti, elle avait pourtant alerté de multiples ambassadeurs et responsables politiques sur la répression en cours. En vain ! « Les puissances occidentales ont eu trop peur, explique-t-elle non sans lucidité, de se retrouver avec un nouveau « printemps arabe » dans ce pays stratégique où elles ont des intérêts militaires importants ».
Les vertus de la persévérance
Lucide, mais optimiste, Aïcha Dabale. Elle ne désespère pas de voir un jour la démocratie et la liberté s’imposer dans son pays ravagé par près de quarante ans de dictature et de corruption. « Les choses changent, mais elles changent lentement. Il faut persévérer, continuer la lutte », chuchote-t-elle.
Aïcha Dabale parle d’expérience. Militant depuis très longtemps pour la fin de la pratique de l’excision qui s’est révélée si néfaste dans sa partie du monde, elle proclame avoir vu ces dernières années les mentalités changer, même chez les hommes. Elle-même, elle a été excisée à l’âge de 7 ans. Elle se souvient du sang, de la douleur, de la mort qui rôdait dans les parages. Elle se souvient aussi de son père qui était contre cette pratique ancienne et barbare, mais n’avait pas osé élever sa voix tant la pression sociale était forte. « Mon père était quelqu’un de progressiste. Il a scolarisé ses six filles, car il voulait que nous soyons indépendantes, mais s’agissant de l’excision, il a laissé faire, sans doute parce qu’il avait peur de s’opposer à une tradition si profondément ancrée dans les mentalités. »
Ce sera à la jeune Aïsha de relever le défi. A 17 ans, celle-ci crée dans le cadre de son lycée le premier comité de la Corne de l’Afrique contre les mutilations génitales féminines. « J’ai déclaré que personne ne toucherait à mes filles ou à aucune autre petite fille. On me prenait alors pour une débile mentale, car chez nous, les Afars, c’était un tabou de s’attaquer à ces pratiques. Etrangement, j’ai trouvé des alliées parmi des lycéennes qui, comme moi, voulaient que ces mutilations s’arrêtent. »
Quarante ans après, les mutilations continuent, mais la sensibilisation à cette pratique néfaste a gagné du terrain tant chez les femmes que chez les hommes. « Aujourd’hui, les Africains sont de plus en plus nombreux, rappelle Aïsha Dabalé, à lutter contre ces pratiques. Sous la pression des organisations qui coordonnent la lutte, certains pays ont même adopté des lois pour criminaliser l’excision. Il faut maintenant lutter pour que ces lois soient appliquées. »
Combat contre les militaires violeurs
Dénoncer le viol des femmes Afars par les militaires djiboutiens est le troisième grand combat d’Aïcha Dabale. Ce combat lui a valu l’emprisonnement, la torture et finalement l’expulsion de Djibouti en 1998, car elle était aux prises avec le cœur du pouvoir : les militaires. Ceux-ci n’apprécient pas trop d’être pointés du doigt dans les tribunes internationales. Ce que la Djiboutienne n’a cessé de faire. La première fois, à la Conférence de Pékin en 1995, où elle a fait dénoncer ces crimes par la Fédération démocratique internationale des Femmes. De nouveau, encore récemment, en 2012, devant les instances des Nations unies où elle a attiré l’attention sur les viols de plus de 200 femmes Afars par les soldats gouvernementaux qui bénéficient de l’impunité.
Les conséquences de ces dénonciations furent graves pour la militante qui travaillait dans les années 1990 en Ethiopie pour la scolarisation des enfants nomades. Le 27 septembre 1997, elle fut extradée avec son mari vers Djibouti. Le régime l’accusait d’avoir été l’instigatrice intellectuelle d’une attaque contre les soldats djiboutiens. En réalité, on lui en voulait d’avoir étalé l’affaire des viols sur la place publique internationale. Alors qu’elle était enceinte de trois mois, elle fut jetée dans la terrible prison de Gabode où les conditions de détention sont pour le moins inhumaines. Elle restera en prison plusieurs mois et devra sa survie aux mobilisations internationales en sa faveur. Une semaine avant son accouchement, elle fuira le pays pour se réfugier en France.
Courageuse, Aïcha Dabale continue encore aujourd’hui de mener ce combat-là. Reçue en décembre dernier par l’ex-première dame de France, Valérie Trierweiler, à l’occasion de la réunion des premières dames qui s’est tenue en marge du dernier sommet France-Afrique, elle a de nouveau évoqué le viol des femmes djiboutiennes par des militaires de leur pays et l’impunité dont ceux-ci continuent de bénéficier chez eux. « Madame Trierweiler m’avait écoutée, se souvient la militante, avec beaucoup d’attention et avait promis de soulever la question avec la délégation djiboutienne. Chose qu’elle avait sans doute faite, car elle m’a paru être une femme digne de confiance. »
Lorsqu’on demande à Aïcha Dabale ce qu’elle pense, après tant d’années passées en France, de la condition de la femme française, elle sourit mystérieusement. Puis la réponse fuse : « Le combat pour la dignité de la femme n’est nulle part gagné d’avance. »
Source : Rfi.fr
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