Un mot, comme un métronome, revient sans cesse dans la bouche de Floribert Ndjabu : « broyé ». Le 5 juillet, à quelques heures de son vol retour pour Kinshasa, l’ex-milicien congolais conserve pourtant un demi-sourire combattif. « Je mourrai avec la vérité dans la bouche », lâche-t-il. Au parloir du centre de rétention de Schiphol, un bloc de béton planté derrière les pistes de l’aéroport d’Amsterdam, l’ex-milicien a 45 minutes, « pas plus », pour raconter ses trois dernières années de combat judiciaire, sous les regards suspicieux de deux gardiens néerlandais.
Kabila accusé
Au printemps 2011, Floribert Ndjabu quittait sa prison de Makala, à Kinshasa, direction La Haye. Avec deux autres témoins, Pierre Mbodina Iribi, ancien membre des services de renseignement congolais, et Sharif Manda, il venait déposer en faveur de Germain Katanga, commandant dans une milice de l’Ituri, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), et condamné depuis par la Cour pénale internationale (CPI) à 12 ans de prison pour crimes contre l’humanité.
Au cours de leurs dépositions, les trois Congolais accusaient le président Joseph Kabila pour le massacre de Bogoro en 2003. Une attaque planifiée par Kinshasa pour reprendre des territoires tombés aux mains de milices à la solde de l’Ouganda et pour laquelle Germain Katanga devait répondre de crimes contre l’humanité. Après leurs dépositions, à la surprise des juges, les trois hommes avaient demandé l’asile aux Pays-Bas, ouvrant ce qui allait devenir un long feuilleton politico-judiciaire.
Le cauchemar de La Haye
Pour les autorités néerlandaises, le scénario est en effet cauchemardesque. Elles craignent que la Cour ne devienne une porte d’entrée sur leur territoire. Kinshasa demande le retour sans attendre des trois détenus. Quant à la CPI, elle accepte de les renvoyer en RDC après avoir obtenu des garanties de Kinshasa, mais attend la clôture de la demande d’asile. En janvier 2014, alors que les témoins sont emprisonnés sous sa garde depuis près de trois ans sans base légale, elle ordonne leur libération. Mais rien ne se passe.
« L’unique possibilité d’en sortir, c’était la grève de la faim », raconte Floribert Ndjabu. L’ex-milicien perd une dizaine de kilos, fait un malaise, se retrouve à l’hôpital de la prison. Mais sa « grève a payé », affirme-t-il. La veille d’une audience devant la Cour suprême, le 5 juin, cette dernière finit par libérer les trois hommes qui sont immédiatement incarcérés au centre de rétention de Schiphol. « Dans la prison de la CPI, ils ont été durs avec nous, très durs. Ils voulaient que nous renoncions à notre demande d’asile. Ils refusaient toutes nos demandes, ils nous traitaient moins bien que les accusés. »
Le témoin dénonce Kinshasa
Puis tout est allé très vite. Déboutés de leur demande d’asile par les juges de la Cour suprême des Pays-Bas le 27 juin, les avocats des trois congolais se tournent alors vers la Cour européenne des droits de l’homme. « Le délibéré n’aura duré que trente minutes », selon Floribert Ndjabu. « C’était fini. C’est une histoire où nous sommes déjà broyés. » Vindicatif, ce père de sept enfants, « dispersés à travers le Congo pour leur sécurité », assure, dans un français presque parfait, que « Kabila a fait pression sur tout le monde ».
Victime de ce feuilleton kafkaïen, le politicien de 43 ans savait déjà que la partie qu’il jouait contre le pouvoir congolais serait difficile, mais s’étonne de la faiblesse de la Cour : « Je ne comprenais pas comment il était possible que les gens se méfient des décisions des juges de la CPI. Elle est là pourquoi ? Je ne sais pas ce qu’ils ont promis à Kabila. Pourquoi les Néerlandais refusaient-ils de nous détenir ? Tout cela pose beaucoup de questions. »
Le spectre d’une condamnation à mort
De retour à Kinshasa lundi matin, les trois hommes sont de nouveau incarcérés, mais cette fois dans la prison de Ndolo, réservée aux militaires congolais. L’affaire a, pour un temps, braqué les projecteurs sur eux. « Aujourd’hui, je n’ai pas besoin de protection physique, assure Floribert Ndjabu, confiant. Mais quelles que soient les garanties données à la CPI, elles ne me protègent pas contre un procès inéquitable. Les mesures de protection ne nous protègent pas contre une condamnation à mort. »
Cet horizon ne le confine pas au silence. Le 12 mai, il a adressé une lettre ouverte au président Kabila. Il y dénonce ses neuf années de détention sans connaître ni les charges portées contre lui, ni la condamnation. « Personne n’arrive à comprendre l’obstination ainsi que les motivations qui vous poussent au sadisme de me maintenir, même à l’étranger, dans la prison d’une prestigieuse institution internationale judiciaire, la CPI », a-t-il écrit au chef de l’Etat. Il y dénonce aussi l’absence de démocratie au Congo, un « appareil judiciaire gangréné par le clientélisme et la corruption », un régime où « les élites (…) continuent de piller les richesses du pays ».
Il parle vite, avec passion. Au parloir, les minutes sont comptées. « Il nous a trahis », lâche-t-il. « Nous avions soutenu le pays, Kabila a trahi les Ituriens. » « C’est terminé », insiste le gardien en anglais. L’ex-milicien emprunte de nouveau le long couloir qui le sépare de la cellule où il passera sa dernière nuit de prisonnier sur le sol européen.
Source : Rfi.fr
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