Nicolas Sarkozy a été condamné ce 1er mars par le tribunal correctionnel de Paris à trois ans de prison dont un ferme pour corruption et trafic d’influence, à l’issue du procès en première instance dans l’affaire des écoutes. En juillet dernier, il publiait « Le Temps des tempêtes », dans lequel il racontait ses relations avec différents chefs d’État africains, du célèbre « Discours de Dakar » à ses rencontres avec Bouteflika, Mohammed VI et Ben Ali, en passant par la visite controversée de Kadhafi à Paris.
Du tome 1 de ce Temps des tempêtes, Mémoires des deux premières années du quinquennat de Nicolas Sarkozy*, le lecteur familier de la complexe relation entre l’Afrique et les présidents français retiendra avant tout les dix pages relatives au désormais fameux « Discours de Dakar », prononcé le 26 juillet 2007 à l’université Cheikh Anta Diop.
Un discours proprement sidérant, entre exaltation culturaliste de l’Afrique ancestrale, obsession du refus de la repentance pour la période coloniale, catalogue de clichés provocateurs et jugements condescendants sur « l’homme africain ».
Même s’il affirme n’avoir, sur le fond, « rien à renier » de ce texte, dont il omet de préciser qu’il a été écrit par son conseiller Henri Guaino et à peine relu dans l’avion avant d’être prononcé, Nicolas Sarkozy confesse aujourd’hui que cette adresse à la jeunesse africaine fut « une erreur politique ».
Dakar : l’excuse pire que la faute
Treize années plus tard, l’ancien président aurait-il enfin admis que son discours ne reposait sur rien d’autre que des stéréotypes erronés, obsolètes et blessants ? Non, hélas. Car si « erreur » il y eût (« comment le contester ? » ajoute-t-il), elle ne serait pas due aux passages totalement déconnectés de la réalité africaine dont ce texte est truffé, mais bien au fait d’avoir voulu « dire la vérité » à un public qui n’était pas encore prêt à l’entendre.
Avec une naïveté que l’on espère sincère et sans se rendre compte qu’en l’espèce l’excuse est pire que la faute, Nicolas Sarkozy s’interroge : « Ai-je voulu trop en dire ? L’ai-je dit trop franchement ou trop brutalement ? […] Ai-je surestimé la maturité du débat politique africain ? ». En somme et puisque « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » (juillet 2007), attendre de lui qu’il soit en mesure d’« entrer » dans le discours de Dakar aurait été vain. L’autocritique, on le voit, n’est que de pure forme.
De son court séjour dakarois, Nicolas Sarkozy rapporte en outre dans Le Temps des tempêtes un portrait intrigué du président sénégalais de l’époque, Abdoulaye Wade, personnalité « aussi étrange qu’intéressante » selon lui.
« Érudit, titulaire d’une agrégation d’économie obtenue sur les bancs de l’université française, et en même temps assez désorganisé dans sa pensée. Suivre une conversation avec lui exigeait un très gros effort de concentration. Gros travailleur, il pouvait être impressionnant lorsqu’il décrivait ses projets de développement et en même temps complètement cyclothymique […]. Incontestable démocrate pour 90% de son activité, il pouvait céder à une des pulsions de son tempérament et envoyer un de ses opposants en prison ».
Le « tropisme » marocain
Autre portrait en demi-teinte, celui du président algérien Abdelaziz Bouteflika, à qui Nicolas Sarkozy rend visite en juillet, puis en décembre 2007.
« Converser avec lui prenait du temps. L’unité de mesure, c’était trois heures. Si une réunion durait moins, on pouvait considérer qu’elle avait été écourtée. Un détail me gênait. Il ne voulait pas converser en face à face. Nous étions toujours assis côte à côte. Il fallait constamment tourner la tête pour se regarder. Je quittais souvent la résidence où il me recevait, avec un fameux torticolis. Je devais également accepter que la première heure (et c’était un minimum) fût consacrée à ce qu’il appelait « la guerre de libération ». Il s’ensuivait un cortège de reproches sur les injustices et les atrocités auxquelles tout ceci avait donné lieu […]. Je dus également me justifier de ce qu’il appelait mon tropisme marocain. Je m’en défendis avec vigueur même si, intérieurement, je me disais : « Au moins, quand je suis à Rabat, le roi ne me reproche pas le protectorat ! »
Au Maroc justement, plus précisément à Marrakech, Nicolas Sarkozy se rend en voyage officiel en octobre 2007. Et à lire le compte-rendu ému qu’il fait de ce séjour dans ses Mémoires, il est difficile de ne pas donner raison au président algérien sur son « tropisme » chérifien, manifestement assumé.
« Le Maroc a bien de la chance de disposer d’un souverain de cette qualité » écrit-il à propos de Mohammed VI, après avoir fait l’éloge d’« un homme d’une grande intelligence, très francophile et d’une gentillesse qui ne se dément jamais », combinant « l’autorité de son père Hassan II », la « modernité de son âge » et « l’humanité de son tempérament ».
Kadhafi et « le prix à payer »
L’exact opposé finalement d’un Mouammar Kadhafi à qui Sarkozy consacre des phrases vengeresses lesquelles seront, on l’imagine, diversement commentées par ceux qui soutiennent que le dictateur libyen a financé la campagne présidentielle de l’auteur du Temps des tempêtes (affaire dont il sera certainement question dans le tome 2 à paraître).
Revenant sur la libération des infirmières bulgares détenues en Libye, dans laquelle il a joué un rôle majeur, Nicolas Sarkozy estime que la visite controversée de Kadhafi à Paris en décembre 2007, au cours de laquelle ce dernier lui a fait « tout ce que cet esprit dérangé était capable d’imaginer, y compris de planter sa tente dans le jardin de la résidence officielle française de l’hôtel Marigny », était « le prix à payer » pour le remercier de sa mansuétude.
Très peu amène avec celui qu’il qualifie d’« égotique maladif », Sarkozy décrit ainsi leurs échanges : « Je fus surpris par les véritables grognements qui émanaient de sa personne. Il ne parlait ni anglais ni français. Nous avions donc recours à un interprète des deux côtés du téléphone. Mais la plupart du temps il parlait au moyen d’onomatopées et de bruits indistincts. Puis il s’enivrait de tirades interminables ».
« Une certaine sympathie » pour Ben Ali
C’est avec la Tunisie de Zine El Abidine Ben Ali, à qui il rend une courte visite de travail loin du regard des journalistes, que Nicolas Sarkozy clôt le récit de son « road trip » maghrébin de l’année 2007. L’autocrate tunisien lui apparaît comme « un homme assez étrange » aux cheveux teints et au visage « empâté, parfois boursouflé, me laissant penser que la chirurgie esthétique avait pu y laisser des traces ».
S’il le juge « plus lucide que nombre de ses homologues », bien que « son vrai talon d’Achille » soit sa femme Leïla et surtout sa belle-famille « symbole de la corruption », Sarkozy ne peut s’empêcher de noter l’absence de spontanéité dans l’accueil officiel et populaire qui lui est réservé sur l’avenue Bourguiba, en plein cœur de Tunis.
« Tout était encadré et hélas cela ne se voyait que trop » remarque-t-il, « les gardes du corps aux épaules démesurées et aux lunettes noires caricaturales nous entouraient de très près. Leurs mines étaient patibulaires et on imaginait aisément que leurs méthodes pouvaient être radicales […]. J’avais hâte que cette comédie se termine ». Jugement a posteriori, dira-t-on avec raison.
À tout le moins Nicolas Sarkozy reconnaît-il avoir éprouvé « une certaine sympathie » pour Ben Ali, comme d’ailleurs pour son homologue égyptien Hosni Moubarak, avant d’ajouter avec honnêteté que sa chute quatre ans plus tard l’a complètement pris de court : « Nos ambassadeurs et nos ambassades, nos spécialistes et nos services de renseignement, nos hommes d’affaires comme nos élus n’avaient rien senti, anticipé, imaginé ».
Écrites dans un style fluide qui en rend la lecture aisée, les quelque 500 pages du Temps des Tempêtes abondent en portraits, anecdotes, coups de griffes et vraies fausses confidences. Si l’auteur n’épargne ni ses adversaires (parmi lesquels une brochette de journalistes), ni ceux qui à l’instar de Dominique Strauss Kahn l’ont déçu, il sait aussi se montrer admiratif.
Nicolas Sarkozy garde ainsi de ses deux rencontres avec Nelson Mandela un souvenir émerveillé – « il était beau et lumineux […] rien n’était brisé à l’intérieur de cet homme exceptionnel » – avant de confesser combien ses entretiens avec Aimé Césaire l’ont marqué. S’il s’est rendu en avril 2008 aux obsèques nationales du grand poète martiniquais, c’était aussi nous dit-il parce qu’il n’avait « pas oublié le scandale provoqué par l’absence de Jacques Chirac et de Lionel Jospin aux obsèques de Senghor », sept ans plus tôt. De quoi racheter un peu du calamiteux discours de Dakar…
Du tome 1 de ce Temps des tempêtes, Mémoires des deux premières années du quinquennat de Nicolas Sarkozy*, le lecteur familier de la complexe relation entre l’Afrique et les présidents français retiendra avant tout les dix pages relatives au désormais fameux « Discours de Dakar », prononcé le 26 juillet 2007 à l’université Cheikh Anta Diop.
Un discours proprement sidérant, entre exaltation culturaliste de l’Afrique ancestrale, obsession du refus de la repentance pour la période coloniale, catalogue de clichés provocateurs et jugements condescendants sur « l’homme africain ».
Même s’il affirme n’avoir, sur le fond, « rien à renier » de ce texte, dont il omet de préciser qu’il a été écrit par son conseiller Henri Guaino et à peine relu dans l’avion avant d’être prononcé, Nicolas Sarkozy confesse aujourd’hui que cette adresse à la jeunesse africaine fut « une erreur politique ».
Dakar : l’excuse pire que la faute
Treize années plus tard, l’ancien président aurait-il enfin admis que son discours ne reposait sur rien d’autre que des stéréotypes erronés, obsolètes et blessants ? Non, hélas. Car si « erreur » il y eût (« comment le contester ? » ajoute-t-il), elle ne serait pas due aux passages totalement déconnectés de la réalité africaine dont ce texte est truffé, mais bien au fait d’avoir voulu « dire la vérité » à un public qui n’était pas encore prêt à l’entendre.
Avec une naïveté que l’on espère sincère et sans se rendre compte qu’en l’espèce l’excuse est pire que la faute, Nicolas Sarkozy s’interroge : « Ai-je voulu trop en dire ? L’ai-je dit trop franchement ou trop brutalement ? […] Ai-je surestimé la maturité du débat politique africain ? ». En somme et puisque « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire » (juillet 2007), attendre de lui qu’il soit en mesure d’« entrer » dans le discours de Dakar aurait été vain. L’autocritique, on le voit, n’est que de pure forme.
De son court séjour dakarois, Nicolas Sarkozy rapporte en outre dans Le Temps des tempêtes un portrait intrigué du président sénégalais de l’époque, Abdoulaye Wade, personnalité « aussi étrange qu’intéressante » selon lui.
« Érudit, titulaire d’une agrégation d’économie obtenue sur les bancs de l’université française, et en même temps assez désorganisé dans sa pensée. Suivre une conversation avec lui exigeait un très gros effort de concentration. Gros travailleur, il pouvait être impressionnant lorsqu’il décrivait ses projets de développement et en même temps complètement cyclothymique […]. Incontestable démocrate pour 90% de son activité, il pouvait céder à une des pulsions de son tempérament et envoyer un de ses opposants en prison ».
Le « tropisme » marocain
Autre portrait en demi-teinte, celui du président algérien Abdelaziz Bouteflika, à qui Nicolas Sarkozy rend visite en juillet, puis en décembre 2007.
« Converser avec lui prenait du temps. L’unité de mesure, c’était trois heures. Si une réunion durait moins, on pouvait considérer qu’elle avait été écourtée. Un détail me gênait. Il ne voulait pas converser en face à face. Nous étions toujours assis côte à côte. Il fallait constamment tourner la tête pour se regarder. Je quittais souvent la résidence où il me recevait, avec un fameux torticolis. Je devais également accepter que la première heure (et c’était un minimum) fût consacrée à ce qu’il appelait « la guerre de libération ». Il s’ensuivait un cortège de reproches sur les injustices et les atrocités auxquelles tout ceci avait donné lieu […]. Je dus également me justifier de ce qu’il appelait mon tropisme marocain. Je m’en défendis avec vigueur même si, intérieurement, je me disais : « Au moins, quand je suis à Rabat, le roi ne me reproche pas le protectorat ! »
Au Maroc justement, plus précisément à Marrakech, Nicolas Sarkozy se rend en voyage officiel en octobre 2007. Et à lire le compte-rendu ému qu’il fait de ce séjour dans ses Mémoires, il est difficile de ne pas donner raison au président algérien sur son « tropisme » chérifien, manifestement assumé.
« Le Maroc a bien de la chance de disposer d’un souverain de cette qualité » écrit-il à propos de Mohammed VI, après avoir fait l’éloge d’« un homme d’une grande intelligence, très francophile et d’une gentillesse qui ne se dément jamais », combinant « l’autorité de son père Hassan II », la « modernité de son âge » et « l’humanité de son tempérament ».
Kadhafi et « le prix à payer »
L’exact opposé finalement d’un Mouammar Kadhafi à qui Sarkozy consacre des phrases vengeresses lesquelles seront, on l’imagine, diversement commentées par ceux qui soutiennent que le dictateur libyen a financé la campagne présidentielle de l’auteur du Temps des tempêtes (affaire dont il sera certainement question dans le tome 2 à paraître).
Revenant sur la libération des infirmières bulgares détenues en Libye, dans laquelle il a joué un rôle majeur, Nicolas Sarkozy estime que la visite controversée de Kadhafi à Paris en décembre 2007, au cours de laquelle ce dernier lui a fait « tout ce que cet esprit dérangé était capable d’imaginer, y compris de planter sa tente dans le jardin de la résidence officielle française de l’hôtel Marigny », était « le prix à payer » pour le remercier de sa mansuétude.
Très peu amène avec celui qu’il qualifie d’« égotique maladif », Sarkozy décrit ainsi leurs échanges : « Je fus surpris par les véritables grognements qui émanaient de sa personne. Il ne parlait ni anglais ni français. Nous avions donc recours à un interprète des deux côtés du téléphone. Mais la plupart du temps il parlait au moyen d’onomatopées et de bruits indistincts. Puis il s’enivrait de tirades interminables ».
« Une certaine sympathie » pour Ben Ali
C’est avec la Tunisie de Zine El Abidine Ben Ali, à qui il rend une courte visite de travail loin du regard des journalistes, que Nicolas Sarkozy clôt le récit de son « road trip » maghrébin de l’année 2007. L’autocrate tunisien lui apparaît comme « un homme assez étrange » aux cheveux teints et au visage « empâté, parfois boursouflé, me laissant penser que la chirurgie esthétique avait pu y laisser des traces ».
S’il le juge « plus lucide que nombre de ses homologues », bien que « son vrai talon d’Achille » soit sa femme Leïla et surtout sa belle-famille « symbole de la corruption », Sarkozy ne peut s’empêcher de noter l’absence de spontanéité dans l’accueil officiel et populaire qui lui est réservé sur l’avenue Bourguiba, en plein cœur de Tunis.
« Tout était encadré et hélas cela ne se voyait que trop » remarque-t-il, « les gardes du corps aux épaules démesurées et aux lunettes noires caricaturales nous entouraient de très près. Leurs mines étaient patibulaires et on imaginait aisément que leurs méthodes pouvaient être radicales […]. J’avais hâte que cette comédie se termine ». Jugement a posteriori, dira-t-on avec raison.
À tout le moins Nicolas Sarkozy reconnaît-il avoir éprouvé « une certaine sympathie » pour Ben Ali, comme d’ailleurs pour son homologue égyptien Hosni Moubarak, avant d’ajouter avec honnêteté que sa chute quatre ans plus tard l’a complètement pris de court : « Nos ambassadeurs et nos ambassades, nos spécialistes et nos services de renseignement, nos hommes d’affaires comme nos élus n’avaient rien senti, anticipé, imaginé ».
Écrites dans un style fluide qui en rend la lecture aisée, les quelque 500 pages du Temps des Tempêtes abondent en portraits, anecdotes, coups de griffes et vraies fausses confidences. Si l’auteur n’épargne ni ses adversaires (parmi lesquels une brochette de journalistes), ni ceux qui à l’instar de Dominique Strauss Kahn l’ont déçu, il sait aussi se montrer admiratif.
Nicolas Sarkozy garde ainsi de ses deux rencontres avec Nelson Mandela un souvenir émerveillé – « il était beau et lumineux […] rien n’était brisé à l’intérieur de cet homme exceptionnel » – avant de confesser combien ses entretiens avec Aimé Césaire l’ont marqué. S’il s’est rendu en avril 2008 aux obsèques nationales du grand poète martiniquais, c’était aussi nous dit-il parce qu’il n’avait « pas oublié le scandale provoqué par l’absence de Jacques Chirac et de Lionel Jospin aux obsèques de Senghor », sept ans plus tôt. De quoi racheter un peu du calamiteux discours de Dakar…
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