En octobre 2001, Saber Lahmar vivait en Bosnie. Il y était professeur de langue arabe dans un centre islamique saoudien de Sarajevo. Sa femme bosniaque attendait leur deuxième enfant. Un matin, la police bosniaque frappe chez lui et fouille de fond en comble, sa maison, sa voiture, son bureau. Emmené au poste, les policiers lui demandent s’il connaît Oussama Ben Laden. « Oui, répond-il, comme tout le monde, à la télévision ». Est-ce cette réponse qui lui vaut l’acharnement qui s’est abattu sur lui ou bien la police a-t-elle d’autres informations sur lui ? Dix ans après, il n’a toujours pas la réponse à cette question. Après plusieurs heures passées en garde à vue, le dossier d'accusation étant vide, il est remis en liberté. Alors que les gardes lui rendent ses affaires, l’un d’entre eux lui demande s’il sait où il va. Saber Lahmar répond qu’il rentre chez lui, mais le policier tente de l’alerter : « Non, tu pars à Guantanamo ».
« Une vie de chien c’est mieux que Guantanamo »
Le nom de Guantanamo n’évoque rien à Saber qui sort confiant de la prison. De l’autre côté de la porte, des soldats américains l'attendent avec cagoule et menottes et l’embarquent immédiatement. Privé de tout repère de temps, il pense avoir passé trois jours sans savoir où il était et où il allait. Quand il a revu le jour, c'était donc à Guantanamo. « Le premier jour à Guantanamo, c’était un autre monde, se souvient Saber au milieu de longs silences, c’était une autre vie, un autre monde. La torture, les chiens, tout le monde criait, pleurait, il y avait du sang, les gens étaient comme des moutons, la vie d’un chien est meilleure ». Il est accusé de tentative d’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Sarajevo mais il n’est interrogé que sur son nom, sa famille, son arrivée en Bosnie… Très vite il apparaît que le dossier d’accusation est vide, mais Saber Lahmar n'a été innocenté que 7 ans plus tard par un tribunal civil américain, au cours d’un procès auquel il n’a pas assisté. Il n’en a vu qu’une vidéo. Pourtant il a dû encore passer 8 mois enchaîné en combinaison orange, le temps que les Etats-Unis lui trouvent une destination d’accueil. Il refuse de retourner en Bosnie et en Algérie où il craint de repartir en prison. À la suite d’une visite des services consulaires français et après avoir reçu toutes les assurances qu’il obtiendrait toutes les facilités pour vivre et travailler en France, il accepte de s’installer à Bordeaux. Pourtant aujourd’hui il n’a ni passeport algérien, ni papiers français, il ne peut donc pas travailler, n’a pas de revenus et ne peut pas passer les frontières et aller voir sa femme et ses enfants en Bosnie. « J’ai tout perdu, je n’ai plus rien » dit-il, le regard impassible. Saber Lahmar espérait une indemnisation de la part des Etats-Unis mais l'affaire n'est pas simple. « Les Etats-Unis disent qu’ils ont tourné la page. Donc je ne vois pas comment ils accepteraient aujourd’hui d’indemniser quelque chose et de reconnaître leur responsabilité. On vous opposera toujours le secret défense et les lois d’exception par rapport à ce qu’ils ont appelé la "war on terror" », explique Christian Blazy l’avocat de Saber Lahmar.
171 personnes toujours détenues à Guantanamo
Dans son malheur, Saber Lahmar a eu la chance d’avoir été parmi les premiers à être libérés et d’avoir eu un pays qui accepte de l’accueillir. Aujourd’hui, ils ne sont plus très nombreux à accepter de recevoir les ex-détenus. Au début du mois de décembre dernier, il restait 171 hommes dans les geôles de Guantanamo dont plus de la moitié pourraient être dehors depuis longtemps. Leur dossier est vide, des commissions militaires ou des tribunaux civils ont estimé qu’ils pouvaient être relâchés, mais comme Saber Lahmar, ils sont toujours à Guantanamo. Nathalie Berger est responsable de la région Amériques à Amnesty International : « Ils risquent des tortures et des mauvais traitements s’ils sont libérés dans leur propre pays. Les pays tiers, sollicités pour accueillir des détenus, disent "ça suffit" et le gouvernement américain ne veut pas les libérer sur son propre sol, alors qu’est-ce qu’on en fait ? ». La situation n’est pas plus simple pour les prisonniers soupçonnés de terrorisme et qui ne sont donc pas libérables aux yeux de l’administration américaine. Mais par qui doivent-ils être jugés? Par des tribunaux civils ou militaires? Les américains ne veulent pas financer une justice pour ceux qu'ils appellent des terroristes. S'ils sont condamnés, l'opinion publique américaine ne veut pas non plus qu'ils puissent être internés dans des prisons américaines. Il y a enfin ceux qui sont sûrement coupables des actes qui leurs sont reprochés mais dont le dossier ne tiendra pas devant une cour de justice en raison de la façon dont les éléments de preuve ont été rassemblés, notamment sous la torture. Alors qu’en faire ?
Barack Obama ne sera pas le président qui fermera Guantanamo
Pendant la campagne électorale, Barack Obama avait promis de fermer Guantanamo mais devenu président, il s’est heurté à cette réalité juridique. Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International, se désespère de voir un jour la fermeture de ce centre de détention : « Non seulement Guantanamo n’est pas fermé mais il nous semble de plus en plus difficile de le fermer, du moins cette année, ne serait-ce que par la loi sur le budget de la défense nationale qui a été signée la semaine dernière par le président Obama. La loi stipule que les personnes qui sont à Guantanamo ne pourront être transférées vers les Etats-Unis, que ce soit pour être jugées ou détenues, et quant à celles qui sont libérables, les conditions se sont durcies donc on voit que l’horizon de Guantanamo est bien noir ». Amnesty International estime que 70 000 personnes ont été arrêtées par les Américains depuis le 11 septembre 2001 dans cette guerre mondiale contre le terrorisme. Ce qui fait que Guantanamo cache d’autres Guantanamo dans le monde… Il y aurait actuellement, sur la base américaine de Bagram en Afghanistan, 2100 prisonniers auxquels aucune organisation autre que le Comité International de la Croix-Rouge n’a eu accès mais le CICR est tenu par le secret.
Source: RFI
« Une vie de chien c’est mieux que Guantanamo »
Le nom de Guantanamo n’évoque rien à Saber qui sort confiant de la prison. De l’autre côté de la porte, des soldats américains l'attendent avec cagoule et menottes et l’embarquent immédiatement. Privé de tout repère de temps, il pense avoir passé trois jours sans savoir où il était et où il allait. Quand il a revu le jour, c'était donc à Guantanamo. « Le premier jour à Guantanamo, c’était un autre monde, se souvient Saber au milieu de longs silences, c’était une autre vie, un autre monde. La torture, les chiens, tout le monde criait, pleurait, il y avait du sang, les gens étaient comme des moutons, la vie d’un chien est meilleure ». Il est accusé de tentative d’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Sarajevo mais il n’est interrogé que sur son nom, sa famille, son arrivée en Bosnie… Très vite il apparaît que le dossier d’accusation est vide, mais Saber Lahmar n'a été innocenté que 7 ans plus tard par un tribunal civil américain, au cours d’un procès auquel il n’a pas assisté. Il n’en a vu qu’une vidéo. Pourtant il a dû encore passer 8 mois enchaîné en combinaison orange, le temps que les Etats-Unis lui trouvent une destination d’accueil. Il refuse de retourner en Bosnie et en Algérie où il craint de repartir en prison. À la suite d’une visite des services consulaires français et après avoir reçu toutes les assurances qu’il obtiendrait toutes les facilités pour vivre et travailler en France, il accepte de s’installer à Bordeaux. Pourtant aujourd’hui il n’a ni passeport algérien, ni papiers français, il ne peut donc pas travailler, n’a pas de revenus et ne peut pas passer les frontières et aller voir sa femme et ses enfants en Bosnie. « J’ai tout perdu, je n’ai plus rien » dit-il, le regard impassible. Saber Lahmar espérait une indemnisation de la part des Etats-Unis mais l'affaire n'est pas simple. « Les Etats-Unis disent qu’ils ont tourné la page. Donc je ne vois pas comment ils accepteraient aujourd’hui d’indemniser quelque chose et de reconnaître leur responsabilité. On vous opposera toujours le secret défense et les lois d’exception par rapport à ce qu’ils ont appelé la "war on terror" », explique Christian Blazy l’avocat de Saber Lahmar.
171 personnes toujours détenues à Guantanamo
Dans son malheur, Saber Lahmar a eu la chance d’avoir été parmi les premiers à être libérés et d’avoir eu un pays qui accepte de l’accueillir. Aujourd’hui, ils ne sont plus très nombreux à accepter de recevoir les ex-détenus. Au début du mois de décembre dernier, il restait 171 hommes dans les geôles de Guantanamo dont plus de la moitié pourraient être dehors depuis longtemps. Leur dossier est vide, des commissions militaires ou des tribunaux civils ont estimé qu’ils pouvaient être relâchés, mais comme Saber Lahmar, ils sont toujours à Guantanamo. Nathalie Berger est responsable de la région Amériques à Amnesty International : « Ils risquent des tortures et des mauvais traitements s’ils sont libérés dans leur propre pays. Les pays tiers, sollicités pour accueillir des détenus, disent "ça suffit" et le gouvernement américain ne veut pas les libérer sur son propre sol, alors qu’est-ce qu’on en fait ? ». La situation n’est pas plus simple pour les prisonniers soupçonnés de terrorisme et qui ne sont donc pas libérables aux yeux de l’administration américaine. Mais par qui doivent-ils être jugés? Par des tribunaux civils ou militaires? Les américains ne veulent pas financer une justice pour ceux qu'ils appellent des terroristes. S'ils sont condamnés, l'opinion publique américaine ne veut pas non plus qu'ils puissent être internés dans des prisons américaines. Il y a enfin ceux qui sont sûrement coupables des actes qui leurs sont reprochés mais dont le dossier ne tiendra pas devant une cour de justice en raison de la façon dont les éléments de preuve ont été rassemblés, notamment sous la torture. Alors qu’en faire ?
Barack Obama ne sera pas le président qui fermera Guantanamo
Pendant la campagne électorale, Barack Obama avait promis de fermer Guantanamo mais devenu président, il s’est heurté à cette réalité juridique. Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International, se désespère de voir un jour la fermeture de ce centre de détention : « Non seulement Guantanamo n’est pas fermé mais il nous semble de plus en plus difficile de le fermer, du moins cette année, ne serait-ce que par la loi sur le budget de la défense nationale qui a été signée la semaine dernière par le président Obama. La loi stipule que les personnes qui sont à Guantanamo ne pourront être transférées vers les Etats-Unis, que ce soit pour être jugées ou détenues, et quant à celles qui sont libérables, les conditions se sont durcies donc on voit que l’horizon de Guantanamo est bien noir ». Amnesty International estime que 70 000 personnes ont été arrêtées par les Américains depuis le 11 septembre 2001 dans cette guerre mondiale contre le terrorisme. Ce qui fait que Guantanamo cache d’autres Guantanamo dans le monde… Il y aurait actuellement, sur la base américaine de Bagram en Afghanistan, 2100 prisonniers auxquels aucune organisation autre que le Comité International de la Croix-Rouge n’a eu accès mais le CICR est tenu par le secret.
Source: RFI
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